Communications dans le Grand Nord canadien : une histoire de persistance

Une antenne de télévision. (Larry McGuirk/iStock)
Les communautés autochtones du Grand Nord canadien ont réussi à bâtir leur propre paysage médiatique, malgré des conditions parfois hostiles aux communications. C’est ce que remarque la professeure en communication retraitée de l’Université Concordia Lorna Roth, dans un récent article de publié dans le journal Development in practice.

Lorna Roth revient, dans son article, sur les années qui se sont écoulées depuis la mise en service du premier satellite pour le territoire nordique, en 1974. « Le gouvernement voulait exercer son influence sur toutes les communications dans le Nord, mais les gens dans les communautés ont vu le potentiel que ces nouvelles infrastructures pouvaient avoir pour eux », relate-t-elle.

Une histoire de résistance et de persistance

Lors de ses recherches, elle a remarqué que le gouvernement canadien a décidé d’améliorer les communications entre le sud et le nord du pays à la fin des années 1960, quand l’exploitation et le commerce des ressources minières ont pris de l’ampleur.

« Comme les communautés du Nord ne représentent qu’un petit pourcentage de la population, ce n’était pas une priorité pour Ottawa de leur offrir les infrastructures de télécommunication avant cela », précise Lorna Roth.

En donnant accès à la télévision à la population nordique, le gouvernement souhaitait d’abord imposer des contenus nationaux produits à Toronto et à Montréal.

« Les Inuits voulaient que leur télévision soit le reflet de leur culture plutôt que de se faire imposer la culture canadienne. »

Lorna Roth, professeure retraitée de l'Université Concordia

« Ils voulaient avoir la possibilité de promouvoir leur langue et leur culture grâce aux médias. Ils donc ont décidé de résister et de persister », raconte Lorna Roth.

Pendant plusieurs années, les communautés ont procédé à l’achat de leurs propres antennes paraboliques pour visionner leur contenu qui était, à ce moment, non autorisé par le gouvernement fédéral et le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

« À partir de 1983, Ottawa a commencé à financer les infrastructures nécessaires aux productions locales, rappelle l’auteure. Le gouvernement a demandé à la population de proposer des projets qui pouvaient être financés à long terme s’ils remportaient suffisamment de succès. »

Nouvelle réalité à l’ère du numérique

Le plus grand enjeu actuel, quant à Lorna Roth, est l’accessibilité d’internet sur le territoire nordique.

« Le réseau canadien d’internet appartient majoritairement à des compagnies privées qui n’ont pas intérêt à se rendre plus accessibles dans le Nord s’il n’y a aucune promesse de profit », soutient-elle.

L’avènement d’internet a cependant permis un nouvel essor de créativité dans les communautés puisque la diffusion est maintenant de portée planétaire.

« Le monde entier peut consulter leurs productions, mais les Inuits eux-mêmes n’y ont pas facilement accès. »

Lorna Roth, professeure retraitée de l'Université Concordia

« Les initiatives ne manquent pas. Les conditions ont fait que les Inuits ont dû rivaliser d’ingéniosité et de créativité pour prendre leur place », se réjouit-elle.

L’auteure cite entre autres la maison de production Isuma, qui est derrière le film « Atanarjuat, la légende de l’homme rapide », récompensé au Festival de Cannes en 2001.

« Isuma a acheté des serveurs locaux pour permettre aux différents villages du Nunavut d’accéder à leurs créations. Ils sont des pionniers dans ce domaine », affirme-t-elle.

Tirer avantage des changements climatiques

La fonte accélérée de l’Arctique pourrait cependant améliorer l’accès internet des communautés inuites.

Une compagnie de l’Alaska travaille actuellement à la mise au point d’un réseau de fibres optiques sous-marin qui doit se rendre jusqu’au Royaume-Uni et doit donc se retrouver en territoire canadien.

Les communautés nordiques pourraient alors profiter du réseau et tenter de le prolonger vers le sud, afin qu’elles soient mieux connectées au reste du pays.

« Je sais qu’il y a des négociations en cours entre la compagnie et les communautés au nord du Canada », confirme la professeure retraitée.

Rendre les voix autochtones plus fortes

Lorna Roth revendique une plus grande place pour les Autochtones sur les chaînes à grande écoute.

« Les voix autochtones méritent d’être diffusées à la télévision nationale. Elles ne sont pas seulement réservées aux réseaux qui leur sont attribués. »

Lorna Roth, professeure retraitée de l'Université Concordia

Dans son article, elle propose le concept d’« esthétique diplomatique » comme processus vers une entente entre Autochtones et Ottawa.

« Je peux comparer l’esthétique diplomatique au Tai Chi. Les négociations se font dans le calme, dans l’écoute et dans la l’empathie pour l’autre partie, contrairement aux méthodes de négociations conventionnelles qui sont plus comme le karaté », explique-t-elle.

Lorna Roth a espoir que la situation peut s’améliorer, mais demeure prudente. « Est-ce que le gouvernement est prêt à écouter? Cela reste à voir. »

Gabrielle Paul, Radio-Canada

Pour d’autres nouvelles sur les Autochtones au Canada, visitez le site d’Espaces autochtones.

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