Les changements climatiques aggravent les problèmes de santé mentale dans les communautés inuites du Labrador
Selon une nouvelle recherche canadienne les changements climatiques causent énormément de souffrance et de détresse dans les communautés inuites du nord du Labrador. Les perturbations climatiques accentuent, selon les données récoltées, les problèmes de santé mentale causés par la colonisation, la relocalisation forcée et l’héritage des pensionnats.
Ashlee Cunsolo, la directrice de l’Institut Labrador de l’Université Memorial, située à Happy Valley – Goose Bay au Labrador, a présenté les résultats de cette recherche lors du récent Sommet mondial sur la santé à Montréal.
Après une table ronde sur les facteurs environnementaux, sociaux et culturels de la santé des peuples autochtones, Mme Cunsolo a déclaré que l’un des moments les plus poignants au cours de la recherche est survenu pendant une entrevue avec une aînée inuite.
Identité modifiée
La dame lui a raconté qu’elle avait été déplacée deux fois durant sa vie : d’abord, quand sa famille a été relocalisée de force dans une autre communauté, ensuite quand elle a été placée dans un pensionnat autochtone loin de ses proches.
L’aînée a confié aux chercheurs à quel point elle se sent toujours déchirée à la suite de ces séparations. Après de nombreuses années à vivre au même endroit, elle a recommencé à ressentir cette connexion avec la terre. Mais les changements climatiques sévères ont amené la dame à ne plus se sentir chez elle à la maison, a expliqué Mme Cunsolo.
Les changements climatiques obligent une modification traumatisante de l’un des marqueurs les plus importants de l’identité inuite : la relation avec la mer glacée et le froid, a estimé Mme Cunsolo.
« La modification de ces marqueurs cause beaucoup d’effets sur la vie des gens, a-t-elle indiqué. Mais ce n’est pas quelque chose que la recherche traditionnelle considère généralement, nous ne pensons pas à cela ».
La directrice de l’Institut Labrador de l’Université Memorial a commencé ses recherches dans la communauté inuite de Rigolet, la plus au sud de la région de Nunatsiavut, dans le nord du Labrador.
« En 2008 et en 2009, les gens ont remarqué de nombreux changements dans l’environnement et la météo, surtout en ce qui concerne le réchauffement de la température et la fonte de la glace de mer. Il y avait aussi plus d’orages, de brouillard et de pluie pendant les mois d’hiver », a énuméré Mme Cunsolo.
La communauté elle-même s’inquiétait des impacts de ces changements sur la santé. En 2008, les citoyens ont créé une équipe de chercheurs composée d’Inuits et de non-Inuits, d’aînés et de leaders communautaires pour examiner comment ces changements peuvent avoir une incidence sur la santé physique, mentale, émotionnelle et spirituelle de la population.
Au cours des deux années suivantes, les chercheurs ont mené plus de 90 entrevues et ont écouté les gens raconter ce qu’ils éprouvent.
L’avenir inquiète
« Nous avons découvert que, peu importe l’âge, le sexe ou le type de travail, la santé mentale est l’une de leurs plus grandes préoccupations », a mentionné Mme Cunsolo.
Ces gens qui vivent dans une région éloignée ont témoigné de vives émotions : la colère, la frustration, la tristesse, la peur, le stress et beaucoup de détresse.
Un nouveau phénomène
L’intensité de ces émotions a surpris les chercheurs parce que le phénomène n’était pas bien compris ni décrit dans la documentation scientifique, a constaté Mme Cunsolo.
« De nombreuses personnes ont parlé de tristesse et de deuil. Ils ont vraiment l’impression d’avoir perdu un être cher. Beaucoup d’anxiété est liée à ces changements. Ils expriment à quel point les choses ont changé, ils s’inquiètent à propos de leur culture, de leur identité et de leur bien-être », a-t-elle expliqué.
Cette recherche canadienne a suscité beaucoup d’attention dans la communauté scientifique internationale. Elle a aussi contribué à augmenter la documentation sur les répercussions émotionnelles et psychiatriques des changements climatiques sur diverses communautés à travers le monde.
Des dépendances qui pourraient augmenter
Les chercheurs en santé mentale se sont particulièrement attardés au potentiel d’augmentation des dépendances.
« Pour beaucoup de gens, la terre est une source de guérison. C’est un endroit où ils se sentent ravivés, mais aussi où ils vont cicatriser les traumatismes et le stress du passé. Maintenant en ville, les gens n’ont plus accès à ce mécanisme de guérison, mais ils vivent toujours des difficultés mentales », a indiqué Mme Cunsolo.
De plus, les professionnels de la santé s’inquiètent que les gens choisissent la drogue et l’alcool pour affronter ces problèmes et les traumatismes intergénérationnels.
« Il est très préoccupant d’imaginer ce qui se passera dans cinq ans ou dix ans si les changements climatiques se poursuivent et s’aggravent », a dit Mme Cunsolo.
Avec les informations de Radio Canada International