Pape au Nunavut : des Inuit réclament justice contre des prêtres accusés, mais protégés

Le pape lors de sa visite à Sainte-Anne-de-Beaupré, au Québec (Guglielmo Mangiapane/Reuters)
Des Inuit du Nunavut attendent le pape François avec des revendications précises, vendredi, pour l’ultime étape d’un « voyage de pénitence » qui, par définition, s’accompagne « de l’intention de réparer ses fautes ». Moins convaincus par l’intention que par l’action, des Nunavummiut réclament des initiatives concrètes pour traduire en justice Johannes Rivoire, dont le comportement a eu des répercussions nocives sur toute une nation, disent certains.

Toujours vivant, ce prêtre aujourd’hui nonagénaire a été accusé de pédocriminalité dans les années 1970 et s’est évadé en France, où il a réussi à échapper à la justice jusqu’à présent.

Parmi les voix qui s’élèvent contre le silence de l’Église dans ce dossier, l’organisme inuit Nunavut Tunngavik Incorporated (NTI) considère que « les excuses [du pape] ne doivent être envisagées que comme une étape vers la réconciliation ».

Dans un communiqué publié trois jours avant la visite-éclair du pape à Iqaluit, l’organisme a redemandé au souverain pontife « d’ordonner à Johannes Rivoire de revenir au Canada pour faire face aux accusations devant la cour ».

Autre requête associée : « que les preuves soient remises, y compris les dossiers du personnel, afin que les Inuit du Nunavut n’aient pas à revivre leurs expériences et que les témoignages posthumes puissent être utilisés devant les tribunaux ».

Le père Johannes Rivoire à Arviat, au Nunavut, en 1979. Il est accusé d’agressions sexuelles, et la GRC a délivré un mandat d’arrêt international contre lui. (Bibliothèque et Archives Canada)

La NTI exige aussi que Johannes Rivoire et Éric Dejaeger – un autre prêtre condamné en 2015 à 19 ans de prison pour une trentaine de crimes sexuels et libéré depuis – soient excommuniés afin « qu’ils ne soient plus protégés par l’Église catholique romaine ».

Depuis l’annonce de la venue du pape au Canada, les demandes d’extradition se multiplient. L’étau se resserre autour de Johannes Rivoire, devenu le symbole de l’impunité des agresseurs sexuels protégés par l’Église.

En France, le député Aurélien Taché s’est emparé du dossier en interpellant lundi le ministre français de la Justice, Éric Dupond-Moretti, dans une lettre ouverte.

La France ne doit, d’aucune manière, contribuer à la protection de Johannes Rivoire.Aurélien Taché, député de la 10e circonscription du Val-d'Oise

Le député, affilié à la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES), demande à son ministre de la Justice de répondre « sans attendre, au mandat d’arrêt émis par la justice canadienne et de permettre à la communauté inuit d’obtenir une réparation largement méritée. Notre nation en sortirait grandie ».

Le gouvernement Trudeau a confirmé, mercredi, avoir déposé une demande d’extradition auprès des autorités françaises afin que l’oblat puisse faire face aux accusations d’agressions sexuelles.

Espoirs dans le dossier Rivoire

Lors d’un voyage au Vatican au printemps, Natan Obed, le président de l’Inuit Tapiriit Kanatami qui représente environ 65 000 Inuit, avait demandé de vive voix au pape François d’intervenir personnellement dans l’affaire du père Rivoire.

« Le pape a des pouvoirs extraordinaires au-delà des instances avec lesquelles nous avons essayé de travailler pendant un grand nombre d’heures dans cette affaire », avait alors déclaré M. Obed, dont le propre père a fréquenté un pensionnat pour Autochtones.

Natan Obed, le président de l’Inuit Tapiriit Kanatami qui représente environ 65 000 Inuit. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

Plusieurs médias français, dont Libération et La Croix, ont également rapporté une visite d’une délégation inuit en septembre à Lyon, où réside Johannes Rivoire, pour demander son extradition. Une information que n’a pu confirmer Radio-Canada auprès de la communauté inuit.

