Les ambitions chinoises dans l’Arctique ne constituent pas une menace pour le Canada, affirment les experts

Le brise-glace chinois Xuelong hébergé à Shanghai en 2012. Le Xuelong est le premier navire chinois à avoir traversé l’océan Arctique. (Pei Xin / Xinhua / The Associated Press)
L’intérêt et l’engagement chinois dans l’Arctique ne devraient pas être vus comme une source d’inquiétude pour le Canada même si certains aspects de la politique chinoise doivent être abordés avec vigilance, disent des experts canadiens de la région arctique.

Malgré une tempête de glace qui a balayé tout le sud de l’Ontario et une partie du Québec, des universitaires, des étudiants, des stratèges militaires, des diplomates étrangers ont fait le voyage pour participer à un panel de discussion sur le rôle chinois en Arctique. Ce panel avait lieu à l’Université d’Ottawa et était organisé conjointement par le Centre d’études en politiques internationales (CÉPI) et la Conférence des associations de la défense (CAD).

Les investissements chinois et l’implication chinoise en Arctique doivent être accueilli en des termes fixés par le Canada a déclaré Adam Lajeunesse, le titulaire de la chaire Irving Shipbuilding sur les politiques de sécurité maritime en Arctique. Cette chaire est associée au Mulroney Institute de l’université St-Francis Xavier en Nouvelle-Écosse.

« Les intérêts de la Chine n’ont aucune raison d’être redoutés, il n’y a aucune raison de penser qu’il y a des intentions malveillantes ici », a déclaré Lajeunesse, l’un des auteurs d’une publication récente sur le sujet intitulée China’s Arctic Ambitions and What They Mean for Canada.

« La Chine doit être introduite en Arctique dans un cadre occidental, dans un cadre qui doit être bénéfique et acceptable pour le Canada. Cette transition doit être opérée avec une grande prudence, mais elle doit être faite. »

Le livre blanc de la politique arctique chinoise

La politique chinoise en Arctique a été précisée dans un livre blanc sorti en janvier. C’est la première fois que Beijing établit une politique en dehors des frontières de la Chine, précise Lajeunesse.

« C’est un geste majeur et cela reflète le niveau d’intérêt que la Chine a pour la région en ce moment et évidemment pour l’avenir », dit Lajeunesse.

Le navire Des Groseilliers de la Garde côtière navigue devant un iceberg en mer à Eclipse Sound, le dimanche 24 août 2014 à l’ouest de Pond Inlet. (Adrian Wyld / La Presse Canadienne)

«La Chine considère clairement l’Arctique comme une part importante de sa future stratégie mondiale.»

« Tous les thèmes importants se retrouvent dans ce document : sauvegarder la paix, la stabilité, la promotion du développement en Arctique, l’environnement nordique qu’il faut préserver, les traditions historiques autochtones…le souci de se soumettre aux lois internationales en place, les multinationales, les mécanismes bilatéraux », explique Lajeunesse. « C’est un document très clair, très positif et très libéral qui vise à démontrer que la Chine comprend bien les enjeux en place. »

Écran de fumée ou réel désir de coopération?
Le vice-ministre chinois des Affaires étrangères Kong Xuanyou s’exprime lors d’une conférence de presse au Bureau d’information du Conseil des Affaires d’Etat à Beijing, vendredi 26 janvier 2018. La Chine cherche à dissiper les inquiétudes concernant ses activités de plus en plus importantes dans l’Arctique. (Mark Schiefelbein / AP )

La question se pose au Canada et dans le monde : est-ce que ce livre blanc représente les véritables intentions chinoises en Arctique ou n’est-ce qu’un écran de fumée visant à donner aux pays de la région circumpolaire un faux sentiment de sécurité, se demande Lajeunesse.

« Cela peut être vu des deux façons, si vous observez l’intention et le ton, ce n’est pas si important que cela de déterminer si c’est une politique légitime et sincère ou plutôt une politique écrite pour satisfaire les pays de la région arctique », précise Lajeunesse.

