Le manque d’eau prive régulièrement les élèves du Nunavik d’école

Le village de Puvirnituq, au Nunavik (Myriam Fimbry/archives/Radio-Canada)
L’accès à l’eau est difficile dans beaucoup de communautés du Nunavik, et les élèves en paient le prix lorsque les écoles sont forcées de fermer. Des responsables locaux et de la commission scolaire du Nunavik, Kativik Ilisarniliriniq, dénoncent la situation et s’expliquent mal l’inaction du gouvernement.

« Dans certaines communautés, c’est un très gros problème », dit Sarah Aloupa, la présidente de Kativik Ilisarniliriniq, en entrevue téléphonique. « Nous devons fermer les écoles à cause de ça. »

Des installations de pompage, de filtration ou de stockage de l’eau endommagées ou insuffisantes, des bris mécaniques des camions-citernes, dont les chauffeurs sont débordés par la demande, et un climat hivernal impitoyable font en sorte que des villages du Nunavik, où la forte majorité de la population est inuit, font régulièrement face à des problèmes d’approvisionnement en eau.

L’une des conséquences de cette situation est la fermeture des écoles, qui doivent suspendre leurs activités et renvoyer les élèves chez eux quand elles n’ont plus d’eau, ou lorsque leurs réservoirs d’eaux usées, qui doivent aussi être vidés régulièrement, sont pleins.

« Quand nous essayons de demander [un système d’aqueduc et d’égouts], le gouvernement ne comprend pas pourquoi les écoles en ont besoin, explique Mme Aloupa. Cela semble être de petites choses pour le gouvernement, mais ce sont des services très essentiels pour vivre normalement au quotidien. »

Appelé à réagir, le ministère québécois de l’Éducation (MEQ) a décliné les demandes d’entrevue avec le ministre Jean-François Roberge. En réponse aux questions écrites d’Espaces autochtones, le MEQ a déclaré vendredi être « informé de la situation » et a admis qu’il s’agit d’un « facteur qui peut avoir un impact sur l’absentéisme des élèves ».

Le MEQ n’a cependant pas indiqué avoir de plan pour remédier à la situation, dont il a rejeté la responsabilité sur le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH).

L’Administration régionale Kativik (ARK), qui s’occupe des services municipaux au Nunavik, n’a pas répondu aux multiples demandes d’entrevue transmises par téléphone et par courriel.

« Le gouvernement du Québec devrait venir nous voir davantage parce qu’il dit qu’il nous donne des services. On ne peut pas bien connaître les personnes à qui on donne des services si on ne communique pas avec elles », ajoute la présidente de la commission scolaire.

Une école fermée plusieurs fois par semaine

Selon la directrice générale de Kativik Ilisarniliriniq, Harriet Keleutak, il y a eu jusqu’à présent l’équivalent de 8 jours de fermeture, ou 56 périodes d’enseignement de 45 minutes ratées, dans les écoles des 14 communautés du Nunavik depuis le début de l’année scolaire 2021-2022 en raison du manque d’eau.

« On peut également penser que ces chiffres seraient plus élevés si près de la moitié de nos établissements n’avaient pas dû fermer en raison de la COVID-19 d’octobre à janvier. Il est possible qu’il y ait eu d’autres cas de fermeture d’école qui n’ont pas été entrés dans notre système de gestion des données », ajoute-t-elle par courriel.

Des fermetures récentes en raison du manque d’eau ont été confirmées dans au moins quatre établissements scolaires de quatre communautés, soit l’école Nuvviti, à Ivujivik, l’école Tarsakallak, à Aupaluk, l’école Iguarsivik, à Puvirnituq, et l’école Pigiurvik, à Salluit.

« Quand l’eau vient à manquer, nous annonçons à tout le monde qu’il nous reste deux périodes avant la fermeture de l’école », explique en entrevue téléphonique Thomassie Mangiok, le directeur de centre de l’école Nuvviti, que fréquentent une centaine d’élèves.

« Au pire de l’hiver cette année, il a fallu fermer l’école et perdre au moins une période de deux à trois fois par semaine », estime-t-il. Il est sûr que ces fermetures ont eu des effets néfastes sur les élèves.

« L’école est très importante. Nous fournissons le petit déjeuner, et certains élèves en dépendent », lance-t-il. Les activités parascolaires, déjà limitées par la pandémie, sont aussi perturbées.

La station de traitement des eaux d’Ivujivik est hors service depuis plus d’un an. Un camion-citerne fait l’aller-retour entre le village et un lac, mais ne suffit pas à répondre à la demande. L’hiver, les conditions météorologiques et les bris mécaniques empirent la situation.

« Nous ne sommes jamais trop sûrs de ce qui va casser », dit Thomassie Mangiok en soupirant. La Municipalité possède un autre camion, mais il est hors service. Elle doit en recevoir un nouveau au cours de cette année.

