Rich Francis, le chef autochtone qui veut décoloniser la cuisine
À l’instar de nombreuses cultures et langues autochtones, la gastronomie pré-coloniale est une espèce en danger de disparition. Le chef Rich Francis s’est donné comme mission de valoriser et de faire découvrir la cuisine autochtone authentique, celle qui existait avant le rouleau compresseur de la colonisation et des politiques d’assimilation.
« Tout ce qu’on sait de la cuisine autochtone vient du colonialisme et du génocide culturel », déplore le chef, de passage mardi à Montréal pour un dîner-conférence, dans le cadre de la semaine autochtone « First Voices » de l’Université Concordia.
Finaliste à l’émission Top Chef Canada en 2014, Rich Francis est propriétaire depuis quelques années d’une entreprise spécialisée en cuisine autochtone contemporaine, le Seventh Fire. Aujourd’hui basé à Toronto, le traiteur, fils d’un père gwich’in des Territoires du Nord-Ouest et d’une mère mohawke, organise également des soirées et des événements privés autour du thème de la réconciliation, où il sert notamment du gibier sauvage du terroir.
Le chef met en valeur des ingrédients traditionnels – du riz sauvage, du maïs, de la courge, notamment – tout en essayant d’évacuer le plus possible les produits laitiers, la farine de blé ou autre denrée importée par les Européens. Une mission quasi impossible, concède-t-il. « Ce n’est pas facile d’avoir une cuisine 100 % décolonisée », souligne-t-il à regret.
Inspiration de la terre
Entassés dans la cuisine du Centre multiconfessionnel et spirituel de Concordia, Rich Francis et des bénévoles préparent des plats pour les convives. Au menu : du canard au sirop d’érable et à la citronnelle, du ragoût d’original, de l’esturgeon, des salades au riz sauvage et aux petits fruits.
Le tout est accompagné de la bannique, ce pain plat fait avec de la farine et de l’eau qui a été adopté par plusieurs nations autochtones, mais qui a ses racines en Écosse. Le chef Francis sert presque à contrecoeur cet ultime symbole de métissage – ou d’assimilation? « C’est le diable absolu », répond le chef, sourire en coin.
Pour mieux comprendre les modes de vie et la cuisine autochtones avant l’arrivée des colons, Rich Francis se rend lui-même dans les communautés autochtones de partout au pays, chez qui il puise toute son inspiration. Après des décennies d’assimilation par le biais notamment des pensionnats autochtones, le défi est de taille, reconnaît-il.
Il se souvient néanmoins d’une visite particulièrement marquante à Iqaluit, au Nunavut, où il a vu des aînés qui ne « portent pas de cannes » et qui ne connaissent pas l’obésité et le diabète. Des problèmes qui affligent les communautés autochtones depuis une cinquantaine d’années, et qui découlent en bonne partie du colonialisme et de la dépossession du territoire, selon des experts.
La clé, selon lui, se trouve dans l’alimentation. « La nourriture précoloniale va nous guérir », dit-il tout bonnement.
Le chef autodidacte originaire de Six Nations, en Ontario, jongle aujourd’hui avec l’idée d’ouvrir un restaurant à Hamilton (Ontario), ou bien chez lui, en communauté. Mais il hésite. « Je ne sais pas si les gens iraient en réserve, à une heure et demie de Toronto », dit-il, semblant réfléchir à voix haute.
Et puis, les règles sur les produits alimentaires en Ontario – comme au Québec, d’ailleurs – obligent les restaurateurs à utiliser une viande extraite de la bête en abattoir, sous peine d’amende. Rich Francis s’est déjà dit prêt à aller jusqu’en Cour suprême pour pouvoir obtenir une exemption et servir de la viande sauvage dans les restaurants.
Le traiteur compare ce genre de restriction aux pow-wow, ces danses traditionnelles autrefois interdites par le gouvernement canadien. « On est en 2019, et il faut encore que je me cache pour servir de la baleine ou de la viande d’orignal », dit-il.