Le savoir des Inuits pour mieux gérer les voies maritimes de l’Arctique canadien
Le savoir des Inuits du Nord canadien sert désormais à mieux orienter le gouvernement fédéral sur la gestion de ses voies maritimes dans l’Arctique. Un groupe de chercheurs de l’Université d’Ottawa s’est rendu dans plus d’une dizaine de communautés inuites pour entendre les préoccupations de leurs résidents. L’objectif des chercheurs : cerner les risques que présentent ces routes maritimes pour l’écosystème marin et les populations nordiques.
« Les changements climatiques conjugués à plusieurs facteurs économiques ont facilité l’augmentation du trafic maritime dans l’Arctique », mentionne la stagiaire postdoctorale à l’Université d’Ottawa et responsable du projet de recherche au sein des communautés nordiques, Natalie Carter.
Les analyses du groupe de chercheurs ont été intégrées à l’Initiative sur les couloirs de navigation de l’Arctique à faible impact, lancée en 2017 par le gouvernement fédéral dans la foulée du Plan de protection des océans pour prendre davantage en compte les connaissances territoriales des populations locales dans la gestion des voies maritimes.
Selon Natalie Carter, c’est la première fois que des commentaires d’Inuits du Nord canadien sont recueillis dans l’optique de mieux orienter la gestion des routes maritimes.
« La distance totale en kilomètres que parcourent les navires dans l’Inuit Nunangat, la région des Inuits, a plus que triplé depuis 1990 et cette tendance s’observe en grande partie dans les eaux du Nunavut », rapporte Natalie Carter, en entrevue téléphonique avec Regard sur l’Arctique.
Entre mars 2016 et novembre 2018, l’équipe de chercheurs s’est rendue dans 12 communautés de l’Inuit Nunangat, l’appellation utilisée par les Inuits pour désigner leurs quatre régions distinctes : la région désignée des Inuvialuit (nord-ouest du Canada), le Nunavut (Extrême-Arctique), le Nunavik (nord du Québec) et le Nunatsiavut (nord de Terre-Neuve-et-Labrador).
Au total, ils ont visité les six communautés inuites de la région désignée des Inuvialuit, cinq autres au Nunavut ainsi que le village de Salluit, au Nunavik. Un premier voyage leur a permis d’effectuer leur collecte d’informations, puis ils se sont envolés à une deuxième reprise vers le Nord pour « valider et partager les résultats avec les communautés avant de les transmettre au gouvernement fédéral ». Avant de terminer son projet de recherche, l’équipe prévoit encore visiter deux autres communautés du Nunavut.
Des pratiques menacées
Changement comportemental des animaux, contamination des eaux, diminution de la qualité de la viande… De Paulaluk à Pond Inlet, les préoccupations des résidents ont fait consensus.
L’augmentation du nombre de navires dans les eaux nordiques se fait ressentir dans plusieurs communautés côtières et bouleverse de plus en plus les pratiques des Inuits, explique Natalie Carter. Plusieurs résidents ont confié à la chercheuse que le goût de la viande chassée avait tendance à se dégrader en raison du stress qu’éprouvent les animaux en fuyant un navire.
« Il y a plusieurs mammifères marins qui sont fondamentaux pour les Inuits puisqu’ils sont parmi leur principale source d’alimentation et, par le fait même, ils sont au centre de leur culture, soutient Natalie Carter. Ceux qui ont été le plus cités sont les phoques, les bélugas, les morses, les baleines boréales et les narvals. »
Les chasseurs, les pêcheurs, les représentants d’administrations régionales et municipales ainsi que les aînés interrogés ont aussi déploré le manque d’informations qui leur étaient transmises au sujet des itinéraires des navires. Ils ont aussi confié ne pas se sentir assez préparés pour répondre à une situation d’urgence qui pourrait survenir à tout moment, comme un déversement de pétrole.
Services essentiels
Somme toute, Natalie Carter précise que les navires de ravitaillement sont toujours essentiels aux communautés nordiques. « Parmi les avantages qu’ont identifiés les communautés, elles ont rappelé que les voies maritimes leur permettaient de se procurer des aliments, des équipements et du mazout », souligne-t-elle.
Le transport de marchandises par navires demeure aussi moins coûteux que celui par avion et il génère quelques possibilités d’emplois, bien que plutôt limitées, ajoute-t-elle.
« Approche de leadership partagé »
« [Les personnes interrogées] ont vraiment senti que combiner la science occidentale et le savoir des Inuits était essentiel pour que le gouvernemental se fasse un bon portrait d’ensemble », rapporte la chercheuse universitaire. Leurs recommandations allaient dans le sens d’une approche de leadership partagé.
- Amélioration de la communication avec les communautés sur les trajectoires des navires
- Création d’un comité formé de représentants du gouvernement du Nunavut et d’organisations territoriales, de chasseurs, de membres de communautés de l’Arctique canadien pour gérer conjointement les déplacements des navires de marchandises
- Diminution des déversements de déchets
- Adoption d’une distance minimale entre les navires et les côtes
- Réduction du bruit des navires
- Prise en compte de trajectoires suggérées par les résidents
À terme, la chercheuse espère développer « un réseau canadien de recherche sur le transport dans l’Arctique qui regrouperait des universitaires, des communautés locales, des organisations inuites, des gouvernements et diverses industries pour réunir les perspectives de chacun de ces groupes sur l’environnement ».
Le groupe de chercheurs de l’Université d’Ottawa a obtenu des subventions de plusieurs ministères fédéraux, dont celui des Pêches et des Océans, des Transports, de l’Environnement et du Changement climatique et de l’ancien ministère fédéral des Affaires autochtones et du Nord.
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