« Ce n’est pas si important parce que dans ce document et dans tout ce qu’ils ont fait depuis au moins dix ans, l’État chinois dit être ici pour travailler avec les pays arctiques, c’est une politique qui est très claire. »

L’impératif de coopération avec les états circumpolaires est dicté, par les dures réalités de la région a-t-il précisé.

« Ce qu’ils sont en train de faire est limpide, ils jouent la voie de la moindre résistance », explique Lajeunesse. S’ils veulent une mainmise sur les ressources en Arctique, s’ils veulent des voies maritimes commerciales, ils ne peuvent pas seulement se présenter et les prendre. Ils doivent jouer selon nos règles. »

Définir des objectifs stratégiques

 La nouvelle politique sur l’Arctique de la Chine porte spécifiquement sur la navigation dans l’Arctique, le développement des ressources dans l’Arctique, la gouvernance et la science nordique.

« Ce qui rend cette politique si efficace, ce n’est pas seulement qu’elle a une approche complète et novatrice de la politique étrangère, mais qu’elle est en réalité soutenue par des ressources », a déclaré M. Lajeunesse.

« Les Chinois ne prononcent pas des paroles en l’air et ils mettent leur argent sur la table. » L’un des principaux objectifs de Beijing est de relier la Chine au reste du monde à travers des eaux de plus en plus libres de glace en Arctique, a déclaré M. Lajeunesse.

« Les Chinois sont impatients de construire des infrastructures, d’élargir les voies maritimes et d’utiliser de nouvelles routes maritimes, principalement au nord de la Russie, mais aussi à travers l’archipel arctique canadien pour relier la Chine au reste du monde », a déclaré M. Lajeunesse.

La science arctique est un autre domaine qui a reçu beaucoup d’attention dans le document politique de Beijing pour deux raisons, a déclaré Lajeunesse.

« Premièrement, c’est vraiment important et les Chinois considèrent la science de l’Arctique comme un moyen de mesurer le changement climatique mondial, de prédire les conditions météorologiques en Chine », a déclaré M. Lajeunesse.

« Mais vendre la politique chinoise… est aussi un bon moyen de vendre la politique chinoise plus largement à l’Occident parce que nous sommes généralement plus disposés à entendre parler de l’intérêt de la Chine pour la science que peut-être des ressources et du transport maritime. »

Un partenariat gagnant-gagnant

Des enfants de la ville de Pond Inlet observent une navette qui sort du CGS Des Groseilliers le samedi 23 août 2014 à Pond Inlet, au Nunavut. (Adrian Wyld /La presse canadienne)

Un constat est évident, il y a place pour un partenariat constructif avec la Chine dans l’Arctique, a déclaré Lajeunesse.

« Ils ont des choses dont nous avons besoin et nous avons des choses dont ils ont besoin », a déclaré Lajeunesse.

« La Chine a intérêt à utiliser le passage du Nord-Ouest. Le Xuelong, le brise-glace chinois était là récemment. L’augmentation du trafic commercial chinois pourrait aider le Canada à long terme. »

Le Canada dispose d’une infrastructure très limitée dans la région et pourrait bénéficier des investissements chinois ciblés dans la modernisation et la construction de cette infrastructure, a-t-il ajouté.

« L’argent chinois dans le cadre de cette route de la soie polaire, s’il est bien géré, peut servir à établir l’infrastructure que nous essayons d’établir depuis John Diefenbaker dans les années 1960 », a déclaré M. Lajeunesse.

Whitney Lackenbauer s’adresse aux participants Skype d’une conférence sur le rôle de la Chine dans l’Arctique à l’Université d’Ottawa organisée parle Centre d’études en politiques internationales (CÉPI)et la Conférence des associations de la défense (CAD) le 16 avril 2018. ( Levon Sevunts / Radio-Canada Internationale)

Whitney Lackenbauer, professeure au département d’histoire et codirecteur du Centre de politique étrangère et de fédéralisme de l’Université de Waterloo, a déclaré que de nombreux projets d’infrastructure dans l’Arctique sont des projets à risque et à très long terme qui forceront différents niveaux de gouvernement à rechercher des sources extérieures de financement et la Chine avec son expérience d’investissement dans l’Arctique russe est un candidat évident.

