Parcourir le Canada à vélo pour sensibiliser la population au suicide chez les Inuit
Une jeune Inuk de 24 ans a commencé à traverser le Canada à bicyclette pour sensibiliser la population à la crise des suicides qui sévit dans le Grand Nord.
Native de Kuujjuaq, dans le Nord du Québec, Hannah Tooktoo réside maintenant à Montréal, où elle étudie les arts visuels au Collège Dawson. Pendant la pause estivale, elle s’est donné une mission, celle de parler de « l’épidémie de suicides » qui sévit dans les communautés inuit.
Pour ce faire, elle roulera à vélo de Victoria, en Colombie-Britannique, jusqu’à Montréal, en s’arrêtant sur son chemin pour discuter avec les gens et faire passer son message.
Son aventure débutait dimanche et doit durer huit semaines, donc jusqu’à la mi-août. Le trajet compte environ 5000 kilomètres de route à parcourir.
Hannah pédale seule. Elle a abandonné momentanément son conjoint et sa petite fille de trois ans pour se consacrer entièrement à son projet.
« Je ne connais personne au Nunavik qui n’ait pas été affecté par cela [les nombreux suicides] », souligne la jeune femme, trois jours avant de commencer l’aventure depuis la côte du Pacifique. Radio-Canada l’a jointe par téléphone au moment où elle séjournait chez sa sœur établie à Vancouver.
« Je crois que ce n’est pas normal que nous devions affronter cela. Il y a une pénurie de services, de ressources pour obtenir de l’aide. Il n’y a pas de psychologues et de thérapeutes permanents dans le Nord vers qui se tourner », ajoute-t-elle.
À Kuujjuaq, le plus grand village de la baie d’Ungava avec 2700 habitants, le taux de suicide est 25 fois plus élevé que dans le reste du Québec.
Pendant son périple, Hannah Tooktoo veut informer les Canadiens sur l’histoire de sa région, sur les impacts de la colonisation et sur les traumatismes vécus par son peuple.
« Je veux juste montrer à quel point c’est difficile de perdre de multiples personnes par suicide dans votre communauté, dans votre cercle d’amis et dans votre famille; comment cela peut affecter une personne et pourquoi nous avons ces problèmes », explique-t-elle.
Une ligne d’écoute pour le mieux-être des Premières Nations et des Inuit existe aussi : 1 855 242-3310.
Un appel à l’aide
Hannah considère qu’il est possible de prévenir ces décès par suicide. « Chaque fois qu’une personne meurt en raison du manque de ressources et du manque de services, c’est injuste », s’insurge-t-elle. Elle presse les gouvernements de s’activer pour combattre le fléau.
Aux citoyens canadiens, elle adresse le message suivant : « Écoutez nos histoires et écoutez nos expériences avec le cœur ouvert et l’esprit libre. Nous sommes tous des êtres humains. Nous sommes tous frères et sœurs. Je crois que c’est important que les Canadiens non autochtones contribuent, parce que nous vivons tous ensemble dans le même pays. »
Hannah a connu la réalité du suicide dès son jeune âge. Au fil du temps, elle a vu de nombreuses personnes disparaître ainsi dans sa communauté et elle veut que cela cesse.
Elle mentionne au passage que bon nombre d’habitants du Nunavik, la région inuite du Nord du Québec, souffrent de problèmes mentaux et que d’autres sont plongés dans un processus de deuil. Elle ajoute que chaque nouveau cas de suicide fait remonter le souvenir de tous les autres.
Un défi personnel
À son envie d’attirer l’attention sur la crise du suicide chez les Autochtones, la jeune femme a allié son penchant pour le cyclisme. « J’ai toujours voulu voir ce à quoi ressemble le Canada, raconte-t-elle. Me déplacer à bicyclette va être une belle et douce façon de le découvrir. Ce sera un défi physique et mental pour moi. »
En prévision de ce défi, elle s’est soumise à un entraînement quotidien à bicyclette, parcourant chaque jour de plus longues distances. Il y a trois jours, elle a franchi la barre des 73 kilomètres en une journée. « Mon corps est en train de s’habituer à cette routine », assure-t-elle.
Elle s’est fixé comme objectif d’abattre 100 kilomètres de route par jour. Quand on lui demande si elle craint l’étape des Rocheuses, elle répond par la négative.
Elle sait aussi que son périple lui permettra de tester sa résilience, de voir si elle est forte et de se prouver qu’elle peut réussir pareille entreprise. Elle sait également que ce sera l’occasion pour elle de guérir, de faire un deuil et de réfléchir.
Elle prévoit aller à la rencontre des communautés autochtones situées le long de son trajet, mais elle n’a pas de rendez-vous fixés pour l’instant. À vrai dire, elle compte se manifester lors de ses déplacements.
« Cela me procure de la flexibilité. […] J’aime le fait de pouvoir dire : la prochaine communauté est à 50 kilomètres de distance, je vais y aller pour une visite et ensuite j’irai voir la prochaine communauté », affirme-t-elle.
Elle roulera seule à vélo, mais une voiture la suivra afin de signaler aux autres automobilistes sa présence sur la route. « J’aurai une certaine sécurité », précise-t-elle.
Soutenir la communauté de Kuujjuaq
La jeune Inuk a récemment lancé une campagne de sociofinancement sur le site Internet GoFundMe. Elle espère amasser 25 000 $ pour réaliser ce voyage. En date de vendredi midi, elle avait déjà reçu plus de 7000 $ en dons.
Elle souhaite aussi verser une partie des fonds à un ou des organismes de Kuujjuaq qui viennent en aide aux Inuit dans le besoin.
Elle envisage de soutenir le futur centre de désintoxication, en construction dans sa communauté, ou un centre pour aînés autochtones. Son choix n’est pas encore fait.
Une fois rentrée à Montréal, elle compte justement se rendre à Kuujjuaq pour deux semaines, avant de reprendre ses études au Collège Dawson en septembre.
Pédalera-t-elle un jour jusqu’à Kuujjuaq? « Oui, mais il n’y a pas de route qui y mène! », lance-t-elle en riant.
Hannah Tooktoo aimerait faire une traversée complète du Canada. Le tronçon reliant Montréal et Terre-Neuve sera pour une autre fois, dit-elle. Peut-être bien à l’été 2020.