Pensionnats canadiens : un ancien fonctionnaire affirme avoir parlé d’abus à Jean Chrétien en 1972

L’ancien premier ministre du Canada Jean Chrétien, sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle. (Radio-Canada)
Un ancien fonctionnaire des Territoires du Nord-Ouest déclare avoir personnellement parlé à l’ancien premier ministre Jean Chrétien des abus commis dans les pensionnats lors d’un voyage du ministre des Affaires indiennes de l’époque dans les Territoires du Nord-Ouest, en 1972.

Paul Robinson a travaillé dans les Territoires du Nord-Ouest, de 1969 à 1974, en tant que premier directeur de l’élaboration des programmes scolaires du territoire.

Dans une tribune publiée jeudi dans le Chronicle Herald, il affirme que, pendant son mandat à Yellowknife, il a reçu des informations au sujet d’enfants qui tentaient de rentrer chez eux, depuis le pensionnat de Churchill, au Manitoba. La trace de ceux-ci aurait ensuite été perdue, ils n’auraient jamais été revus. Il dit que l’information a été transmise au ministre Jean Chrétien à Ottawa, mais qu’aucune réponse n’est parvenue à Yellowknife.

Paul Robinson avance de plus avoir tenté de soulever directement la question avec Jean Chrétien alors qu’il visitait le territoire pour l’inauguration de l’école Chief Jimmy Bruneau, en 1972.

Jean Chrétien et le chef Jimmy Bruneau, lors de l’inauguration de l’école Chief Jimmy Bruneau, à Edzo, Behchokǫ̀, en 1972. (Archives des Territoires-du-Nord-Ouest/Native Communications Society Fonds/Native Press Photograph Collection)

« Les commentaires d’un fonctionnaire subalterne, ce que j’étais à l’époque, ne sont pas pris au sérieux. C’est comme ça que le système fonctionnait », a-t-il déclaré à CBC News.

« Vous ne pouvez pas parler d’enfants qui meurent. Vous ne devez pas en parler, parce que ça témoignerait d’un système qui ne fonctionne pas. Et pire encore, il échouait [à s’occuper] de la majorité de la population vivant au nord du 60e parallèle. Ce n’est pas normal. »

Lors d’une apparition à l’émission Tout le monde en parle de Radio-Canada, l’ancien premier ministre Jean Chrétien a déclaré qu’aucun de ses fonctionnaires ne lui avait jamais parlé d’abus dans les pensionnats alors qu’il était ministre des Affaires indiennes.

Paul Robinson ne le croit pas. « Chrétien devait le savoir que des choses comme ça se passaient lorsqu’il était ministre ». La situation le met « en colère », il se dit « consterné ».

Les tentatives pour joindre Jean Chrétien par l’intermédiaire d’un porte-parole de la famille, jeudi, n’ont pas abouti.

Une visite aux Territoires du Nord-Ouest

En 1972, Jean Chrétien a visité les Territoires du Nord-Ouest pour l’ouverture de l’école Chief Jimmy Bruneau à Edzo, un quartier de Behchokǫ̀. Cette municipalité se trouve à environ une heure au nord-ouest de Yellowknife. Paul Robinson était sur place et, avec ses collègues, avait organisé une exposition pour présenter certains des programmes qu’ils avaient élaborés, y compris des manuels en langue dogrib.

Jean Chrétien dans la salle communautaire de Fort Rae, Behchokǫ̀, à la suite de l’inauguration de l’école Chief Jimmy Bruneau, en 1972. (Archives des Territoires-du-Nord-Ouest/Native Communications Society Fonds/Native Press Photograph Collection)

Il affirme avoir eu l’occasion de rencontrer brièvement M. Chrétien, qui avait été attiré par l’une des images montrant des jeux traditionnels du Nord.

Il dit que la conversation s’était amorcée par des demandes du ministre sur son emploi du temps et ses fonctions et qu’elle a mené « à ce qu'[il] parle de certaines des choses qui [le] dérangeaient vraiment. »

« Les enfants ont été transformés »

Paul Robinson affirme qu’en quittant Edmonton avec sa famille en 1969 pour s’établir à Yellowknife, il n’avait aucune idée des revendications territoriales et des diverses langues et cultures autochtones du territoire.

Un voyage à Churchill, au Manitoba, a toutefois ouvert ses yeux sur les pensionnats pour Autochtones et l’impact qu’ils ont eu sur les enfants, dont certains étaient issus de ce qui était alors connu sous le nom du district de Keewatin, une partie des Territoires du Nord-Ouest qui est maintenant la région de Kivalliq, au Nunavut.

« Presque immédiatement, les enfants ont été transformés », déplore-t-il.

« Si vous êtes témoin de ça et que vous n’êtes pas ému… franchement, vous devez avoir un cœur de pierre. »

Dans son texte du Chronicle Herald, M. Robinson décrit également un voyage d’affaires effectué en 1974 pour assister à une conférence sur les sciences du Nord qui se tenait à Montréal. Il se souvient d’avoir été frappé par le fait qu’aucun Autochtone n’a été invité à l’événement. « Et pas une seule personne qui vivait dans le Nord n’était en fait dans cette pièce, à part moi. Ça n’avait aucun sens. »

« C’était horrible d’être dans une situation où vous parliez du Nord, vous parliez des gens qui y sont chez eux, mais qu’ils ne soient même pas dans la pièce. »

Paul Robinson affirme avoir ressenti de la colère en entendant les commentaires de Jean Chrétien sur les abus dans les pensionnats pour Autochtones. (Elaine Robinson)

Maintenant âgé de 83 ans, Paul Robinson habite à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse. Il se décrit lui-même comme un fauteur de troubles ayant son franc-parler. Il dit qu’à la longue, sa franchise et son attitude lui avaient fait perdre son emploi.

« Je ne pense pas que si j’y retournais aujourd’hui, je serais plus serein », clame-t-il.

« J’espère qu’il y a eu des changements radicaux. Ce serait mon souhait pour eux tous, que les choses se soient considérablement améliorées, assez pour que les enfants puissent avoir la chance d’être éduqués dans leur propre langue. »

D’après un texte de John Van Dusen, CBC

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