Contrebande d’alcool : une municipalité de l’Arctique canadien demande de l’aide

Située dans l’extrême nord du Canada, Arctic Bay fait partie des 12 collectivités du Nunavut où un système restrictif réglemente l’achat d’alcool. Plusieurs résidents se préoccupent toutefois de la contrebande d’alcool, un fléau que peine à éradiquer la municipalité. En 2018, les agents de la Gendarmerie royale du Canada ont effectué 13 saisies d’alcool illégal, selon la GRC. (Michael Salomonie/CBC)
La surconsommation d’alcool est un fléau bien connu par plusieurs collectivités du Nunavut, dans l’Arctique canadien, où de nombreux résidents peinent à trouver le soutien nécessaire pour venir à bout de leur dépendance. Plus d’un mois après avoir envoyé une lettre à différents ministères du territoire, le maire d’Arctic Bay Frank May attend toujours que le gouvernement du Nunavut déploie des ressources en santé mentale. Il espère lancer des discussions sur le sujet lors d’une rencontre annuelle qui réunira le mois prochain des maires et des ministres du territoire.

« La raison pour laquelle nous demandons ces services est que nous observons une hausse alarmante de la contrebande liée à l’alcool [et] ça met beaucoup de pression sur le dos des familles », explique le maire d’Arctic Bay lors d’une entrevue téléphonique avec Regard sur l’Arctique, à la suite d’un reportage publié jeudi par le réseau anglais CBC, le diffuseur public canadien.

« Nous sentons que des problèmes sociaux importants prennent de l’ampleur dans notre communauté et que nous sommes laissés pour compte avec peu, voire aucune ressource pour faire face à cette situation », écrit Frank May dans une lettre envoyée le 3 janvier aux ministres nunavutois de la Santé et des Services à la famille, et dont Regard sur l’Arctique a obtenu une copie.

Le député à l’Assemblée législative du Nunavut David Akeeagok, le caporal de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) Yves Lapierre et le député fédéral du Nunavut Hunter Tootoo ont aussi reçu une copie de la lettre.

Réglementation locale

Située dans l’extrême nord du pays, Arctic Bay fait partie des 12 collectivités du Nunavut où un système restrictif réglemente l’achat d’alcool. Dans cette communauté d’un peu moins de 1000 habitants, selon le dernier recensement fédéral, un comité local formé de membres élus par leur communauté – le Comité d’éducation à la consommation d’alcool – est chargé de valider les demandes des résidents en se basant sur des critères allant du comportement aux antécédents judiciaires.

« […] Nous constatons que plusieurs personnes parviennent à contourner le Comité d’éducation à la consommation d’alcool et que [ce comité] est laissé à lui-même sans ressources, ce qui lui fait perdre toute sa pertinence », fait savoir le maire d’Arctic Bay dans sa lettre.


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Frank May croit que sa communauté souffre d’un manque criant de travailleurs de la santé. Le maire rapporte qu’un travailleur spécialisé en santé mentale, qui est en poste depuis environ sept mois, terminera son contrat d’ici les trois prochaines semaines. La communauté recherche aussi toujours un coordonnateur des services de bien-être communautaire; un poste vacant depuis plus de quatre ans.

« Les gens n’ont nulle part où aller. Même si tu veux te remettre sur le droit chemin, il n’y a personne pour te donner un coup de main. »

Frank May, maire d’Arctic Bay

Dans un échange de courriels, le ministère territorial des Services à la famille confirme avoir envoyé un travailleur des services communautaires et sociaux le 22 janvier. Les démarches pour pourvoir le poste vacant avaient toutefois débuté avant la réception de la lettre du maire d’Arctic Bay.

« Le Ministère reconnaît la nécessité de renforcer le recrutement et le maintien en poste des travailleurs des services communautaires et sociaux et entreprend un certain nombre d’initiatives à cette fin, notamment en appuyant le programme de travailleurs sociaux du Collège de l’Arctique du Nunavut », a assuré la porte-parole du ministère des Services à la famille, Tracy Wood.

