La longue chaîne de négligences derrière le déversement de l’Exxon Valdez
Un équipage insouciant, un bâtiment mal conçu, de l’équipement défectueux, une réglementation affaiblie par le lobbying, un plan d’urgence désuet… Si le déversement du superpétrolier a eu des conséquences aussi graves, le 24 mars 1989, c’est à cause d’une série de manquements dans à peu près tous les maillons de la chaîne pétrolière. Le journaliste Étienne Leblanc raconte à Jacques Beauchamp comment la réaction inadéquate des autorités américaines a transformé un accident en l’un des plus grands désastres écologiques de l’histoire.
En tout, ce sont 40 000 tonnes, ou 42 millions de litres, de pétrole brut qui se sont déversés dans la baie du Prince-William, causant la mort de 250 000 oiseaux marins et des deux tiers de la population d’épaulards des environs, et compromettant la pêche pratiquée dans la région.
Trente ans plus tard, on trouve encore du pétrole sur les plages et les côtes au large desquelles la catastrophe est survenue.
Comédie d’erreurs
Peu après la sortie d’un étroit passage maritime avec un pilote d’appoint, le 23 mars 1989, le capitaine passe la barre à son second, qui la donne lui-même à son apprenti.
Pour éviter des morceaux d’iceberg, le capitaine ordonne de dévier du couloir de navigation prescrit pour le navire. C’est alors que ce dernier frappe le récif de Bligh, au sud de l’île Busby. L’obstacle était pourtant bien connu, mais le radar du bateau n’est pas opérationnel.
Huit des 11 citernes du pétrolier sont éventrées, 4 minutes après le début du Vendredi saint.
Le capitaine, soupçonné plus tard d’avoir été en état d’ébriété au moment de l’accident, passe un appel d’urgence, mais il faudra 12 heures avant qu’une première équipe d’intervention ne soit sur les lieux. Quand cette dernière arrive, du dispersant chimique est appliqué maladroitement et rate sa cible. C’est ainsi que le pétrole, alors déversé sur un kilomètre ou deux, forme une mare de 700 km au large des côtes.
Sur celles-ci, davantage de dispersant chimique est utilisé, aggravant les conséquences de l’accident sur l’écosystème. Des mois plus tard, on n’a récupéré que 15 % du pétrole écoulé.
Des procès longs et peu productifs
Les actions judiciaires contre Exxon, qui tente sans succès de mettre en cause son capitaine, se poursuivent jusque dans les années 2000. Au terme des procédures, la multinationale est condamnée à payer 500 millions de dollars aux 30 000 plaignants – les pêcheurs et autres personnes touchées par la catastrophe –, dont 4000 sont morts pendant le délai.
Cette somme s’ajoute aux 2,5 milliards déboursés par la société pour le nettoyage du site de l’accident, qui a nécessité 10 000 bateaux et des milliers de travailleurs.
Resserrements
Il est admis aujourd’hui qu’une réglementation aurait dû forcer l’Exxon Valdez à demeurer dans son couloir maritime, et obliger Exxon à installer une double coque sur ses bateaux, de même qu’à se doter d’un plan d’urgence régulièrement mis à jour.
Depuis la catastrophe, la société a apporté les changements nécessaires. Le gouvernement américain impose également la double coque et le respect des couloirs aux pétroliers.
À la suite de l’explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon, en 2010, le gouvernement Obama a par ailleurs cherché à mieux encadrer le transport maritime du pétrole, mais l’arrivée au pouvoir de Donald Trump a plutôt imposé un recul à la protection des milieux marins.
Selon Étienne Leblanc, l’assouplissement des règles pour les pétrolières, couplé à un intérêt croissant pour l’exploration en Arctique en raison du réchauffement climatique, rend bien réel le risque qu’un tel accident se produise à nouveau.