Des centaines de sites d’exploration minière abandonnés au Nunavik

Certains sites datent de plusieurs décennies, à en croire l’état des barils de carburant abandonnés. (Photo : ARK)

L’Administration régionale Kativik (ARK) vient de conclure un imposant projet de nettoyage d’anciens sites d’exploration minière éparpillés sur le territoire traditionnel des Inuit, en se concentrant sur les plus pollués. Il reste toutefois beaucoup de travail à faire pour réparer les dégâts laissés par les entreprises minières au fil des décennies.

Des barils rouillés d’où se déversent du vieux diesel, de la machinerie lourde abandonnée, des structures métalliques déformées par le temps : la quantité de déchets abandonnés par les entreprises minières au Nunavik continue de choquer par son ampleur.

L’administration régionale a recensé, au début des années 2000, près de 600 sites d’exploration minière abandonnés. Un reportage diffusé par Radio-Canada en 2006 avait provoqué une onde de choc à Québec, forçant le gouvernement à agir. Un financement de 4,1 millions de dollars a été octroyé à l’ARK en 2007 pour nettoyer les sites.

Les résidents des communautés ont été engagés pour nettoyer les camps laissés par les minières. (Photo : ARK)

L’industrie minière s’est aussi sentie interpellée et a ajouté 1,6 million à l’opération de nettoyage avec le Fonds Restor-Action Nunavik.

Après une quinzaine d’années de travail, ce financement a permis le nettoyage d’une centaine de sites par l’ARK.

Un défi immense

Le travail est colossal tant à cause de l’immensité du territoire à couvrir que de la grande quantité de déchets qui s’y cachent. Entre 2007 et 2017, plus de 300 tonnes de déchets métalliques ont été retirées des sites. La quantité totale de déchets retirés sera dévoilée dans les prochains mois.

«Les coûts sont faramineux. Ce n’est pas comme nettoyer un site accessible par une route. On doit se rendre d’abord au site par hélicoptère. Ensuite, il faut sortir les déchets de là. La quantité est très importante avec des poids élevés», explique la coordonnatrice du projet de nettoyage à l’ARK, Aglaé Boucher-Telmosse.

Aglaé Boucher-Telmosse dirige l’équipe de nettoyage des sites d’exploration minière pour l’Administration régionale Kativik. (Radio-Canada/Félix Lebel)

La machinerie lourde abandonnée est déplacée par hélicoptère, les campements sont parfois brûlés, les métaux sont triés et envoyés vers les centres de recyclage. Les communautés des alentours sont sollicitées et l’équipement est parfois transporté par des équipes locales en motoneige.

Le plus difficile pour l’ARK reste toutefois de retirer les nombreux barils de carburants abandonnés. Certains sont vides, mais des milliers contiennent toujours du diesel. Ils représentent un grand risque pour l’environnement.

Ça fait des déversements qui se font dans le sol, et éventuellement dans les cours d’eau. Quand ça touche un cours d’eau, la pollution peut se répandre sur un grand territoire, déplore Aglaé Boucher-Telmosse.

Les barils finissent par rouiller et perdre de leur étanchéité, ce qui libère le carburant dans le sol et les cours d’eau. (Photo : ARK)

C’est justement pour éviter ce genre de situation que plusieurs membres des communautés se sont mobilisés pour participer aux travaux de nettoyage. C’est le cas notamment de Piari Kauki Gentes, de Kuujjuaq.

C’est un travail satisfaisant de voir les photos de l’avant et après. Tu sais que tu as fait une bonne action pour l’environnement. De voir des barils pleins, sur le point de couler et de les voir partir, explique-t-il.

Il a été consterné par l’ampleur des traces laissées par les entreprises minières sur son territoire. Un ancien site près de la communauté de Kangirsuk, où des centaines de barils de carburants rouillés étaient laissés à l’abandon, l’a marqué plus particulièrement.

