Développer sa carrière musicale au Nunavut, un défi de taille
À des milliers de kilomètres des grands centres, les artistes de l’Arctique canadien qui aspirent à faire carrière en musique font face à bien des défis. Les embûches pour atteindre un jour la scène internationale sont nombreuses pour les artistes qui manquent d’infrastructures et de ressources.
Originaires du Nunavut, Cynthia Pitsiulak et Charlotte Qamaniq, du groupe Silla, vivent à 2000 kilomètres l’une de l’autre.
Cynthia est établie à Iqaluit, tandis que Charlotte demeure à Ottawa où les deux femmes se sont rencontrées il y a une vingtaine d’années.
« Nous étions toutes les deux étudiantes au Collège Nunavut Sivuniksavut, se souvient Charlotte Qamaniq. Nous avons commencé à apprendre à faire des chants de gorge et nous sommes rapidement tombées amoureuses de cette pratique. C’est devenu un moyen de nous connecter avec notre culture.»
Quelques années plus tard, elles se sont notamment fait connaître avec leur groupe Silla + Rise, réputé pour ses chants de gorge juxtaposés à de la musique électronique.
Leur style unique leur a d’ailleurs valu des nominations aux prix Juno en 2017 et en 2020.
Bien que Cynthia soit retournée vivre dans le Nord il y a environ trois ans, les deux comparses continuent de travailler ensemble malgré la distance. Elles constatent toutefois entre leurs deux réalités les différences importantes pour leur développement et les nombreux obstacles sur la route des artistes du Nord.
C’est vraiment plus simple de vivre dans le Sud, ne serait-ce que pour la connexion Internet et le coût moins élevé des déplacements.
Les occasions de collaborations et de performances sont également multiples et accessibles à Ottawa, ajoute Charlotte.
« Pour être en mesure de grandir, il faut des ressources »
Charlotte Qamaniq croit qu’il n’est pas «impossible» d’être un artiste à temps plein au Nunavut, mais elle souligne que des barrières systémiques rendent ardu et coûteux le chemin pour y arriver.
« Je pense que pour être en mesure de grandir, il faut des ressources, dit-elle. Et l’un des défis qui viennent avec le fait de vivre au Nunavut est le transport aérien.»
Même pour ce duo à la carrière bien établie à l’échelle nationale, la distance demeure souvent un véritable casse-tête.
« C’est extrêmement coûteux de couvrir les frais de nos vols, que ce soit pour que je me rende au Nunavut ou que Cynthia descende [dans le Sud].»
À ces barrières s’ajoute aussi l’absence de studios d’enregistrement et d’établissement destiné aux arts de la scène au Nunavut.
Jeff Maurice, du groupe The Trade-Offs, abonde dans le même sens. Établi à Iqaluit, le musicien et chanteur souhaite voir sa formation musicale se développer davantage, mais son emploi à temps plein et les défis du Nord sont des freins considérables.
« C’est tellement difficile d’être un musicien à temps plein dans le Nord, dit-il. Je pense qu’il faut possiblement quitter le territoire pour élargir son public et faire [de la musique] sa profession à temps plein. Malheureusement, je pense que c’est ce que ça prend.»
Malgré tout, Jeff Maurice cherche toujours à trouver l’équilibre pour grandir en tant qu’artiste, tout en demeurant au Nunavut.
Percer au Canada et à l’étranger
Au Nunavut, les artistes s’exposent à une double difficulté pour gagner en visibilité, soulèvent certains. Ils doivent redoubler d’efforts pour se tailler une place sur la scène nationale et d’autant plus pour percer à l’étranger.
De passage à Reykjavik, en Islande, pour participer à la vitrine de musique nordique Arctic Waves, Charlotte Qamaniq et Cynthia Pitsiulak espèrent que l’expérience leur apportera de la visibilité.
Les deux artistes participeront d’ici samedi à des ateliers et vitrines en présence de diffuseurs et professionnels de l’industrie musicale d’ailleurs dans le monde, notamment de l’Europe. Une occasion de se faire connaître et de nouer des liens pour d’éventuelles collaborations.
Les gens nous connaissent au Canada, mais c’est peu le cas en Europe, donc [la vitrine musicale] est une bonne occasion de faire notre apparition sur le marché européen. – Charlotte Qamaniq, chanteuse, Silla
Un art universel
Charlotte Qamaniq croit par ailleurs que les chants de gorge suscitent chez le public des émotions qui transcendent les frontières.
«Il n’est pas nécessaire de parler l’inuktitut pour être en mesure d’écouter et d’apprécier les chants de gorge », indique-t-elle.
«Lorsque nous chantons, les gens reçoivent nos chants de gorge avec ce qu’ils ressentent, et sans qu’il y ait de barrière de la langue. Je pense que c’est un énorme avantage.»
Elle décèle une certaine curiosité internationale envers la culture inuit et croit que son art est plus universel qu’il n’y paraît.
La vitrine de musique nordique Arctic Waves se poursuit jusqu’à samedi en marge du festival Iceland Airwaves.
Radio-Canada est allé à la rencontre des artistes durant cet événement visant à aider des artistes des quatre coins du Nord circumpolaire à stimuler leur carrière à l’étranger.
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