Ottawa veut mettre fin à une poursuite sur des expériences médicales sur des Inuit

Le gouvernement fédéral a déposé une requête en prescription à la Cour de justice du Nunavut pour faire tomber une poursuite de 2019 dans laquelle cinq Inuit disent avoir subi des expériences médicales, dont des greffes de peau, sans leur consentement.
Ottawa estime que trop de temps s’est écoulé entre les expériences médicales contestées et la poursuite. Le fédéral dit ne pas être responsable des faits allégués.
Selon la requête initiale, déposée en cour à Iqaluit, les expériences ont été réalisées à Iglulik entre 1967 et 1973. Elles impliquaient trois universités canadiennes qui participaient à un programme scientifique international.
Dans la poursuite, les plaignants affirment s’être fait greffer des morceaux de peau appartenant à d’autres personnes, dont leurs membres de famille, notamment avec des outils aiguisés. Ils disent avoir été laissés à l’extérieur pour que les scientifiques puissent « tester leur capacité à résister au froid et qu’ils ont subi l’insertion d’objets dans des cavités de leur corps ».
Pour Steven Cooper, l’avocat qui défend les plaignants, Ottawa cherche à fuir ses responsabilités.
Le gouvernement fédéral tente de dire que trop de temps à passer depuis les faits […], tout en disant qu’il n’a aucun rôle à jouer [dans cette affaire], affirme l’avocat basé en Alberta. Or, c’est à la Cour de décider quel rôle [le Canada] a joué .
Pas de consentement, disent les plaignants
Les Inuit n’auraient pas été informés du motif des procédures et n’auraient pas eu la possibilité de refuser.
Le consentement n’a été ni donné ni demandé , est-il écrit dans la requête.
Parmi les plaignants figure Paul Quassa, ancien premier ministre du Nunavut de 2016 à 2017. Il exige que le fédéral cesse de mettre des bâtons dans les roues de cette poursuite et qu’il assume la responsabilité pour des gestes qui le font encore souffrir.
Je n’ai pas vraiment senti la douleur sur le coup, affirme Paul Quassa, ancien premier ministre du Nunavut. Mais c’est dégradant d’être utilisé comme un cobaye.

Paul Quassa rapporte que deux morceaux de peau, de son cousin et de son oncle, ont été greffés à son avant-bras.
Un attaché de presse du cabinet du ministre des Relations Couronne-Autochtones, Alex Wilson, admet que « les allégations relatives à la recherche et à l’expérimentation médicales sont profondément troublantes ».
Or, rien ne prouve que le gouvernement fédéral ait participé à la conduite de ces recherches , ajoute-t-il.
Pour Paul Quassa, « c’est tout simplement impossible que le Canada n’ait pas été au courant ».
Le Canada a échoué à respecter le droit à l’intégrité physique des plaignants, explique le document de la poursuite.
Par ailleurs, les plaignants disent que les gens qui ont mené les expériences à l’époque « affirmaient qu’ils représentaient le gouvernement du Canada ou qu’ils étaient liés au Canada et qu’ils étaient responsables de mener des expériences médicales internationales », selon le document de la poursuite.
Si Ottawa ne nie pas que des expériences aient eu lieu entre 1967 et 1973, le fédéral estime que ce sont plutôt les universités et leurs chercheurs qui sont en cause.
Une question de réconciliation
Les plaignants cherchent à obtenir des dommages et intérêts de 1,1 million de dollars chacun, ainsi que la reconnaissance du rôle du Canada et des excuses officielles.
Quand il y a des excuses, le processus de guérison peut commencer et c’est ce dont nous avons besoin , estime M. Quassa.
Si la défense du délai de prescription est utilisée par le fédéral, elle est contraire à l’esprit de la réconciliation avec les Autochtones, croit l’avocat des plaignants.
Me Cooper cite l’appel à l’action 26 de la Commission de vérité et réconciliation, qui demande aux gouvernements de « ne pas invoquer la prescription comme moyen de défense d’une action portée en justice ».
Pour expliquer cette obéissance envers les scientifiques, Paul Quassa rappelle qu’à l’époque, les non-Inuit avaient un fort ascendant sur les Inuit.
S’ils nous disaient de sauter, nous sautions, dit-il.
La poursuite, selon lui, est aussi pour que plus jamais une telle chose ne se reproduise.
Le Canada a délibérément inculqué aux Nunavummiuts la perception qu’ils devaient faire, sans aucun doute, comme le Canada leur avait dit, afin d’éviter des répercussions négatives, est-il aussi écrit dans la poursuite.
Les deux parties doivent apparaître devant le tribunal d’Iqaluit afin qu’un juge détermine si la poursuite peut bel et bien aller de l’avant.
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