« C’est difficile de savoir que certaines personnes, d’autres personnes au Québec, des Québécois comme nous, ont accès à l’eau, elles n’ont pas à s’en soucier, ajoute le directeur de centre. Et nous n’avons même pas accès à de l’eau propre. »

Un directeur court après l’eau pour ses élèves

« Nous avons eu une grosse pénurie d’eau cet hiver. Ce n’est pas seulement l’école, c’est tout le monde qui est dans la même situation », confie en entrevue téléphonique le maire d’Aupaluk, David Angutinguak.

Le réservoir de la ville est presque à sec et, là aussi, un camion-citerne doit se rendre jusqu’à un lac pour chercher de l’eau. La météo et les bris mécaniques sont également des menaces constantes.

« Il nous arrive souvent, presque une fois par semaine ou deux, qu’on manque d’eau à l’école », dit en entrevue téléphonique le directeur de l’école Tarsakallak, Elom Akpo.

Jusqu’à tout récemment, ce dernier avait réussi à éviter les fermetures depuis son arrivée en janvier en allant chercher lui-même les conducteurs du camion-citerne dès que l’école venait à manquer d’eau.

« Ils sont très généreux et très compréhensifs. Dès que je leur mentionne l’école, ils changent de direction tout de suite et viennent nous aider. Mais vendredi dernier, il n’a eu d’autre choix que de fermer l’école dans l’après-midi », mentionne-t-il.

« Le camion était en panne. C’est un autre problème qu’on a souvent ici. L’école a encore dû fermer jeudi matin », explique-t-il.

Le village de Salluit, au Nunavik (Marika Wheeler/archives/CBC)

Avant d’arriver à Aupaluk, M. Akpo a travaillé près de deux ans à l’école Pigiurvik de Salluit, un autre village nunavimmiuq qu’il a quitté en novembre. Là encore, le manque d’eau était un problème récurrent et menait à des fermetures une fois par mois, selon lui.

« J’ai de la difficulté avec ça, vu que les élèves ont manqué beaucoup d’école à cause de la COVID. Donc, fermer encore à cause de l’eau, ça vient me chercher personnellement. Je me sens vraiment mal pour les élèves », dit-il.

L’apprentissage des Nunavimmiuq perturbé

« On essaie de garder l’école ouverte le plus longtemps possible. Mais une fois que les toilettes deviennent inutilisables, il n’a d’autre choix que de fermer », déclare en entrevue téléphonique le directeur de l’école Iguarsivik de Puvirnituq, Hugo Couillard.

Comme l’a rapporté La Presse samedi, la conduite reliant la rivière à la station de pompage de Puvirnituq a gelé cet hiver, ce qui a compliqué l’accès à l’eau pour tous. Des camions se rendent maintenant jusqu’à la rivière pour alimenter le village.

Des fermetures en raison du manque d’eau, « chaque année, ça arrive », affirme M. Couillard, qui travaille au Nunavik depuis neuf ans. « Habituellement, ce n’est pas si pire, les camions n’ont pas besoin d’aller aussi loin, mais ça arrive depuis neuf ans quand même. Ça arrive des fois il n’y a pas d’eau, on ferme. Des fois on a de l’eau, mais ça peut être ma pompe qui a brisé. Au moins une dizaine de fois par année qu’on doit fermer. À toutes les années. »

Il est persuadé que ces fermetures à répétition ont un effet négatif sur la réussite des élèves. « On aurait besoin de l’école tous les jours. Malheureusement, le côté académique en arrache un peu au Nord […] Toutes les heures qu’on manque, c’est déplorable. »

Un rapport du Protecteur du citoyen sur la qualité des services d’éducation au Nunavik, rendu public en 2018, souligne que le taux de diplomation y était alors de 25,9 %, comparativement à 77,7 % pour l’ensemble du Québec.

Trois autres communautés ont indiqué ne pas avoir eu à fermer leurs écoles récemment en raison du manque d’eau. Kuujjuarapik possède un système d’aqueduc, contrairement aux autres communautés. « Mais cela nous affecte lorsque nous nous rendons dans d’autres villages », précise le maire, Anthony Ittoshat, par courriel.

La situation est « sous contrôle du côté municipal et nous n’avons pas entendu parler de fermeture de l’école faute d’eau », indique par courriel le maire de Kangiqsualujjuaq, McCombie Annanack. Il n’y a pas non plus eu de fermeture d’école récemment à Kangiqsujuaq, selon la commission scolaire.

Espaces autochtones n’a pas obtenu de réponse des autres communautés à temps pour la publication de ce texte.

Un article de Frédérik-Xavier Duhamel

Radio-Canada

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