Les poussins de manchots empereurs, premières victimes de la fonte de la banquise en Antarctique
Les manchots empereurs seront-ils la première espèce polaire à disparaître en raison du réchauffement climatique? Une étude scientifique parue jeudi constate quoi qu’il en soit une mortalité totale et « sinistre » des poussins dans plusieurs colonies de l’Antarctique, à la suite de la fonte record de la banquise ces derniers mois.
Sur cinq colonies surveillées dans la région de la mer de Bellingshausen, à l’ouest de l’Antarctique, toutes sauf une ont subi une perte « catastrophique » de 100 % de poussins, qui se sont noyés ou sont morts de froid lorsque la glace a cédé sous leurs minuscules pattes. Ils n’étaient pas assez matures pour affronter de telles conditions, rapportent les chercheurs dans Communications: Earth & Environment, une revue du groupe Springer Nature.
« Il s’agit du premier échec majeur de la reproduction des manchots empereurs dans plusieurs colonies en même temps en raison de la fonte des glaces de mer, et c’est probablement un signe de ce qui nous attend à l’avenir », a dit à l’AFP l’auteur principal Peter Fretwell, chercheur au British Antarctic Survey.
« Nous le prévoyions depuis un certain temps, mais le voir réellement se produire est sinistre », a-t-il ajouté.
Lors du printemps de l’hémisphère sud de l’année dernière, de la mi-septembre à la mi-décembre, la banquise antarctique, qui se forme par congélation de l’eau salée de l’océan, avait atteint des vitesses de fonte record, avant de chuter en février à son plus bas niveau depuis le début des mesures satellitaires, il y a 45 ans.
Or, cette fonte précoce est intervenue au beau milieu de la période de reproduction des manchots empereurs déjà complexe et fragile.
Ces oiseaux marins se reproduisent en plein hiver austral, lorsque les températures sont les plus rudes, un processus qui s’étale sur de longs mois, entre l’accouplement, le couvage et le moment où les poussins sont autonomes, grâce notamment à la formation de plumes imperméables, en général vers janvier-février.
Les manchots empereurs (Aptenodytes forsteri) comptent environ 250 000 couples reproducteurs, tous en Antarctique, selon une étude de 2020.
Les colonies de la mer de Bellingshausen représentent moins de 5 % de ce total. « Mais dans l’ensemble, environ 30 % de toutes les colonies ont été touchées par la fonte l’année dernière. Il y aura donc beaucoup plus de poussins qui n’auront pas survécu », a indiqué M. Fretwell.
Chaque année, dès le mois de mars, les adultes se lancent dans un périple pouvant atteindre plus d’une centaine de kilomètres pour rejoindre leurs sites de reproduction sur la banquise, toujours les mêmes.
Les femelles pondent un seul œuf et le laissent aux bons soins du mâle le temps d’aller chercher de la nourriture, parfois à plusieurs centaines de kilomètres.
Les empereurs mâles gardent les œufs nouvellement pondus au chaud, les protègent des éléments en les recouvrant d’un pli de peau en équilibre sur leurs pattes, le tout sans bouger ni manger, en attendant le retour des mères nourricières.
Ce rituel immuable, raconté dans le film La marche de l’empereur, grand succès public et critique dans le monde en 2005, subit désormais les effets du changement climatique, qui semblait jusqu’à récemment épargner la banquise antarctique.
Les manchots empereurs sont certes capables de trouver d’autres sites, mais les records de fonte depuis 2016 menacent de dépasser leurs capacités d’adaptation, estiment les scientifiques.
« Une telle stratégie ne sera pas possible si l’habitat de reproduction devient instable au niveau régional », conclut l’étude.
Le manchot empereur a récemment été classé comme espèce menacée par l’autorité américaine de protection de la faune.
Outre la mise en péril de ses lieux de reproduction, il est également fragilisé par l’acidification des océans, autre effet du réchauffement climatique, qui menace certains crustacés dont il se nourrit.
Le British Antarctic Survey croit qu’au rythme actuel du réchauffement climatique, la quasi-totalité des manchots empereurs pourrait avoir disparu d’ici la fin du siècle.
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