« Je suis en colère à cause de ces personnes qui ont fait tant de mal et qui ne sont même pas pénalisées pour leurs actions », lance de son côté Aliqa Illauq, Inuk originaire de Kangirtugaapik, au Nunavut.

La visite du pape n’a aucun sens, car rien n’est fait.Aliqa Illauq, Inuk originaire de Kangirtugaapik

À ses yeux, l’inégalité de traitement des victimes autochtones s’inscrit dans le sillage du colonialisme au Canada qui perdure. « Au bout du compte, ce n’est pas tant une question de justice que de respect de l’être humain », résume-t-elle.

Saga judiciaire

Le père Rivoire, un prêtre catholique né en France en 1931, a travaillé au Nunavut à la fin des années 1960 jusqu’au début des années 1970. Il est retourné en France en 1993, année où quatre plaignants ont allégué que le prêtre les avait sexuellement agressés lorsqu’ils étaient enfants de 1968 à 1970.

La France n’extradant pas ses ressortissants, le Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) a suspendu les accusations « du fait qu’il n’existait plus de perspective raisonnable de condamnation ».

En 2019, plusieurs voix se sont élevées à Ottawa pour dénoncer l’arrêt des poursuites. Le député de Timmins–Baie James Charlie Angus avait alors adressé une lettre au ministre de la Justice David Lametti.

« Il est particulièrement exaspérant que les accusations aient été suspendues sans qu’aucun préavis n’ait été donné aux résidents du Nunavut et à leurs familles », dénonçait-il alors en pointant aussi « le manque de clarté sur la question de savoir si, étant donné la politique de la France de ne pas extrader ses citoyens, des dispositions alternatives auraient pu être prises pour juger Rivoire en France ».

En février 2022, la police a relancé le dossier en déposant de nouvelles accusations contre Johannes Rivoire après avoir enquêté sur une plainte déposée en septembre par une personne qui disait avoir été victime d’abus sexuels il y a 47 ans.

Dans la foulée, un mandat d’arrêt pancanadien a été lancé contre M. Rivoire.

Le pape François est arrivé au Canada dimanche après-midi. (Guglielmo Mangiapane/Reuters)
Une enquête complète

Les Oblats de Marie Immaculée et le Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR) ont publié une déclaration commune, le 15 juillet dernier, annonçant terminer « l’évaluation préliminaire » des archives oblates à Rome.

« Le CNVR s’est vu accorder un accès complet pour identifier les documents qui pourraient être liés à l’héritage des écoles résidentielles », peut-on lire dans la déclaration.

Par ailleurs, les Oblats indiquent prendre « des mesures supplémentaires pour accélérer l’accès aux dossiers personnels d’une manière qui soit conforme à la législation pertinente en matière de protection de la vie privée et aux protocoles sociaux et de connaissances autochtones ».

De son côté, l’Archidiocèse catholique romain de Montréal se dit « profondément désolé pour tous les survivants qui ont été blessés par des prêtres ou des religieux catholiques », écrit Erika Jacinto, porte-parole de la visite papale.

« Bien que l’Église ne puisse obliger Rivoire à faire face à la justice, on croit savoir que les dirigeants oblats ont pris des mesures pour l’inciter à le faire », ajoute-t-elle.

Dans une réponse écrite adressée à Radio-Canada, elle assure aussi que « les évêques canadiens continueront d’appuyer ces efforts menés par les dirigeants oblats au Canada et en France » et demeurent « en faveur d’une enquête complète et approfondie afin que les survivants et la communauté en général puissent obtenir des réponses et la justice », précise Mme Jacinto.

Un texte de Maud Cucci, Radio-Canada

Avec les informations de La Presse canadienne 

Radio-Canada

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