L’inuktitut parmi les langues autochtones les plus parlées au Canada
Certaines langues autochtones, comme le cri, l’ojibwé ou l’inuktitut, s’en sortent pas trop mal, pour l’instant. Mais d’autres, comme le kutenai, le tlingit ou le haïda, parlées par une poignée de personnes souvent très âgées, risquent de disparaître d’ici peu. Et la situation varie d’une communauté à l’autre.
En cette Année internationale des langues autochtones, le moment est opportun pour faire le point sur la situation linguistique des premiers peuples du Canada.
Les chiffres les plus récents sont ceux du recensement de 2016 de Statistique Canada, où plus de 70 langues autochtones encore vivantes ont été répertoriées. Elles sont réparties en une douzaine de familles linguistiques : les langues inuites, algonquiennes, athapascanes (ou athabascanes), siouennes, salishennes, tsimshennes, wakashanes et iroquoiennes ainsi que le tlingit, le haïda, le mitchif (ou métchif) et le kutenai (ou kootenai).
Nous avons croisé les données de Statistique Canada et celles du ministère des Affaires autochtones et du Nord (AANC) pour constituer la carte interactive qui suit un peu plus bas.
Les proportions – approximatives – de locuteurs ont été calculées à partir des données du recensement. Les dénombrements des populations dites « inscrites », qui datent de janvier dernier, viennent du ministère des Affaires autochtones et du Nord. Ils incluent tous les Autochtones ayant un lien avec une communauté et non pas que ses résidents.
Si certaines des quelque 640 communautés disposent de plus d’un territoire, toutes sont localisées ci-dessous en un seul endroit et identifiées par leur organisme de gouvernance.
La prévalence des langues algonquiennes est l’une des premières constatations qui s’imposent à la vue de la carte, notamment celle du cri et de ses déclinaisons, comme le cri des plaines, le cri des bois ou le cri des marais.
Près de 70 000 individus ont indiqué que le cri était leur langue maternelle, lors du dernier recensement, et près de 44 000 ont affirmé que c’était celle dans laquelle ils s’exprimaient à la maison. Si l’on inclut tous ceux qui disent pouvoir tenir une conversation de base en cri, leur nombre approche 96 600.
Il n’est donc pas étonnant que ce soit la seule langue autochtone dans laquelle CBC diffuse certaines émissions de radio (Winschgaoug le matin et Eyou Dipajimoon le midi).
C’est aussi en cri que le Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN) a présenté un match du Canadien de Montréal et des Hurricanes de la Caroline au mois de mars.
C’est encore en cri que le parlementaire Robert-Falcon Ouellette a prononcé en janvier dernier le tout premier discours en langue autochtone de l’histoire de la Chambre des communes. Cet événement a changé la donne, selon M. Falcon-Ouellette. Il a eu une pensée pour les Autochtones qui verront désormais que les grands débats parlementaires peuvent aussi se dérouler dans leur langue.
« Ces langues ne seront plus seulement des langues historiques, des langues du patrimoine, mais plutôt des langues vivantes, des langues contemporaines », d’après le député libéral de Winnipeg-Centre.
Il faut ajouter au cri les autres langues algonquiennes : l’innu, l’ojibwé, l’oji-cri, l’attikamek ou le micmac, notamment.
Près de 176 000 personnes ont dit pouvoir parler, au moins dans une certaine mesure, l’une ou l’autre des langues algonquiennes en 2016, d’après Statistique Canada. Cela représente les deux tiers des 260 550 locuteurs de langues autochtones du pays qui sont issus des premiers peuples.
Notons au passage qu’il y a un peu plus de 3000 Canadiens ne se déclarant pas d’identité autochtone qui parlent tout de même au moins une de ces langues.
Avec un peu plus de 42 000 locuteurs, les langues inuites constituent la deuxième famille linguistique autochtone en importance au pays.
La domination de l’inuktitut au sein de cette famille est sans équivoque : près de 39 800 personnes peuvent le parler. Cette population est surtout concentrée au Nunavut et au Nunavik, la région inuite du Nord québécois.