L’augmentation de l’activité maritime chinoise dans l’Arctique canadien ne pose pas nécessairement de problème pour les revendications de souveraineté du Canada sur le passage du Nord-Ouest, considéré comme un détroit international par les États-Unis.

 

« La déclaration de politique arctique chinoise met l’emphase à maintes reprises sur la forte adhésion à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et reconnaît explicitement que chacun des États arctiques a non seulement des droits souverains territoriaux, mais aussi des droits de souveraineté maritime ». a déclaré Lackenbauer qui se spécialise dans les questions de souveraineté dans l’Arctique.

La question à plus long terme est de savoir si la Chine continuera d’adhérer à ces normes et acceptera l’interprétation de ces lois par les États arctiques ou si elle contestera ces interprétations à sa façon, comme elle l’a fait dans d’autres régions du monde, a déclaré Lackenbauer.

Les navires sont ancrés devant une raffinerie sur l’île de Bukom à Singapour 6 juillet 2014. Environ un quart du commerce pétrolier maritime mondial passe par le détroit de Malacca, un point d’étranglement sur la route entre le Moyen-Orient et les économies énergivores de Asie de l’Est. Photo prise le 6 juillet. Les experts disent que la Chine cherche des manières de diminuer sa dépendance sur le détroit stratégique. (Tim Wimborne /Reuters)

Bien que la Chine ait publié un document d’orientation sur l’Arctique, la région n’est pas une priorité pour Pékin, qui a des défis stratégiques beaucoup plus importants à proximité de ses côtes, a fait valoir Lackenbauer.

La réponse à cette question se trouve dans un contexte beaucoup plus stratégique d’échange avec la Chine considérée comme puissance mondiale.

« Oui, leur intérêt s’est accru, mais cela ne domine en aucune façon la pensée chinoise et l’Arctique n’est pas le nouveau centre de gravité pour que la Chine émerge comme une puissance mondiale majeure », a déclaré Lackenbauer.

La Chine devait être forcée ou du moins convaincue d’utiliser des ressources canadiennes selon Adam Lajeunesse — services de déglaçage, services d’information sur les glaces, prévisions météorologiques, travaux hydrographiques — pour ses activités dans l’Arctique canadien.

« Si nous ne fournissons pas ces choses, si nous ne nous imposons pas, les Chinois auront besoin d’apporter leurs propres brise-glaces et fourniront leurs propres rapports sur les glaces, etc. et ainsi de suite, c’est le jour où nous commençerons à perdre au moins la souveraineté de facto et, par conséquent, nous commençerons à perdre un peu de contrôle sur le Nord », a déclaré Lajeunesse.

Le Canada a également besoin d’un certain pouvoir de police pour sauvegarder sa souveraineté au cas où les Chinois décident de ne pas respecter les règles canadiennes, a-t-il dit.

Texte de Levon Sevunts traduit par Jean-Baptiste Hervé

Levon Sevunts, Radio Canada International

Originaire d’Arménie, Levon a commencé sa carrière en journalisme en 1990 en couvrant les guerres et les conflits civils au Caucase et en Asie centrale.

En 1992, Levon a immigré au Canada après que le gouvernement arménien eut mis fin au programme télévisé pour lequel il travaillait. Il a appris l'anglais avant de poursuivre sa carrière en journalisme, d'abord dans la presse écrite puis à la télévision et à la radio. Les affectations journalistiques de Levon l'ont mené du Haut-Arctique au Sahara en passant par les champs de la mort du Darfour, des rues de Montréal aux sommets enneigés de Hindu Kush, en Afghanistan.

De son parcours, il dit : « Mais surtout, j’ai eu le privilège de raconter les histoires de centaines de personnes qui m’ont généreusement ouvert la porte de leur maison, de leur refuge et de leur cœur. »

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