« On est vraiment déconnecté des élections provinciales », dit une Inuite du Nunavik, dans le Nord-du-Québec

La circonscription d’Ungava couvre plus de la moitié du Québec. Sa population principalement autochtone et jeune se sent délaissée et a du mal à s’intéresser à une campagne électorale qui ne semble pas non plus se préoccuper d’elle. Témoignages.
« Rien, même pas une », s’esclaffe Jennifer Hunter en constatant dans les rues de Kuujjuarapik l’absence de signes d’une campagne électorale. Cette Inuite est de retour dans le Nord après 20 ans à Montréal.
Depuis ses 18 ans, elle vote, mais cette fois-ci, si elle en rit, elle trouve cela un peu difficile. « C’est la première fois que j’écoute cela comme une personne du Nord. C’est différent, plus important, parce qu’on est vraiment éloigné, tout est cher dans le Nord, on n’a pas de route. »
Et justement, Jennifer Hunter n’a pas vraiment l’impression que l’on pense à elle. Il suffit d’une courte balade au Nunavik pour s’apercevoir que de campagne, il n’y en a point. Lors de notre passage, 15 jours avant l’élection, pas l’ombre d’une pancarte ou d’une affiche à Kuujjuarapik, Salluit ou encore Puvirnituq, toutes des communautés qui forment en partie la circonscription d’Ungava.

Seuls quelques documents d’Élections Québec dans des mairies et de rares portraits du candidat libéral, le député sortant Jean Boucher, rappellent que le compteur a commencé pour choisir le prochain gouvernement.
« Tu sais qui est ton député? », demande Alicia Aragutak à son amie d’un ton taquin dans les rues de Kuujjuaq.
Les partis « pourraient se donner la peine, poursuit Alicia Aragutak. C’est probablement pour cela que le taux de participation est faible. C’est un peu décourageant. »
Alicia Aragutak était encore récemment la présidente du Qarjuit Youth Council, un organisme qui représente les jeunes du Nunavik. Avec plus de la moitié de la population des 14 communautés inuites du Québec qui ont moins de 30 ans, elle estime qu’il serait temps de leur parler. Que l’on « monte » dans le Nord, plutôt qu’elle « descende dans le Sud pour amplifier la voix des jeunes ».

Faire campagne dans un territoire si vaste
Les candidats des quatre principaux partis le reconnaissent : le principal défi de la campagne est la superficie d’Ungava, soit plus de 890 000 km2.
« Les coûts de transport exorbitants nous forcent à faire des choix difficiles. Dans mon cas, j’ai dû renoncer à aller visiter les villages inuits », explique le candidat péquiste, Jonathan Mattson. Le caquiste Denis Lamothe s’est rendu à Kuujjuaq et Kuujjuarapik et aurait aimé « visiter toutes les communautés du Nunavik, mais ce fut impossible ».

Même son de cloche du libéral Jean Boucher : « Le défi des déplacements est sans doute l’un des plus importants en termes de logistique pour les candidats d’Ungava. Nos budgets ne nous permettent pas de visiter tous les villages nordiques ».
Trop cher aussi pour la candidate de Québec solidaire, Alisha Tukkiapik, qui vit pourtant à Kuujjuarapik. Comme d’autres candidats, elle choisit de miser sur la radio et les réseaux sociaux pour communiquer.
Une campagne en français dans un monde anglais et inuktitut
Une musique en inuktitut passe à la radio de Salluit. Mary Koperqualuk chantonne tout en cherchant le prochain morceau sur son ordinateur. Elle souligne que l’on parle de cette élection à la radio un tout petit peu, mais elle ne connaît ni la date ni les candidats. Elle précise toutefois avoir reçu son enveloppe d’Élections Québec qui propose des manuels en inuktitut pour favoriser le vote.

Mary ne se sent pas concernée, explique-t-elle en haussant les épaules et en regardant le paysage par la fenêtre.
Le vieux Bobby Aputiajuk Snowball, lui, est curieux. Il veut entendre les candidats, connaître leur plateforme. Mais il ne parle qu’inuktitut. « Difficile, lance-t-il, de s’intéresser si on ne sait rien. Je suis persuadé que si on me parlait dans ma langue, il y aurait des avancées significatives. » Les Inuits représentent 91 % de la population du Nunavik.

« Qui se présente? » Éclat de rire de Mary Arngak de Kanguqsujuaq. Elle a travaillé 11 ans pour le gouvernement régional, s’intéresse à la politique régionale, mais au sujet de la provinciale, elle fait non de la tête. Parce que pour elle aussi la langue est un problème. Dans Ungava, plus de la moitié de la population ne parle pas français.
Comme tant d’autres, elle déplore le fait de ne voir que rarement les politiciens, « seulement quand il y a un grand événement. C’est pas qu’ils s’en fichent, mais il y a un fossé entre le Nunavik et le reste du Québec ».