Aides en santé mentale au Nunavut dans le Grand Nord canadien : «Je me suis sentie trahie et oubliée»
Lorsque son diagnostic est tombé en 2014, Terrie Kusugak a poussé un soupir de soulagement. « Quand on t’apprend que tu es bipolaire, tu penses au pire. Mais moi, je me suis dit [que] j’avais raison », se souvient la jeune femme qui soupçonnait depuis longtemps que quelque chose n’allait pas.
La résidente de Rankin Inlet, au Nunavut, raconte qu’il a ensuite fallu sept ans pour trouver le traitement adéquat pour son trouble de bipolarité. Un parcours sinueux qui, dit-elle, est à l’image d’un système de santé défaillant.
Au cours des 10 dernières années, cette Nunavummiuq de 27 ans explique avoir fait des pieds et des mains pour accéder à des ressources de soutien en santé mentale dans sa collectivité.
« Je faisais de l’anxiété, je n’étais pas capable de sortir de chez moi. Je pouvais passer plusieurs jours sans manger ni dormir », relate-t-elle.
Ressources du Sud
En 2019, Terrie Kusugak est à bout de souffle. Sa santé mentale s’est détériorée. « Je n’avais jamais autant touché le fond. C’est quand j’ai franchi un point de non-retour que l’hôpital a fini par me croire », ajoute-t-elle.
Le personnel médical de Rankin Inlet accepte de la transférer au Centre de santé mentale de Selkirk, dans le sud du Manitoba. « Quand je suis arrivée, j’étais stupéfaite de constater tous les services auxquels j’avais accès : une infirmière, une infirmière en santé mentale, un médecin et un psychiatre. »
« J’ai reçu plus de soins durant mes deux semaines à Selkirk que j’avais reçu au cours des cinq dernières années [au Nunavut] », poursuit-elle.
L’expérience lui permet enfin de sortir la tête hors de l’eau, mais la laisse amère. En plus de se sentir loin de sa famille, Terrie Kusugak raconte se sentir « coupable » de bénéficier de services du Sud qui sont peu accessibles à la majorité des Nunavummiut. Elle a aussi conscience qu’elle n’aura plus accès à ce soutien à son retour chez elle.
S’attaquer aux déterminants sociaux de la santé
La présidente de l’organisme territorial inuit Nunavut Tunngavik inc., Aluki Kotierk, croit que des Nunavummiut des quatre coins du territoire ont un parcours similaire à celui de Terrie Kusugak. « Il ne fait aucun doute que nous manquons de ressources, soutient-elle. C’est un problème dont nous parlons depuis des années. »
Les traumatismes intergénérationnels, conjugués aux vagues de suicides qui traversent des communautés depuis les dernières années, renforcent selon elle les besoins du territoire en matière de santé mentale.
Avec un taux de suicide environ 10 fois supérieur à la moyenne canadienne, le Nunavut arrive en tête des provinces et territoires au pays qui comptent le plus de suicides annuels. En date du 23 août 2021, le Bureau du coroner du Nunavut avait recensé 26 suicides depuis le début de l’année.
« Il n’y a pas de solution miracle », affirme Aluki Kotierk. Il faut s’attaquer aux déterminants sociaux de la santé qui font défaut au territoire, dont la sécurité alimentaire, le logement et la transmission culturelle. Elle aimerait aussi voir davantage de financement pour soutenir la formation de Nunavummiut au sein de professions médicales.
Des services dans « chaque collectivité », dit le territoire
Camilla Sehti est la directrice intérimaire du territoire en santé mentale et en toxicomanie. Elle reconnaît qu’il reste du travail à faire, mais elle assure que le gouvernement territorial travaille activement à soutenir les résidents de toutes les communautés à l’extérieur de la capitale.
Elle affirme que « chaque collectivité dispose d’au moins un infirmier en santé mentale », chargé notamment de mener des évaluations de risque de suicide et d’assurer des suivis sur la prise de médicaments. « Il est très rare que des communautés ne disposent pas de services en santé mentale », dit-elle.
En revanche, elle admet que la crise sanitaire a récemment complexifié la situation. « En raison de la COVID-19 et du manque de personnel soignant à l’échelle du pays, nous constatons un manque d’infirmiers », mentionne-t-elle.
Elle ajoute qu’avant d’exercer au territoire, tous les infirmiers doivent suivre une formation de deux semaines « pour comprendre les services, [apprendre] à travailler dans des communautés isolées et les éléments à prendre en considération ».
Terrie Kusugak croit tout de même que le système de santé se porterait mieux s’il comptait plus de travailleurs inuit dans ses rangs. « C’est difficile de passer tout son temps à donner du contexte à quelqu’un », soutient-elle.
Elle espère que les élections fédérales seront, une fois pour toutes, porteuses de changement.
Radio-Canada a demandé aux candidates du Parti libéral, du Nouveau Parti démocratique (NPD) et du Parti conservateur quelles étaient leurs trois principales priorités en matière de santé mentale au Nunavut. Voici leur réponse :
Pat Angnakak, candidate du Parti libéral
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Étendre les services du futur centre de rétablissement d’Iqaluit dans les autres communautés du Nunavut.
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Augmenter le financement pour répondre aux traumatismes intergénérationnels.
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Faciliter l’accès à des services psychologiques virtuels.
Lori Idlout, candidate du NPD
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Accroître le financement destiné à des programmes communautaires autochtones.
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Donner un meilleur accès à des ressources en santé mentale et en traitement des dépendances.
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Mettre en place un plan d’action en prévention du suicide.
Laura Mackenzie, candidate du Parti conservateur
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Encourager la création de plus de thérapies fondées sur les traumatismes.
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Élaborer une stratégie sur le logement.
- Augmenter les déductions fédérales pour les habitants de régions éloignées et élargir le programme Nutrition Nord.