Villages solidaires et faune menacée : récit du passage canadien du Nord-Ouest
Pour le commun des mortels, ce passage évoque des aventures impossibles et lointaines. Mais pour la plongeuse et cinéaste Nathalie Lasselin, il est comme un ami de la famille qu’elle visite deux fois par an. Elle y découvre des villages reculés, où l’entraide domine, et une faune menacée. Et en tire un film, Immersion arctique : Passage du Nord-Ouest.
L’épicerie d’Igloolik ferme à 18 heures. Nathalie Lasselin se souvient : « Je n’avais pas regardé ma montre et je me rends compte que je n’aurai qu’un sac de croustilles comme souper. En rentrant de la pêche, des jeunes troquent leur viande de phoque qu’ils viennent de pêcher contre mes croustilles, et on a passé une belle soirée. »
Le troc et l’entraide qui règnent dans les villages du passage du Nord-Ouest ont frappé Nathalie Lasselin. Elle retient aussi un face à face avec l’isolement, le vrai : le village le plus proche d’Igloolik est à deux heures en skidoo.
Depuis 2015, la plongeuse chemine sur le passage à bord d’un brise-glace. À chacune de ses venues, elle explore les fonds marins, remonte, discute avec les villageois. Puis elle présente ses images et son message à des touristes qui voguent à travers le passage à bord d’un bateau de croisière.
« Je ne veux pas te parler »
À Igloolik ou à Pond Inlet, les premières rencontres la marquent.
« Un homme à Pond Inlet me dit qu’il ne veut pas me parler, que ma langue lui rappelle celle qu’on lui a apprise de force alors qu’il était petit, à l’école. » Mais la glace se brise le lendemain, il revient et, curieux, lui pose des questions.
Nathalie Lasselin y découvre aussi d’autres définitions de la famille. En discutant avec les gens d’Igloolik, beaucoup lui disent avoir été adoptés. Ils lui racontent que, dans ces villages, il arrive que, si un père ne peut assumer financièrement la naissance d’un enfant, ce sera son frère, sa soeur, un oncle ou les grands-parents qui vont l’élever.
Mais tous n’ont pas la chance d’être bien entourés. Un matin à l’aube, elle découvre un enfant de cinq ans en train de marcher seul sur la banquise, au loin. Ses mains sont gelées, il a faim et ne peut les bouger. Après l’avoir ramené au village, elle apprend que sa mère, aux prises avec des problèmes d’alcool, a oublié de s’en occuper.
Les adolescents des villages du passage, eux, aperçoivent la vie urbaine à travers leurs écrans, sans vraiment pouvoir y goûter. « On m’a demandé si j’avais le dernier iPhone. Là-bas, c’est leur rêve », évoque Nathalie Lasselin.
« 10 degrés, la canicule pour un ours polaire »
Ici, le réchauffement climatique ne se discute plus. Les chasseurs que Nathalie Lasselin a rencontrés lui racontent : les narvals qui vont plus loin pour aller chercher la nourriture, les morses aussi. Et ce sont des ours polaires de plus en plus efflanqués qui arpentent la banquise. Elle désigne un ours de son film : « Celui là est mince, et il fait 5 degrés sur l’image : à 10 degrés, c’est la canicule pour lui. »
Avec les degrés qui montent, les déplacements changent aussi. « La glace s’affine, les skidoos cassent plus facilement sur une banquise plus mince, irrégulière. Il n’est pas rare que l’on se promène, on en voit un, arrêté au beau milieu de la banquise. »
Une croisière pédagogique
Ce film est issu d’un partenariat entre elle et l’agence Arctic Kingdom, qui propose des voyages pour touristes aisés, voire plus. Il faut compter près de 20 000 $ pour un séjour d’une semaine sur le bateau.
Nathalie Lasselin a hésité avant d’accepter : « Les croisières peuvent avoir des effets sur l’environnement. »
D’autant plus sur une voie autrefois impossible à traverser, et désormais, de plus en plus navigable. « Le bruit des moteurs peut effrayer la faune, qui s’en va plus loin », ce qui peut gêner poissons et pêcheurs.
Les touristes vont aussi sur la glace ferme goûter au frisson et à la beauté en observant les ours polaires.
« Mon message aux touristes, c’est que d’observer tout cela, c’est un privilège qui vient avec des responsabilités. On ne sait pas ce qu’il adviendra des ours polaires d’ici 20 ans. »
Quand l’iceberg se brise
Le film présente des images exceptionnelles d’une faune que peu ont la chance d’apercevoir. Les espèces qui vivent dans les eaux du passage ne sont pas aussi documentées que celles de mers plus tempérées. On y découvre par exemple des béroés, ancêtres des méduses, dont certaines encore méconnues.
Sur le brise-glace, Nathalie guettait les icebergs, ces géants de glace qui lui fournissent toujours de belles images. « Mais les icebergs sont vivants… » Et dangereux.
Après en avoir aperçu deux côte à côte, elle jette son dévolu sur celui de gauche puis s’aventure au plus près, se retrouve même à l’intérieur. En remontant, son capitaine et une plongeuse de sécurité l’accueillent, morts d’inquiétude. « Ils m’ont demandé si je n’avais rien : l’iceberg voisin s’était effondré, et je n’avais rien entendu. »
Le film Immersion arctique : Passage du Nord-Ouest est projeté ce soir (27 septembre) à St-Eustache, le 29 septembre à Drummondville et le 25 novembre au cinéma Beaubien à Montréal. En 2019, il sera diffusé dans une quinzaine de villes du Québec.