La montée du tourisme menace-t-elle les coutumes du Nord canadien?

Le kayakiste d’eau vive Alec Voorhees admet qu’il ne connaissait pas l’importance culturelle des chutes Alexandra, dans les Territoires du Nord-Ouest, avant de s’y rendre au début du mois.
« Il semble que beaucoup de personnes étaient choquées, mais il faut dire qu’il y a peu de panneaux d’interprétation qui expliquent l’importance historique ou culturelle des chutes. J’étais bien navré d’apprendre que les gens étaient choqués. […] Mais j’étais vraiment fier d’avoir réussi. »
L’Américain de 21 ans rêvait d’accomplir l’exploit depuis plusieurs années. « À cause du record mondial » établi en 2007. Les chutes Alexandra arrivent troisièmes pour la hauteur dans le territoire, à 31,5 m.
« Irrespectueux », dit un membre d’une Première Nation

L’affaire a d’abord causé des critiques après que deux de ses compagnons se furent blessés, ce qui a forcé les autorités à effectuer une opération de sauvetage. Plus récemment, c’est la voix de Doug Lamalice, de la Première Nation Katlodeeche, qui s’est élevée. L’exploit était, selon lui, une insulte au caractère sacré de l’endroit.
Doug Lamalice a occupé par le passé le poste de gardien de parc, et était notamment responsable des chutes Alexandra. Selon lui, ces chutes sont particulièrement importantes pour l’identité dénée.
Alec Voorhees, qui arrivait directement en kayak d’une autre rivière en Colombie-Britannique, croit que des panneaux d’interprétation lui auraient été utiles pour mieux comprendre la signification de l’endroit. « Quand on arrive devant les chutes, il y a une plateforme d’observation et n’importe qui peut s’y rendre et prendre des photos. »
« Comme entrer dans la maison de quelqu’un »
La chercheuse Allison Holmes a élaboré, à l’Université de Waterloo (en Ontario, dans l’est du Canada), un code de conduite pour les visiteurs du territoire traditionnel de la Première Nation Lutsel K’e Dene.
Elle croit que le voyageur a la responsabilité de prendre contact avec des autorités locales, par exemple le conseil de bande, pour s’assurer de respecter la culture et les coutumes locales. « Quand on voyage quelque part, on fait généralement des recherches sur les cultures et les coutumes et sur les moyens de les respecter. »
L’exemple de Carcross, au Yukon

Le village de Carcross, au sud de Whitehorse (nord-ouest du Canada), vit de son côté, depuis quelques années, une explosion touristique qui a surpris même ceux qui en sont responsables.
Andy Carvill, Khà Shâde Héni [chef] de la Première Nation Carcross\Tagish, explique qu’au départ ils ont voulu miser sur le tourisme pour relancer l’économie du village. Mais la popularité actuelle engendre un nombre important de problèmes, dit-il. Il est d’autant plus inquiet que le train de la White Pass and Yukon Route a été vendu au géant des croisières Carnival, dont l’intention est d’augmenter encore davantage le nombre de visiteurs.
Le problème principal tient au fait, selon le chef, que la région est vaste, et les ressources, celles de sa Nation, les agents de conservation de la faune du territoire ou les agents de Parcs Canada, trop peu nombreuses pour faire appliquer les règlements.
Grand et vaste, le Nord

La taille du territoire est probablement le plus grand défi, admet la chercheuse Allison Holmes. À l’heure d’un tourisme grandissant, il peut devenir difficile pour les touristes de s’y retrouver dans les coutumes particulières de chaque communauté. Des campagnes de sensibilisation dans les aéroports, par exemple, peuvent s’avérer utiles, ou encore mieux, dit-elle, l’embauche d’un guide local. « Ces gens ont les connaissances traditionnelles. »
Andy Carvill recommande quant à lui aux communautés de prendre en charge très tôt leur développement touristique : « [Il faut] des comités d’organisation avec d’autres niveaux de gouvernement, l’élaboration de lois traditionnelles pour les endroits sacrés, et les moyens de les faire respecter. »
Mais le kayakiste Alec Voorhees aurait-il renoncé à son rêve s’il avait su? « Non, je ne crois pas », répond-il.