L’Armée canadienne intensifie son entraînement dans le Nord-du-Québec

Un texte de Natalia Weichsel
Une vallée gelée près de la Première Nation crie de Chisasibi s’est transformée en champ de bataille dans le cadre d’un exercice militaire, la semaine dernière.
Armés de munitions à blanc, de lunettes de ski et de raquettes, près de 200 membres du 34e Groupe-brigade du Canada prenaient part à cette simulation, opposés à des ennemis fictifs.
Cet exercice visait à permettre aux militaires d’apprendre à agir dans un environnement arctique et de se préparer à défendre la souveraineté canadienne dans l’éventualité d’un conflit armé dans le Grand Nord.

« Le plus difficile, c’était le froid
, avoue le sergent Matthieu Forester, en baissant son cache-cou pour dévoiler une moustache couverte de givre. L’épaisseur de la neige a également rendu difficile la navigation dans la vallée en raquettes »
, ajoute-t-il.
Nous devons mettre en pratique nos techniques. Nous nous entraînons depuis un an pour être prêts à affronter ce genre d’environnement, affirme le sergent Matthieu Forester, 34e Groupe-brigade du Canada.
Affirmer la souveraineté dans le Grand Nord
La semaine dernière, le ministre de la Défense nationale, Bill Blair, a annoncé que le gouvernement fédéral multipliait par dix ses dépenses en matière d’infrastructure militaire nordique au cours des 20 prochaines années. En outre, le gouvernement prévoit construire trois centres de soutien opérationnel à Iqaluit, au Nunavut ainsi qu’à Yellowknife et à Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest.
Stéphane Roussel, professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique (ENAP), constate que depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, le Canada et ses alliés circumpolaires ont commencé à réévaluer leur degré de vulnérabilité sur le plan militaire dans le Nord.

On sait que les Russes sont très présents dans leur portion de l’Arctique, qu’ils ont beaucoup d’infrastructures et qu’ils ont déployé beaucoup de troupes dans cette région, souligne M. Roussel.
Stéphane Roussel estime que les commentaires récurrents du président américain Donald Trump au sujet d’une hypothétique annexion du Canada créent un climat d’incertitude et qu’ils ont également incité le Canada à vouloir réaffirmer sa souveraineté dans le Nord.

C’est toujours utile d’avoir des militaires qui sont présents sur le terrain pour affirmer des revendications de souveraineté, dit Stéphane Roussel, professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique.
Cette route maritime traverse l’archipel arctique du Canada s’étendant du nord de l’île de Baffin jusqu’à la mer de Beaufort, à côté de l’État américain de l’Alaska. C’est la plus longue côte dont le Canada revendique la souveraineté.

En 2019, lors de la 11e réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique en Finlande, l’ancien secrétaire d’État américain Mike Pompeo a accusé le Canada de revendiquer de manière illégitime le passage du Nord-Ouest en tant qu’eaux intérieures.
Il est possible que l’administration Trump veuille raviver ces conflits et contester ouvertement les revendications canadiennes sur cette région, estime Stéphane Roussel.
Le professeur ajoute que c’est important pour l’armée d’être présente dans cette région non seulement pour des missions de combat, mais aussi pour faire respecter les lois canadiennes.
Tisser des liens avec la communauté autochtone
Au cours de l’exercice d’une semaine dans le Nord-du-Québec, la brigade a installé son quartier général dans un bâtiment appartenant à la nation crie de Chisasibi, sur la rive de la baie James.
Les activités militaires canadiennes dans le Grand Nord se déroulent souvent à proximité des communautés autochtones. L’armée souligne qu’elle bénéficie des connaissances traditionnelles de ces communautés.

« Ils savent comment survivre dans cet environnement et ils l’enseignent également à nos soldats. Le Canada, c’est aussi le Nord. Nous ne pouvons pas nous contenter d’opérer uniquement dans le Sud »
, constate le colonel David Shane, commandant du 34e Groupe-brigade du Canada.
Nous ne connaissons pas les cartes, nous ne connaissons pas les gens, nous ne connaissons pas la région, affirme le colonel David Shane, commandant du 34e Groupe-brigade du Canada. C’est un défi majeur pour nos troupes.
Les Rangers font partie de la réserve des Forces armées canadiennes et travaillent dans les régions côtières éloignées et isolées du Canada. Ils sont environ 5000 à vivre ainsi dans plus de 220 communautés à travers le pays.

Les Rangers parlent plus de 26 langues et dialectes autochtones différents et proposent également des formations aux Forces armées sur les techniques de survie et les connaissances traditionnelles.
Le sergent Alvin Cash, basé à Chisasibi, est d’origine crie. Il est membre des Rangers canadiens depuis 15 ans.
Il s’agit d’une région isolée. Les conditions météorologiques y sont imprévisibles. Il peut y avoir des voiles blancs en tout temps
, explique M. Cash, en précisant que les Rangers sont maîtres de ce territoire.
Nous utilisons notre propre culture et notre connaissance du territoire pour fournir ce service et transmettre les informations à l’armée, explique Alvin Cash, sergent des Rangers canadiens.
Les services des Rangers sont également utiles dans leurs propres communautés. M. Cash raconte qu’ils effectuent des missions de recherche et de sauvetage en cas d’urgence, en menant des patrouilles et en apportant une aide en cas de catastrophe environnementale.
Nous sommes ceux qui interviennent en dernier recours, décrit-il.Notre mandat habituel est d’être toujours à l’affût et nous pourrions être appelés soudainement pour une mission. Nous sommes donc toujours prêts à partir.
Naviguer sur un terrain immense
L’Arctique couvre 40 % du territoire canadien et s’étend sur près de 4 millions de kilomètres carrés.
Le froid glacial, les lignes de communication et les infrastructures limitées ainsi que l’absence de bases militaires permanentes obligent les militaires à se préparer à toutes sortes de situations.
Lorsqu’ils se déplacent vers le Nord pour ces exercices complexes, les véhicules militaires entreprennent un voyage de 16 heures à partir de Montréal et de Valcartier, avec à leur bord du carburant, des équipements d’entretien et de la nourriture.
Ils transportent également des raquettes, des toboggans, des skis et des antennes radio, de même que des services médicaux, des avions militaires et des policiers.

Les militaires campent dans des tentes, préparent leur nourriture sur des réchauds de camping et apprennent à survivre dans un endroit isolé.
Le 34e Groupe-brigade a contacté la cheffe de la nation crie de Chisasibi, Daisy House, en octobre dernier, au moment où l’armée cherchait un lieu pour y tenir la simulation nordique.
Mme House a accepté que le Groupe-brigade utilise le bâtiment Mitchuap de la nation, une structure en forme de tipi comportant un auditorium, où il pourrait installer des tables avec des ordinateurs et des cartes.
Nous avons prévenu la communauté qu’environ 175 réservistes viendraient parmi d’autres dignitaires, afin qu’elle soit prête, raconte Mme House.La communauté a accepté d’accueillir le groupe selon notre coutume et notre culture d’accueil des invités.
La cheffe explique que les membres de la Première Nation ont transmis certaines de leurs connaissances traditionnelles à l’armée, dont la méthode de construction d’une habitation à l’aide de petits arbres et d’une bâche ainsi que de navigation hivernale le long des lignes de piégeage de Chisasibi.

Les gardiens de la terre connaissent mieux cette région que quiconque. Nous ne pouvons pas leur dicter ou leur dire ce qu’ils doivent faire parce que leurs ancêtres sont là depuis des siècles. Ils ont vu les changements et l’évolution au fil des ans, explique Daisy House.
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