Pourquoi faisons-nous l’autruche face aux changements climatiques?
Les changements climatiques ont le même effet sur la population que sur les politiciens. L’enjeu les préoccupe, mais quand vient le temps de passer de la parole aux actes, il y a un pas qu’ils ne sont pas prêts à franchir. Les scientifiques nous disent pourtant que la planète a un grave cancer et nous faisons l’autruche. Pourquoi?
Au Québec, de gauche à droite du spectre politique, aucun parti ayant fait élire des députés ne remet en question les changements climatiques.
On peut donc supposer que tous les chefs sont en accord avec le discours scientifique selon lequel le réchauffement se manifeste plus vite que prévu et que les risques qu’il devienne incontrôlable sont grands.
Au terme d’un été qui a vu se développer des canicules historiques partout dans l’hémisphère nord, est-ce nécessaire de reprendre ici la ritournelle des effets que provoque ce bouleversement du climat? Nous savons que les canicules, les inondations et les événements climatiques extrêmes seront de plus en plus nombreux.
Mais malgré l’alerte climatique lancée par les scientifiques, personne ne semble prendre la mesure des dangers qui s’annoncent.
Ni la plupart des politiciens qui aspirent à prendre le pouvoir ni les citoyens qui ne sont pas très mobilisés.
Face à la menace climatique, les premiers proposent d’élargir les autoroutes et continuent d’opposer dans les discours l’économie et l’environnement; les seconds mettent l’environnement au sommet de leur liste de priorités, mais se rebiffent quand on leur soumet l’idée qu’ils devront payer de leur poche ou qu’ils devront changer leur mode de vie (voir les données de la Boussole électorale de Radio-Canada).
Le décalage entre ce que nous savons et les gestes que nous sommes prêts à poser est immense.
C’est le fameux syndrome de l’autruche, bien documenté par des sociologues et des psychologues : face à un problème qui nous semble insurmontable, nous faisons tout pour l’ignorer.
Un ennemi mal défini
« Les problèmes auxquels nous portons attention ont un ennemi clair », explique George Marshall en entrevue à Radio-Canada. C’est le cofondateur de l’ONG Climate Outreach et auteur du livre Le syndrome de l’autruche : pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique. Un livre pour lequel il a consulté de nombreux chercheurs qui ont étudié la question de la perception du risque et de la réaction publique qui s’ensuit.
M. Marshall cite en exemple la lutte contre le terrorisme. « Dans les faits, la menace est très faible pour chacun d’entre nous, dit-il. Mais nous y réagissons très promptement, parce que l’ennemi est clair et notre cerveau est configuré pour y réagir. Les changements climatiques ne sont pas ce genre de menace, car il n’y a pas d’ennemi clair », dit-il.
C’est ainsi qu’il explique l’action internationale prise rapidement en 1987 avec le Protocole de Montréal pour contrer l’expansion du trou dans la couche d’ozone. Il s’agissait de remplacer un type de gaz par une nouvelle technologie.
Se basant sur les travaux de psychologues spécialistes de la perception du risque, George Marshall affirme que les gouvernements et les citoyens se mobiliseront si la menace est concrète, assez soudaine, assez grave et si on peut l’associer à un rival clairement identifiable.
Les gens se mobiliseront contre l’aménagement d’un dépotoir de déchets nucléaires, d’une autoroute ou d’un pipeline, mais pas nécessairement contre les changements climatiques. Autrement dit, pas contre les voitures, les avions, la viande ou les maisons trop grandes.
« C’est difficile à réconcilier, parce que dans le cas du climat, l’ennemi, c’est chacun d’entre nous. Nous sommes grégaires, ajoute M. Marshall, on aime se savoir partie d’un groupe qui se bat contre un autre groupe, mais quand il s’agit de se battre tout le monde ensemble, il n’y a plus d’ennemi ».
Comme tout le monde contribue au problème, tout le monde a une bonne raison de l’ignorer.
Nier la réalité
« On a une grande aptitude à ne pas voir le danger qui va nous frapper, souligne Pierre-Henri Gouyon, professeur au Muséum d’histoire naturelle de Paris. Dès qu’on naît, on sait qu’on va mourir. Donc, on essaie de l’occulter de nos vies tous les jours », dit-il.
