Le resserrement de l’accès à l’aide alimentaire inquiète des municipalités

Depuis le resserrement des critères d’admissibilité à un programme national d’aide pour les enfants inuit, des communautés du Nunavut s’inquiètent de se voir refuser le financement de leur programme local de bons alimentaires par le ministère des Services aux Autochtones.
L’Initiative pour les enfants d’abord
(ICFI) est un programme fédéral qui vise à garantir aux enfants inuit un accès aux services sociaux et de santé sans qu’ils aient à quitter leur communauté.
Au Nunavut, il finance notamment des programmes de bons alimentaires pilotés par les municipalités.
Au mois de mars, le gouvernement fédéral a annoncé le renouvellement du financement de l’ICFI, à quelques jours de l’échéance qu’attendaient avec inquiétude les communautés inuit du pays.
Or, du même coup, il a resserré les critères d’admissibilité en exigeant notamment une lettre de soutien d’un professionnel de la santé et la preuve qu’un enfant a connu des lacunes ou des retards dans l’accès aux services gouvernementaux.
Toute demande collective importante de nourriture sera évaluée au cas par cas pour chaque enfant et devra répondre à tous les critères […] pour être admissible, indique dans un échange de courriels Pascal Laplante, une porte-parole du ministère des Services aux Autochtones.
Un changement abrupt
Dans la région de Qikiqtani, située dans l’est du Nunavut, l’organisme à but non lucratif Qupanuaq coordonne les services de l’ICFI, en aidant notamment les familles à présenter des demandes de financement.
La pédiatre et directrice générale de l’organisme, Sindu Govindapillai, juge que les changements apportés sont une barrière
importante. Pour obtenir une lettre d’appui, vous devez prendre rendez-vous avec un médecin ou une infirmière de votre centre de santé ou de l’hôpital
, dit-elle.
Vous devez aussi être en mesure de légitimer vos besoins Cela est difficile pour les familles unilingues en inuktitut et qui n’ont pas accès à des services d’interprétation.
Vous devez aussi avoir accès à Internet pour pouvoir présenter votre demande vous-même, pour soumettre la lettre d’appui et échanger avec Services aux Autochtones Canada, poursuit Sindu Govindapillai.

Plusieurs municipalités, elles aussi du même avis, affirment que le récent changement des critères d’admissibilité les empêche de pérenniser leurs programmes communautaires de bons alimentaires.
À Sanirajak, la municipalité a soudainement dû mettre un terme à son programme local de bons alimentaires, car elle ne se conformait pas aux nouveaux critères du ministère.
Son agent de développement économique communautaire, Roger Beaudry, affirme qu’il avait pourtant constaté des retombées positives sur la fréquentation des jeunes à l’école et sur la santé mentale des résidents.
[Les gens] pouvaient se nourrir, donc ils avaient [l’énergie] pour sortir, ce qui améliorait leur santé mentale, soutient-il.

À Igloolik, des résidents ont brandi des pancartes et des banderoles, jeudi, pour protester contre le durcissement d’accès aux bons alimentaires. La collectivité a dû mettre un terme à son programme le 31 mars, faute de fonds suffisants.
La coordinatrice du programme de l’ICFI à Igloolik, Carolyn Tapardjuk, s’inquiète des effets sur les résidents de sa communauté. Certaines personnes demandent de la nourriture à des membres de leur famille, à travers Facebook et la station de radio communautaire
, note-t-elle.

Un service jugé vital
En 2021, le taux d’insécurité alimentaire au Nunavut était le plus élevé au Canada. Au total, 76 % des Inuit âgés de plus de 15 ans ont déclaré que leur foyer ne disposait pas d’un approvisionnement stable en nourriture, selon la Coalition pour la sécurité alimentaire du Nunavut.
Un rapport publié en 2024 par le groupe de défense Campaign 2000 constatait que 42 % des enfants du Nunavut vivaient sous le seuil de pauvreté. Ce chiffre était plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale, établie à 18 %.

La Dre Sindu Govindapillai est d’avis qu’Ottawa doit trouver une solution pour soutenir financièrement les municipalités dans l’administration de leur programme de bon, qui joue selon elle un rôle vital pour les familles dans le besoin.
J’ai reçu des courriels de patients me montrant des photos de leurs réfrigérateurs vides qui ne contenaient que du ketchup, une bouteille d’eau et du fromage à la crème. Est-ce quelque chose que nous accepterions dans le reste du Canada?
Quand les gens se demandent si [ce programme] est justifié, je les invite à faire preuve d’humanité et à réfléchir au monde que nous voulons offrir aux enfants de nos communautés, lance Sindu Govindapillai, pédiatre et directrice générale de Qupanuaq.
Dans un échange de courriels, le ministère des Services aux Autochtones affirme que l’ICFI vise uniquement à offrir une aide temporaire aux enfants inuit dans le besoin.
[Le programme] n’a ni l’objectif ni la structure pour remplacer l’aide au revenu du gouvernement par le biais de programmes « universels » tels que les bons d’alimentation, a affirmé Pascal Laplante, dans une déclaration écrite.
Avec des informations de Samuel Wat
À lire aussi :