Hausse de la contrebande

Frank May s’inquiète de la hausse de la consommation d’alcool depuis les dernières années; une tendance qu’il attribue à la contrebande. Par peur de se faire voler leur alcool, plusieurs résidents sont portés à le consommer sur-le-champ, sans modération, explique le maire.

En 2018, la police territoriale a effectué 13 saisies d’alcool illégal à Arctic Bay, d’après des données de la GRC.

« Nous devons commencer par considérer nos aéroports comme de réelles portes d’entrée où la [Gendarmerie royale du Canada] peut librement fouiller les sacs », martèle-t-il. Selon lui, l’alcool de contrebande est la plupart du temps transporté dans des valises ou dans des colis postaux.

Un document du détachement de la GRC d’Arctic Bay que le maire a joint à sa lettre révèle par ailleurs que 42 appels d’urgence ont eu lieu en novembre 2018, parmi lesquels 19 cas ont impliqué des personnes intoxiquées par l’alcool. En 2017, 88 personnes ont été arrêtées et placées dans des cellules de la police territoriale. Ce nombre a grimpé jusqu’à 148 arrestations en 2018, selon les informations de la GRC.

« Ce n’est pas juste une situation qui touche Arctic Bay; il y a une tendance similaire dans plusieurs communautés de la région. »
Frank May, maire d’Arctic Bay
Le maire d’Arctic Bay croit que la surconsommation d’alcool chez les résidents de la communauté est en grande partie attribuable à la contrebande. (Jordan Konek/CBC)

La municipalité d’Arctic Bay compte deux agents de la GRC qui travaillent à temps plein, selon la porte-parole de la Division V de la GRC, située au Nunavut. « Nos agents de la GRC souffrent de stress lié au travail, car la nuit, leur sommeil est entrecoupé à cause des détenus ivres et ils n’arrivent plus à offrir des services de police communautaires », déplore Frank May dans sa lettre.

Prendre la situation en main

Frank May espère pouvoir amorcer une discussion sur le sujet lors d’une rencontre qui se tiendra du 12 au 14 mars à Iqaluit, la capitale territoriale. L’événement réunit chaque année des maires du Nunavut et plusieurs ministres du territoire.

« Je veux que les différents ministères concernés s’assoient et arrivent avec des pistes de solutions. Quels sont leurs plans pour mieux contrôler la quantité d’alcool qui entre dans la communauté? »
Frank May, maire d’Arctic Bay

Le taux d’alcoolisme dans les territoires du nord du pays est particulièrement élevé. Dans l’Inuit Nunangat, qui regroupe les régions inuites du Canada, la consommation abusive d’alcool chez les Inuits de 15 ans et plus atteignait 47 % au Nunatsiavut (nord de Terre-Neuve-Labrador), 38 % dans la région inuvialuite (nord-ouest du Canada), 34 % au Nunavik (nord du Québec) et 20 % au Nunavut en 2012, selon Statistique Canada.

Pour endiguer ce fléau, certaines communautés décident d’abolir la vente d’alcool. Mais d’autres préfèrent laisser le choix aux résidents de s’en procurer pour limiter le commerce illicite.

Il n’est donc pas rare de voir des municipalités du Nunavut s’interroger sur la pertinence de maintenir des restrictions sur la vente d’alcool. Le 22 octobre, 60,8 % des résidents de Kugluktuk, dans l’ouest du territoire, ont voté en faveur d’un système non restrictif.

Les collectivités de Sanikiluaq et de Kugaaruk, où la vente d’alcool est proscrite, tiendront respectivement un référendum les 4 et 25 février pour déterminer si elles passent à un système restrictif.

Selon la Loi territoriale sur l’alcool, 60 % des voix sont requises pour changer de régime de distribution des alcools.

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