Les Inuits n’ayant pas le même modèle de gouvernance que les Premières Nations, ils ont été regroupés par région sur notre carte.
Le mitchif n’apparaît pas dans la légende parce qu’il n’est majoritaire dans aucune communauté ayant participé au recensement. L’une des quatre langues ne relevant d’aucune autre famille plus large, c’est celle qui est spécifique aux Métis.
Des langues à protéger
La carte illustre d’autre part la grande diversité linguistique autochtone de la Colombie-Britannique. On y retrouve plus d’une trentaine d’idiomes uniques et près d’une centaine de dialectes.
Pourtant, dans toute la province, moins de 6000 personnes parlent l’une ou l’autre de ces langues. Le kutenai est dans une posture particulièrement précaire, avec moins de 200 locuteurs.
Dans leur ensemble, les langues autochtones sont en déclin. Elles ont perdu près de 6 % de leurs locuteurs aptes à soutenir une conversation de 2006 à 2016, même si le nombre de ceux capables de dire quelques mots a augmenté, lui, d’un peu plus de 3 %
Les 260 550 locuteurs de langues autochtones représentent moins de 16 % des 1,7 million d’Autochtones du Canada.
Les deux tiers des 65 000 Inuits peuvent converser dans une langue autochtone, alors qu’environ un cinquième des 977 000 membres des Premières Nations peuvent le faire. Cette proportion est inférieure à 2 % chez les 580 000 Métis.
« Mais il y a maintenant de l’espoir. [Une nouvelle loi] appuiera les efforts des Premières Nations pour conserver leurs langues vivantes et fortes », souligne M. Bellegarde.
Le gouvernement de Justin Trudeau a déposé en février son très attendu projet de loi visant à les protéger. Il a depuis été adopté en deuxième lecture et renvoyé devant le Comité permanent du patrimoine canadien.
Le projet de loi C-91 du ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, reconnaît que « les langues autochtones font partie intégrante des cultures et des identités des peuples autochtones et de la société canadienne » et prévoit « un financement durable ».
Mais tous ne partagent pas l’avis de M. Bellegarde à l’égard du projet de loi fédéral.
Natan Obed, chef de l’Inuit Tapiriit Kanatami, déplore l’absence d’articles concernant spécifiquement son peuple. Il estime qu’Ottawa est de « mauvaise foi » et qu’il est ici question d’« une mesure législative développée à huis clos par un système colonial en vue d’être imposée aux Inuits ».
Ne comptant pas que sur Ottawa, de nombreux groupes ont mis sur pied leurs propres initiatives pour préserver leur héritage linguistique.
Des cours plus ou moins formels sont offerts par une multitude de communautés et d’autres organismes, et plusieurs universités ont mis sur pied des programmes plus poussés. Des dictionnaires, des cahiers d’apprentissage, des jeux pédagogiques et des outils en ligne sont également disponibles.
M. Falcon-Ouellette évoque la possibilité d’établir des partenariats avec de grands fournisseurs de services web. Il rêve par exemple de voir Google inclure des langues autochtones parlées au Canada à son outil de traduction.
Collaboration limitée
Ce ne sont pas toutes les communautés qui offrent leur pleine collaboration à Statistique Canada. Les données sont donc imparfaites.
Dans certains cas, des résidents préfèrent ne pas répondre aux questions de l’agence fédérale dans des proportions plus ou moins importantes, ce qui rend le portrait approximatif.
Dans d’autres cas, ce sont les dirigeants locaux qui refusent de laisser le recensement se faire chez eux, ce qui explique l’absence complète de données pour une douzaine de collectivités.
« Ça peut être complètement politique », a souligné Statistique Canada au moment de publier les résultats du dénombrement de 2016, ajoutant que ce dernier avait aussi été compliqué par d’importants feux de forêt dans l’ouest du pays.
Effectivement, pour certains, il n’est pas question de se plier aux demandes du gouvernement du Canada.
C’est la position qu’ont notamment adoptée les leaders des Mohawks de Kanesatake et Kahnawake, tout près de Montréal, qui refusent de participer au recensement.
Avec la collaboration de Jean-Philippe Guilbault et de Naël Shiab