Comme la menace est abstraite, comme elle n’est pas immédiate, l’émotion nécessaire à la mise en place d’une réaction vive et appropriée n’est pas là.
Pour les fins de son livre, George Marshall a consulté des chercheurs en psychologie qui travaillent avec des victimes de catastrophes naturelles. Il s’est aussi rendu dans le New Jersey, qui a été en partie dévasté par l’ouragan Sandy en 2012, où il a constaté que de nombreux riverains sont convaincus que ça n’arrivera plus jamais.
« Intellectuellement, notre cerveau comprend l’ampleur du problème, mentionne George Marshall. Mais nous ne le ressentons pas. Nous balayons les gros problèmes sous le tapis pour rester sains d’esprit », dit-il.
Le cerveau ne serait tout simplement pas programmé pour répondre à des menaces si diffuses et si lointaines.
« Dites à un ado que la cigarette qu’il fume va le faire mourir à 60 ans, et il va vous rire au visage », cite en exemple M. Marshall.
Se priver maintenant, mais pourquoi?
Une des raisons pour lesquelles personne n’ose prendre le taureau de la crise climatique par les cornes, c’est qu’elle appelle à un abandon de ce qui rend la vie harmonieuse. Nos véhicules, nos déplacements rapides en avion, nos grandes maisons chauffées ou notre succulent repas quotidien de viande.
Si elle était prise sérieusement, la crise climatique obligerait aussi les gouvernements à sacrifier de lucratifs projets de développement économique au nom de l’avenir de la planète.
« Prendre des mesures pour lutter aujourd’hui contre les changements climatiques implique qu’il y a un coût immédiat afin d’éviter des pertes plus importantes dans l’avenir », indique M. Marshall.
Le problème, c’est qu’il est impossible de connaître ces pertes futures avec précision. Les conséquences sont incertaines, ce qui plombe grandement une possible mobilisation publique, qu’elle soit citoyenne ou étatique.
De plus, la crise climatique est confrontée au problème économique du resquilleur, qu’on peut illustrer ainsi : si mon voisin prend sa voiture, pourquoi me priverais-je de la mienne? Pourquoi profiterait-il de mes actions alors qu’il ne fait rien?
Et de toute façon, qu’est-ce que ça change pour la planète si je ne prends pas ma voiture? Après tout, ce n’est qu’une seule petite voiture parmi des millions d’autres!
Ainsi, selon cette logique, pourquoi l’Alberta se priverait-elle de ses sables bitumineux au nom de l’environnement alors que la Chine carbure au charbon pour assurer son développement?
« Chacun d’entre nous a l’impression que l’action personnelle est diluée dans une responsabilité collective à l’échelle planétaire, et que l’impact de notre action n’en vaut pas la peine », explique Pierre-Henri Gouyon.
Un discours positif
Alors, que faire pour stopper cette fuite en avant?
« Il faut en parler d’une autre façon, pense George Marshall. Si vous me dites que je dois agir pour éviter la catastrophe à mes enfants, cela suggère que si je continue à prendre ma voiture, je me fous de mes enfants! Ça me fâche et ça me donne encore moins envie d’agir », dit-il.
Il est d’avis que le discours public doit donc mettre l’accent sur les problèmes concrets, et les avantages que cela nous procure au quotidien. « Quand on parle du transport, il faut mettre les changements climatiques au bas de la liste et parler plutôt de qualité de l’air », suggère M. Marshall.
Il conseille aussi de parler beaucoup plus des bénéfices de lutter contre les changements climatiques : les emplois, l’image, la fierté nationale.
« Si je travaillais au Québec, je parlerais d’abord et avant tout du Québec », dit-il. Il suggère ainsi aux élus et aux électeurs de réfléchir à ce qui les rend fiers au quotidien, en tant que Québécois. L’image qu’ils projettent à l’étranger, leur sentiment de faire partie d’un peuple moderne et innovateur ou leur désir d’être du bon côté de l’histoire.
« Nous savons qu’une des bonnes façons de mobiliser les gens, c’est de les rendre fiers de ce qu’ils font et de ce qu’ils sont », conclut M. Marshall.