Piari Kauki Gentes est fier d’avoir contribué à remettre son territoire traditionnel à l’état original. (Radio-Canada/Félix Lebel)

Même s’ils sont vides, ça montre comment cette compagnie-là a pollué dans le passé. Ce sont des barils soit utilisés ou soit qu’ils ont coulés dans la rivière. C’est un « reality check » sur tout ce qui s’est passé sur notre territoire, ajoute le jeune père de famille de Kuujjuaq.

Inspections difficiles

Des 600 sites recensés par l’administration régionale, seulement 180 ont été inspectés et caractérisés. L’ARK n’a pas les fonds et la main-d’œuvre nécessaire pour se rendre en hélicoptère sur tous les sites.

Il est donc difficile, pour l’administration, de s’assurer que les minières respectent la loi et nettoient en effet les anciens camps dans les 30 jours suivant la fin de leurs activités.

«C’est assez rare que les agents du MRNF viennent faire des inspections au Nunavik. On aimerait que ça arrive plus souvent dans le futur ou qu’il y ait une entente prise avec l’ARK pour financer ce type d’inspections, mais ce n’est pas encore fait», ajoute Aglaé Boucher-Telmosse.

Encore aujourd’hui, il n’est pas rare, pour l’administration régionale, de trouver de nouveaux sites jusqu’alors inconnus. Ils sont trouvés par hasard lors de vols d’inspections par des pilotes de brousses ou par les chasseurs qui circulent en motoneige l’hiver.

De nombreux sites sont répertoriés dans des milieux sensibles, où vivent notamment les caribous. (Photo d’archives/La Presse canadienne)

Si certains sites sont très anciens, d’autres sont relativement récents et sont rapportés aux autorités gouvernementales.

Un ancien camp de prospection à quelques dizaines de kilomètres de Kuujjuaq, découvert il y a quatre ans, inquiète particulièrement l’ARK. Au total, 270 barils de diesel y ont été abandonnés près d’une petite rivière.

Ce sont donc 55 000 litres de carburant qui risquent de se déverser et d’éventuellement atteindre la rivière Koksoak, où se nourrissent bon nombre de résidents de Kuujjuaq.

Certains sites datent de plusieurs décennies, à en croire l’état des barils de carburant abandonnés. (Photo : ARK)

«On le ramène chaque année sur la table avec le gouvernement et l’on demande ce qui se passe avec ce site-là […] On fait souvent les suivis et malheureusement on n’a pas le pouvoir qu’il faut pour intervenir», explique Aglaé Boucher-Telmosse.

Plus de mordant

Cette situation rappelle la difficulté, pour Québec, de retrouver les anciens occupants des sites d’exploration, qui disparaissent parfois après une faillite ou un transfert de propriété.

La corporation Makivvik, vouée à la défense des intérêts des Inuit du Nunavik, souhaiterait que Québec mette les bouchées doubles pour empêcher que d’autres sites soient abandonnés.

Ils doivent mettre des fonds de côté pour nettoyer par après. Souvent, ce sont de petites entreprises qui n’ont peut-être pas beaucoup d’argent. Ils font de l’exploration et repartent en laissant leur matériel, souligne le vice-président de Makivvik et responsable des dossiers environnementaux, Adamie Delisle-Alaku.

Adamie Delisle-Alaku ne sera satisfait que le jour où tous les sites seront nettoyés de son territoire ancestral. (Radio-Canada/Félix Lebel)

La multiplication des sites d’exploration minière non nettoyés amplifie le sentiment négatif qu’entretiennent plusieurs Nunavimmiut envers les entreprises minières, croit-il.

«Ça fait des décennies qu’on dit que ça ne se fait pas de la bonne manière. Les Inuit, les chasseurs et les gens des communautés se disent : « Ils viennent, ils laissent tout là et ne reviennent pas pour faire le nettoyage »», explique Adamie Delisle-Alaku.

Il se réjouit du travail qui a été fait par les équipes de l’ARK, mais souligne qu’il reste énormément de travail à faire pour entièrement effacer les traces laissées par les entreprises au fil du temps.

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Félix Lebel, Radio-Canada

Journaliste à Sept-Îles

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