L’exploitation gazière en Russie perturbe la fragilité de l’Arctique

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Un brise-glace au port de Sabetta dans le Grand Nord russe près d’un projet de liquéfaction de gaz en construction (Kirill Kudryavtsev/AFP/Getty Images)
Le projet de liquéfaction gazière gigantesque de la pétrolière française Total, dans le nord de la Russie, appose inévitablement son empreinte écologique dans les environs. État des lieux.

Le projet de construction de trois usines de liquéfaction de gaz naturel de Total, en collaboration avec les entreprises Novatek de Russie et CNPC de Chine, a commencé il y a quatre ans et doit se poursuivre pendant encore trois ans à Sabetta, dans la péninsule de Yamal.

Le réchauffement climatique rend les ressources de l’Arctique plus accessibles qu’avant. D’après Joël Plouffe, chercheur associé à l’Institut canadien des affaires mondiales, la Russie possède les moyens de ses ambitions pour aller les extraire, contrairement au Canada.

« C’est le début de nombreux autres projets qui vont émerger dans le Grand Nord de la Russie, dans l’Arctique. La Russie mise sur cette zone pour relancer son économie. Toutefois, c’est un territoire immense et difficile à exploiter si nous n’avons pas les partenaires étrangers qui peuvent financièrement soutenir les projets et apporter l’expertise manquante », explique-t-il.

La pétrolière Total a flairé la bonne affaire et a investi dans la région. En 2012, le pdg de Total de l’époque, Christophe de Margerie, avait conseillé à l’industrie pétrolière de s’abstenir de forer dans les fonds marins de l’Arctique en raison des risques d’accidents environnementaux trop élevés. L’entreprise amorçait sa transition énergétique de l’exploitation du pétrole vers l’extraction du gaz naturel, considéré comme plus propre.

À plusieurs reprises, la direction de Total a appelé l’industrie à limiter l’exploitation pétrolière, mais il y a un peu d’opportunisme économique là-dedans.

Frédéric Lasserre, professeur au département de géographie de l’Université Laval

C’est aussi la diminution des cours du pétrole qui a amené l’entreprise à faire ce choix, indique Frédéric Lasserre. Il précise néanmoins qu’il serait faux de penser que l’extraction du gaz naturel dans l’Arctique n’a aucun effet sur l’environnement.

Écosystème fragile
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Des employés marchent près d’un réservoir de gaz naturel dans la péninsule de Yamal en Russie. (Kirill Kudryavtsev/AFP/Getty Images)

« Dès qu’on parle d’extraction de ressources naturelles sur un site donné, on va forcément casser quelque chose. On ne peut pas faire d’omelette sans casser des œufs », illustre-t-il.

L’extraction du gaz naturel avant qu’il soit liquéfié nécessitera entre autres l’installation de tubes, de même que du forage au sol.

Le professeur explique aussi que l’activité biologique de l’Arctique est beaucoup plus lente qu’ailleurs. À Sabetta, par exemple, la température peut atteindre moins 50 degrés. Si on touche au sol, sa reconstitution se fera au ralenti en comparaison aux terres plus au sud.

La couche de terre qui a été complètement remuée prendra beaucoup plus de temps à être recolonisée par la végétation, les petits animaux fouisseurs ne se réinstalleront pas immédiatement, et l’équilibre du pergélisol sera affecté.

Faune vulnérable

La construction de gazoducs, comme celui d’un oléoduc, pourrait aussi entraver le chemin migratoire de certains animaux comme les caribous. Dans la péninsule de Yamal, par exemple, un peuple samoyède, les Nénets de Sibérie, élève des rennes.

The Arctic, un site spécialisé en environnement, rapporte que les gisements de gaz se trouvent sous les pâturages. Même sans dommage au sol, ces constructions à elles seules affectent les mouvements migratoires des rennes.

« Les éleveurs de rennes qui ne disposent d’aucun autre moyen pour gagner leur vie et vivre ont déjà souffert d’une bonne dose d’anxiété. Ils sont cependant relativement chanceux, étant donné que leur problème s’est présenté alors que les groupes environnementaux commençaient à se faire influents », peut-on lire sur le site.

Frédéric Lasserre affirme en effet que les groupes environnementaux, surtout en Europe et en Amérique du Nord, surveillent la situation en Arctique de près, et que les entreprises essaient de plus en plus de réduire leurs répercussions à court, moyen et long terme — par exemple sur la faune et la flore.

« Les groupes environnementaux russes essaient de se mobiliser, mais la structure politique de leur pays n’est pas comparable avec celle des pays occidentaux. Les groupes environnementaux sont très contrôlés et leurs actions sont assez limitées », dit-il.

Activité humaine
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Un employé travaille dans un réservoir de gaz naturel à Sabetta, dans le nord de la Russie. (Kirill Kudryavtsev/AFP/Getty Images)

Environ 33 000 employés à la fois travaillent sur le site du projet de liquéfaction de gaz à Sabetta. Il faut mettre en place des infrastructures pour que cette communauté de travail puisse vivre au quotidien.

« Ça fait des milliers de personnes qui produisent des déchets. […] Il va y avoir par exemple des dépôts de carburant, des dépôts de produits pour assurer l’entretien des infrastructures », indique M. Lasserre.

Il rappelle que le kérosène et le mazout peuvent rester longtemps dans le sol, surtout si la matière gèle. Les va-et-vient de plus en plus nombreux de la machinerie lourde abîment également les sols arctiques fragiles.

Accidents

L’ampleur des dommages causés par l’extraction dite classique de gaz naturel ou d’une fuite de gaz n’est pas comparable à ceux d’une marée noire qui découle de l’exploitation pétrolière.

« Si jamais il y a une fuite de gaz, le gaz se mélange tout de suite dans l’atmosphère. Même chose pour les fuites de gazoducs : elles ne polluent pas directement l’environnement », élabore M. Lasserre.

Par contre, le méthane, dont le gaz naturel est composé, est un gaz à effet de serre extrêmement puissant. Sa combustion pourrait créer une explosion qui mettrait en danger la vie des employés sur les méthaniers ou dans les usines, par exemple. De plus, un tel accident pourrait laisser des résidus polluants dans la terre ou dans l’eau.

Il y a aussi des risques d’explosion dans les usines où des produits chimiques peuvent être entreposés.

Sites abandonnés

Le professeur de l’Université Laval note toutefois quelques améliorations dans les pratiques des entreprises qui exploitent les ressources naturelles, notamment en ce qui concerne le nettoyage d’un site une fois un projet terminé.

Les entreprises occidentales procèdent de plus en plus à la restauration des sites, indique-t-il, ce qui n’était pas le cas dans les années 50 et 60.

Il y a encore de nombreux sites miniers dans l’Arctique canadien où il y a des dépôts de produits chimiques qui attendent qu’on vienne les chercher. En Russie, je crois que [la restauration], c’est loin d’être systématique.

Frédéric Lasserre

Lors d’un passage en terres russes, Joël Plouffe affirme avoir été témoin de ces séquelles. « J’ai voyagé dans le nord de la Russie, où on peut voir la cicatrice du développement économique, dit-il. Il y a des risques de contamination. Ça laisse des traces. »

Marie-Claude Frenette, Radio-Canada

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