Un audacieux parachutage de troupes russes en Arctique interpelle le Canada

Sur cette photo publiée par le ministère de la Défense russe, on aperçoit des parachutistes se déployant dans des conditions hivernales. (Photo : Radio-Canada / Ministère de la Défense de la Russie)
Un exercice de combat mené par l’armée russe dans les conditions climatiques les plus extrêmes du cercle polaire a révélé un degré de préparation et une maîtrise logistique hors du commun qui préoccupent les nations qui revendiquent leur souveraineté dans l’Arctique, dont le Canada.

Lors de cette mission considérée comme un exploit par plusieurs observateurs et experts militaires, des troupes russes aéroportées ont été larguées à 10 000 mètres d’altitude sur l’archipel François-Joseph, un archipel russe situé en Haut-Arctique. À cette altitude, les parachutistes doivent être munis de masques, de réserves d’oxygène et de systèmes de navigation.

Selon des informations publiées par le ministère russe de la Défense, une fois au sol, les troupes ont procédé à divers exercices de combat pendant au moins trois jours par un froid extrême dans des conditions désertiques.

D’après Moscou, l’exercice mené avec succès le 25 avril dernier visait à mettre à l’épreuve les hommes et la nouvelle technologie de combat développée par la Russie pour combattre et évoluer dans des conditions de froid extrême.

Un exploit militaire, selon les experts
Le ministère de la Défense russe a fait paraître des images vidéo et des photos des soldats qui ont sauté à plus de 10 000 mètres d’altitude sur l’archipel François-Joseph. (Photo : Radio-Canada / Ministère de la Défense de la Russie)

Le vice-ministre russe de la Défense, le lieutenant-général Yunus-Bek Yevkurov, a déclaré : « Nous sommes très heureux d’avoir pu participer à ces tests », en précisant qu’un largage de troupes à une telle altitude en Arctique était une première dans ce domaine.

De l’avis de plusieurs experts, dont Andrea Charron, directrice du Centre d’études sur la défense et la sécurité de l’Université du Manitoba, ce parachutage est en effet un exploit.

« C’est la plus haute chute d’altitude que nous ayons jamais vue [pour un tel parachutage] », a déclaré Mme Charron à notre collègue de CBC, Murray Brewster.

« Une fois débarqués, ils ont effectué un exercice d’entraînement au combat de trois jours. C’est tout simplement un incroyable exploit d’endurance humaine, que vous le considériez du point de vue militaire ou sous un autre angle. »Andrea Charron, directrice du Centre d'études sur la défense et la sécurité de l'Université du Manitoba

Cette réussite militaire russe – qui est passée inaperçue chez nous en raison de la couverture médiatique de la pandémie de COVID-19 – a cependant été largement diffusée en Russie et dans les pays d’Europe de l’Est, et des reportages ont montré des images spectaculaires de l’opération.

À Moscou, le ministère russe de la Défense a présenté une vidéo de cet exploit en guise de commémoration du 75e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Démonstration de force ou mesure de diversion?
Un soldat russe monte la garde lors d’un déploiement en zone arctique. (Maxime Popov/AFP/Getty Images)

Toutefois, dans un contexte géopolitique où la Russie a montré ces dernières années des visées expansionnistes, notamment en annexant la Crimée et dans l’est de l’Ukraine, faut-il s’inquiéter d’une telle démonstration de force en Arctique?

Les experts canadiens de la défense sont divisés sur la question de savoir s’il s’agit bien d’un avertissement servi aux pays membres de l’OTAN, notamment le Canada, ou plutôt d’un exercice de communication destiné à détourner l’attention de la population russe.

« Je ne suis pas sûr que l’OTAN devrait sous-entendre une quelconque intention par cet exercice », estime Andrea Charron.

« La Russie est connue pour pousser ses militaires à faire l’impossible, et ces belles photos sont un excellent moyen de détourner l’attention du fait qu’elle a maintenant plus de 200 000 cas de COVID-19 confirmés et que, de l’avis général, elle ne gère pas très bien la situation. »

Cependant, les Russes n’ont jamais caché non plus leur ambition en ce qui concerne les régions de l’Arctique où ils sont militairement actifs depuis longtemps, souligne pour sa part l’expert en défense de l’Université de Calgary, Rob Huebert.

Selon lui, le fait de démontrer au monde entier qu’ils peuvent s’emparer d’une île en zone arctique dans des conditions climatiques aussi extrêmes est un message sans équivoque qu’envoient les Russes à l’OTAN.

« Les Russes sont très sérieux quand ils disent qu’ils veulent être la puissance militaire dans la région arctique. »Rob Huebert, expert en défense de l’Université de Calgary
La Norvège et le Canada en première ligne
Un militaire canadien en exercice hivernal. (Radio-Canada)

La Norvège et le Canada, en particulier, devraient tous deux être très attentifs à cette démonstration de force, selon Rob Huebert.

Cet exercice, explique-t-il, doit être placé dans le contexte plus large des autres activités que mène la Russie dans le Grand Nord, notamment la réactivation de bases arctiques abandonnées depuis longtemps pendant la guerre froide et l’installation de systèmes de défense aérienne sophistiqués.

Selon M. Huebert, les ambitions de la Russie dans l’Arctique sont en partie dues au fait que les ressources minières et pétrolières du Nord deviennent disponibles avec la fonte des glaces due aux changements climatiques. La volonté de Moscou de tenir les nations voisines à distance de sa flotte de sous-marins nucléaires basée dans le nord de la Russie motiverait aussi sa présence militaire accrue en Arctique.

Pour Andrea Charron, cette activité russe en Arctique est un signal qu’il ne faut pas négliger, dans la mesure où, selon elle, « nous ne comprenons pas la stratégie russe en Arctique aussi bien que nous le pensons ».

« Ma grande inquiétude est que nous interprétions mal ce que font les Russes, ou vice versa. En ces temps particulièrement tendus concernant l’économie mondiale, c’est là qu’il y a des malentendus, des incidents et des accidents », soutient Andrea Charron.

Au Canada, en dépit des efforts du gouvernement Trudeau pour accroître la présence canadienne dans l’Arctique, les exercices militaires de cette nature doivent s’intensifier chez nous aussi, croit Rob Huebert.

Les troupes canadiennes et américaines ont, pendant des années, mené leurs propres exercices dans l’Arctique par temps froid, y compris des parachutages, mais cette fois, la Russie a poussé la barre plus loin en matière de déploiement par climat extrême.

« Les Russes ont mené leur exercice alors que le temps était encore assez misérable, et non pas en été comme le fait le Canada avec l’opération Nanook », ajoute M. Huebert.

« Nous nous sommes moqués des Russes, mais je pense que nous ne rirons plus », conclut-il.

Avec les informations de Murray Brewster, de CBC News

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