Québec permet la destruction gratuite de l’environnement au nord du 49e parallèle
Un nouveau règlement, entré en vigueur le 20 septembre, suscite l’étonnement chez des fonctionnaires, des juristes, des scientifiques et des environnementalistes. Au nord du 49e parallèle, le gouvernement du Québec permet la destruction de milieux humides et hydriques sans exiger de compensation par de l’argent ou des travaux, ce qui pourrait aller à l’encontre de l’objectif de la loi.
En théorie, le nouveau Règlement sur la compensation pour l’atteinte aux milieux humides et hydriques impose une contribution financière pour les initiateurs de projets qui détruisent ou abîment des étangs, des marais, des marécages, des tourbières, des plaines inondables, des ruisseaux ou des rivières. Dans certains cas, ce paiement peut être remplacé par des travaux pour restaurer ou recréer le milieu naturel.
Mais ce règlement, signé par la ministre de l’Environnement, Isabelle Melançon, ne s’applique pas au nord du 49e parallèle, là où l’on retrouve la majeure partie des milieux humides et hydriques du Québec.
Toutefois, 35 municipalités nordiques sont soumises au respect du règlement, c’est le cas des villes de Baie-Comeau et Sept-Îles. En revanche, on ne trouve pas dans cette liste des municipalités comme Fermont, Schefferville, Lebel-sur-Quévillon, Matagami, Chapais ou Chibougamau. Or, il s’agit de territoires où se fait beaucoup d’exploitation de ressources naturelles (mines ou foresterie).
En fait, la zone exemptée rappelle le territoire d’application du Plan Nord des libéraux.
Par ailleurs, le territoire des réserves autochtones situées au nord du 49e parallèle n’est pas non plus soumis aux exigences de compensation, contrairement à la première version du projet de règlement présentée en mai.
Un règlement contraire à la loi?
Auparavant, Québec prévoyait des compensations pour des destructions de milieux humides et hydriques, quel que soit l’endroit dans la province, y compris dans le Nord. Ces compensations, sous forme de travaux, se négociaient projet par projet. Cependant, selon un rapport remis en 2013 au ministère de l’Environnement, 99 % des pertes de milieux humides n’étaient pas compensées et constituaient des pertes nettes.
L’an dernier, les députés de l’Assemblée nationale du Québec ont donc voté à l’unanimité la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques qui se donne comme objectif de n’avoir « aucune perte nette » de ces milieux dans la province. Dans toute la province.
Des fonctionnaires nous ont fait part de leur surprise en découvrant, quelques mois plus tard, que le règlement sur l’application de la loi excluait le nord du 49e parallèle.
« En excluant ainsi le Nord, le règlement ne permet pas l’atteinte de l’objectif de la loi de zéro perte nette à l’échelle du Québec », analyse l’avocate Prunelle Thibault-Bédard, présidente du conseil d’administration du Centre québécois en droit de l’environnement.
Le ministère de l’Environnement rappelle que tout projet qui détruit l’environnement, même dans le Nord, doit obtenir préalablement une autorisation. Et, avant d’avoir le droit de nuire à un milieu humide ou hydrique, il faut démontrer qu’on a d’abord essayé d’éviter puis de minimiser son impact.
Pourquoi avoir exclu le nord du 49e parallèle du règlement? « Les pressions anthropiques [activité humaine] en milieu nordique sont beaucoup moins importantes que celles rencontrées dans la partie sud et méridionale du Québec », affirme le porte-parole du ministère Clément Falardeau, malgré la présence des barrages et des industries minière et forestière.
Québec prend en compte que les milieux humides sont très abondants dans le nord et de plus en plus rares dans le sud en raison des activités comme l’agriculture ou le développement résidentiel.
Selon Me Thibault-Bédard, « la destruction des milieux humides pourrait mettre en péril l’atteinte des cibles de réduction des gaz à effets de serre à l’échelle du Québec. »
Une arme contre les changements climatiques
Les milieux humides comme les tourbières sont extrêmement utiles pour capter et séquestrer le carbone, ce qui contribue à réduire de façon naturelle la présence des gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Une étude de 2015, financée par le gouvernement, révélait que 95 % du carbone stocké dans les tourbières et les forêts du Québec se situe au nord du 49e parallèle.
Selon le gouvernement du Québec, lui-même, le nord du 49e parallèle « constitue l’un des derniers endroits de la planète présentant un potentiel de conservation de vastes territoires naturels » et « dispose de ressources fauniques exceptionnelles, dont des rivières à saumon mondialement reconnues ».
« Si le règlement s’appliquait au nord du 49e, ça limiterait considérablement le potentiel de développement industriel », croit Michelle Garneau, directrice de la Chaire de recherche sur la dynamique des écosystèmes tourbeux et changements climatiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « Ce seraient des sommes astronomiques qu’il faudrait payer dans cette région. » Elle pense que c’est ce qui a guidé le gouvernement dans sa décision.
« On aurait pu utiliser ces fonds-là pour renflouer certaines régions dans le sud qui ont un manque criant de milieux humides », estime Monique Poulin, professeure au département de phytologie de l’Université Laval et spécialiste des tourbières. Elle pense que le règlement « vient amoindrir la loi » et crée des disparités entre les régions et les secteurs industriels.