La Russie succède à l’Islande à la tête du Conseil de l’Arctique
Après deux années mouvementées pour la communauté arctique qui a navigué sur plusieurs fronts, allant d’une pandémie mondiale à une administration américaine précédente réfractaire à la reconnaissance des changements climatiques, en passant par la montée des tensions entre la Russie et l’Occident, le Conseil de l’Arctique a retrouvé une forme d’unité jeudi. Les huit ministres des Affaires étrangères ont pu signer une déclaration commune en vantant l’importance du dialogue et la coopération dans le Grand Nord.
« La Russie a l’intention de maintenir l’esprit de coopération, de renforcer l’interaction entre tous les États membres et d’accroître notre volonté d’élaborer les meilleures solutions pour l’Arctique et ses habitants », a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.
S’adressant aux délégués, avant même que la Russie ne reprenne le relais de la présidence tournante du Conseil pour une durée de deux ans, le ministre a indiqué que l’Arctique est « le territoire de la paix, de la stabilité et de la coopération constructive », ajoutant se sentir heureux de constater que tous les partenaires partagent ce point de vue.
Les prochaines priorités de la présidence russe, qui succède ainsi à l’Islande, sont le développement durable, la protection de l’environnement, le développement socio-économique et le renforcement du Conseil de l’Arctique.
Lors de son discours, M. Lavrov a également exprimé le soutien de la Russie à l’organisation d’un prochain sommet de l’Arctique ainsi qu’à la reprise des réunions des chefs d’état-major de la défense de l’Arctique. Elles ont été suspendues en 2014 à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie.
« La Russie a un bon programme », a souligné lors d’une entrevue téléphonique Heather Exner-Pirot, directrice de la rédaction de l’Arctic Yearbook, membre de l’Institut Macdonald Laurier et Global Fellow au Wilson Center.
« Ce qui est intéressant, c’est que Moscou veut organiser un sommet des chefs d’État réunissant Poutine et Biden. Puis le ministre russe des Affaires étrangères a de nouveau appelé à la reprise des réunions des chefs d’état-major. Selon moi, cela signifie que la Russie pourrait utiliser cette présidence, via son levier dans l’Arctique, pour réduire certaines des sanctions qui lui ont été imposées après l’annexion de la Crimée. »
Les États-Unis sont de retour à la table
De son côté, le gouvernement américain a cherché à se repositionner comme un véritable partenaire lors de cette réunion ministérielle, la première à laquelle a participé l’administration Biden. On se souvient que la réunion du Conseil de l’Arctique de 2019 s’était terminée par le refus du chef de la diplomatie américaine de l’époque, Mike Pompeo, de signer une déclaration commune abordant le climat. Il avait également fortement critiqué le Canada, la Russie et la Chine pour leurs activités dans le Grand Nord.
« Tout le monde observe le retour d’une administration américaine sur la scène de l’Arctique prête à parler du changement climatique et à chercher de nouvelles façons de coopérer avec les autres nations », a déclaré au téléphone Marc Lanteigne, professeur de sciences politiques à l’Université de Tromso, l’université arctique de Norvège.
« Je ne dirais pas que les États-Unis ont complètement abandonné leur position en matière de sécurité, mais il y a là l’espoir que les États-Unis sont aussi prêts à aborder d’autres préoccupations majeures concernant l’Arctique, comme la santé humaine et environnementale. »
Plan stratégique, une occasion manquée de leadership?
La réunion ministérielle a été l’occasion pour le Conseil de l’Arctique de publier un plan stratégique sur dix ans (2021-2030), affirmant qu’il « … reflète les valeurs partagées et les aspirations communes des États arctiques et des participants permanents, afin de faire progresser le développement durable, la protection de l’environnement et la bonne gouvernance dans la région ».
Rappelons que le Conseil de l’Arctique est un forum intergouvernemental qui se compose de huit États arctiques (Canada, Danemark, États-Unis, Finlande, Islande, Norvège, Suède, Russie) et de six organisations internationales de peuples autochtones à titre de participants permanents : l’Association internationale des Aléoutes, le Conseil arctique des Athabascans, le Conseil international des Gwich’in, le Conseil circumpolaire inuit, l’Association russe des peuples autochtones du Nord et le Conseil des Samis.
Le forum a été créé en 1996 pour permettre aux États arctiques de travailler ensemble à la protection de l’environnement et au développement durable. La direction de l’organisme est assurée à tour de rôle par les États arctiques lors des réunions biennales du forum, mais les appels se sont multipliés au fil des ans pour que le Conseil de l’Arctique adopte une approche à plus long terme, et ce, au-delà des périodes de présidence de deux ans.
Le plan publié jeudi énonce sept objectifs : le climat de l’Arctique, des écosystèmes arctiques résilients, un environnement marin arctique sain, un développement social et économique durable, l’accroissement des connaissances et des communications et le renforcement du Conseil de l’Arctique.
« Un plan sans controverse »
Mme Exner-Pirot affirme que le plan est une occasion manquée. « Ce plan sans controverse ne contient que des évidences afin de plaire à tout le monde, donc je suis surprise que cela ait pris autant de temps », a-t-elle dit. « Ce n’est pas qu’il y ait quelque chose de mal dans ce qu’il contient, c’est juste qu’il n’y a pas de réforme ni d’ambition. »
« C’est décevant, car le Conseil de l’Arctique fait du bon travail. Il surveille, évalue et rassemble des données scientifiques de qualité, a-t-elle poursuivi. C’est également une très bonne chose que les huit ministres se réunissent tous les deux ans, mais on se demande s’ils ne pourraient pas en faire plus dans les circonstances.»
Les travaux du Conseil de l’Arctique sur les émissions de carbone noir, et l’inclusion dans la déclaration de Reykjavik de 2021 de réduire le polluant de 25 à 33 % par rapport aux niveaux de 2013 d’ici 2025, est un exemple du type d’objectif concret où l’organisme pourrait faire preuve de leadership, a expliqué Mme Exner-Pirot, même si la déclaration inclut des intentions jugées très « ambitieuses ».
« Avec huit États puissants réunis en un seul groupe, on pourrait penser que le Conseil de l’Arctique serait plus stratégique et moins procédurier », a précisé Mme Exner-Pirot. « Ce serait formidable de voir davantage l’impact du travail que le forum accomplit et de le voir communiquer à ce sujet. »
Traduction par Ismaël Houdassine, Regard sur l’Arctique