Documenter les milieux humides des Territoires du Nord-Ouest, dans le Nord canadien
« Dans n’importe quelle poignée de boue du delta de la rivière des Esclaves, il y a tout un tableau périodique d’éléments. La question est : les niveaux sont-ils ce à quoi on pourrait s’attendre naturellement, ou sont-ils au-dessus ? Nous cherchons la réponse à cette question. »
Ainsi s’exprime le docteur Lorne Doig, du Centre de toxicologie de l’Université Saskatchewan, qui concluait le 21 septembre dernier une séquence de prélèvement d’échantillons au sud de Fort Resolution.
Cette recherche s’effectue dans cadre d’un partenariat avec la Première Nation Deninu Kue, le Conseil des Métis de Fort Resolution, et le ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles des Territoires du Nord-Ouest.
Ces partenaires et quelques autres, dont l’Institut de recherche Aurora, avaient déjà œuvré ensemble entre 2013 et 2016, au sein du programme SWEEP (Slave Watershed Environmental Effects Program), à étudier la qualité de l’eau et des poissons de la rivière des Esclaves et de son delta.
Aujourd’hui, les partenaires se concentrent sur leurs milieux humides.
La baisse des crues
« Il y a des préoccupations constantes parmi les communautés le long de la rivière aux Esclaves sur les impacts cumulatifs des activités passées, présentes et futures en amont de la rivière et des changements climatiques », précise Lorne Doig, cochercheur principal du projet avec Kathleen Fordy et Shawn McKay.
Avec les changements climatiques et ces activités, par exemple, la rétention d’eau du barrage Bennett en Colombie-Britannique et le nombre de crues saisonnières, qui inondent les milieux humides, ont diminué.
Or, les crues charrient des sédiments dans les milieux humides, ils jouent un rôle dans leur constitution, du sol jusqu’aux formes de vie animale.
Et comme l’équipe de recherche anticipe qu’à l’avenir, les milieux humides se constitueront à partir des averses de neige et de pluie plutôt qu’avec l’eau de la rivière, les milieux humides sont en transformation, notamment en ce qui a trait aux métaux et aux concentrations de nutriments.
Des transformations sont l’objet des études de l’équipe codirigée par Lorne Doig, qui se penchera sur les concentrations de mercure et de 20 autres métaux, dont le cadmium, le cuivre et le plomb.
« Le mercure remonte la chaine alimentaire du non-vivant jusqu’au poisson, note M. Doig, et est bioamplifié à chaque niveau, c’est pour ça que l’on s’en préoccupe. »
« Nous n’avons pas trouvé de contamination dans les chenaux principaux de la rivière lors nos recherches précédentes, rappelle-t-il. Maintenant nous documentons les milieux humides au chapitre des nutriments et des métaux traçables. Peut-être que la concentration de ces derniers reflète le milieu naturel, comme nous nous y attendons, mais nous n’en sommes pas encore surs. »
Le scientifique considère également que les recherches actuelles permettront de mieux cerner l’impact que des espèces invasives pourraient avoir sur les écosystèmes.
« Les moules se répandent au Canada, fait observer Lorne Doig. La question n’est pas de savoir si elles vont ou non entrer dans la rivière des Esclaves, mais quand ça va arriver. »
Échantillonnage
De la mi-août au 21 septembre, le docteur Doig a fait de l’échantillonnage sur le terrain en compagnie d’un étudiant bénévole de l’Université de Saskatchewan et ainsi que de représentants de la Première Nation Deninu Ke et du Conseil des Métis de Fort Resolution.
Ils ont amassé dans un premier temps des composantes abiotiques, comme de l’eau et des sédiments, puis des algues, des invertébrés et des poissons.
« L’idée, précise Lorne Doig, est de mettre ensemble les éléments de la chaine alimentaire pour comprendre comment les métaux traçables se retrouvent dans cette chaine alimentaire et, en tenant compte des différents types de milieux humides, d’être capable de prédire comment les mouvements de ces métaux peuvent changer dans le futur. »
Ces changements vont également modifier la nature des nutriments dans les milieux humides; dans un second temps, les chercheurs se pencheront sur l’impact de cette modification sur la chaine alimentaire.
Les recherches menées par les partenaires pourront alimenter le programme de surveillance mis en place au terme de l’Entente sur les eaux transfrontalières du bassin versant du fleuve Mackenzie.
Le rapport sera publié dans deux ans et demi et fera l’objet d’articles dans des revues scientifiques.
Dans le rapport du SWEEP paru en 2017, on faisait état d’une amélioration d’indicateurs de la santé des poissons par rapport à des observations datant de 2011-2012.
« Bien que les taux de contaminants aient été jugés inférieurs à ce qui est préoccupant pour la santé humaine, était-il noté, les problèmes de gout et de texture du poisson demeurent inquiétants pour les collectivités. »