Une application mobile pour permettre aux Inuit du Nord canadien de « reprendre le contrôle de leur savoir »
Les Inuit du Nord canadien doivent reprendre le contrôle de leur savoir pour s’adapter aux changements climatiques et parvenir à l’autodétermination, croit un organisme inuit qui a conçu une application mobile visant à renseigner les chasseurs sur les conditions environnementales dans la toundra.
« On voit souvent des scientifiques du Sud [du pays] passer plusieurs années à collecter des données qui ne viennent que confirmer ce que les Inuit disent depuis des années », mentionne le scientifique et directeur exécutif de la Société des eiders de l’Arctique, Joel Heath. L’organisme offre entre autres des formations à des chasseurs inuit et cris pour mieux les outiller pour faire face aux changements climatiques.
Depuis un peu plus de deux ans, la Société des eiders de l’Arctique travaille sur la conception de l’application Siku, une encyclopédie numérique qui collige des données environnementales de différentes régions du nord du pays.
« L’un des éléments les plus importants avec l’application Siku, c’est qu’elle n’a pas été conçue pour les scientifiques, explique-t-il, lors d’un bref passage à Montréal dans le cadre du Congrès d’études inuit, un événement multidisciplinaire qui a lieu jusqu’au 6 octobre.
L’application, que l’organisme compare à un « Wikipédia du savoir inuit », s’appuie sur de l’imagerie satellite, des photos et des vidéos transmises par des résidents de communautés nordiques.
De Cambridge Bay à Nain, en passant par Kuujjuarapik, les utilisateurs peuvent ainsi partager en temps réel des informations liées, notamment, aux migrations des animaux ou aux conditions de la glace, tout en utilisant une terminologie en inuktitut.
« La terminologie utilisée par les Inuit pour décrire la glace est beaucoup plus précise que ce que les scientifiques ont toujours utilisé », poursuit Joel Heath.
« C’est une application faite par et pour les Inuit », résume Lucassie Arragutainaq, un chasseur inuk originaire de Sanikiluaq, au Nunavut, et cofondateur de la Société des eiders de l’Arctique.
À la manière de Facebook, les utilisateurs peuvent se créer un profil personnel, partager des images et des vidéos et commenter les publications d’autres personnes. « Mais contrairement à Facebook, [l’application] Siku n’est pas basée sur des algorithmes », précise Joel Heath, un sourire en coin. « On veut vraiment que les gens soient libres de se renseigner sur ce qu’ils veulent, quand ils veulent », ajoute-t-il.
L’urgence de documenter les changements environnementaux
Saison libre de glace prolongée, bouleversements des cycles de migration des animaux, dégel du pergélisol… Les Inuit sont les premiers à constater les perturbations causées par la hausse des températures dans le nord du pays.
« Nous voulons continuer de chasser, donc nous n’avons pas le choix de documenter ce qu’il se passe », soutient Lucassie Arragutainaq, qui dirige l’Association des chasseurs et des trappeurs de Sanikiluaq.
Le chasseur inuk ajoute qu’il est profondément animé par un sentiment « d’urgence », qu’il associe d’une part aux changements climatiques, mais aussi à l’engouement des jeunes pour les réseaux sociaux et les nouvelles technologies. « Mon père m’a appris tout ce que je devais savoir sur le territoire, mais maintenant, les jeunes passent leur temps sur Facebook! », s’exclame-t-il.
Toute l’importance de la plateforme, indique Joel Heath, est de connecter les communautés les unes avec les autres et de « faciliter la transmission de connaissances des aînés vers les jeunes ».
L’application Siku sera lancée officiellement au mois de décembre, mais de nombreux chasseurs l’utilisent déjà depuis environ deux ans. « Nous l’avons constamment mise à jour, donc elle est déjà très complète et fonctionnelle », précise Joel Heath.
À l’heure actuelle, les données colligées proviennent des quatre régions inuit du nord du pays, à savoir la région désignée des Inuvialuit (nord-ouest du Canada), le Nunavut (Nord canadien), le Nunavik (Nord québécois) et le Nunatsiavut (nord du Labrador). Mais à terme, l’organisme souhaiterait étendre son périmètre jusqu’en Alaska et au Groenland.
L’organisme a aussi entamé des discussions avec des gouvernements provinciaux et territoriaux, ainsi que des organismes représentant des Inuit, pour que le contenu de la plateforme serve à orienter de futures politiques publiques.
En 2017, la Société des eiders de l’Arctique a reçu une bourse de 750 000 $ du « Google.org Impact Challenge », un concours destiné à des organismes canadiens à but non lucratif qui utilisent la technologie pour surmonter des défis sociaux.