Le savoir des Inuits limite certains effets des changements climatiques dans l’Arctique canadien

Une récente étude de l’Université de Leeds, au Royaume-Uni, soulève l’importance du savoir des Inuits pour mieux s’adapter à la hausse des températures dans l’Arctique canadien. (Dylan Clark/Courtoisie de James Ford)
Le savoir traditionnel des Inuits de l’Arctique canadien leur a permis d’atténuer les effets des changements climatiques sur leurs déplacements dans la toundra, selon une récente étude de l’Université de Leeds, au Royaume-Uni.

« En nous basant sur différents modèles, nous avons conclu que le nombre de jours où les conditions étaient souhaitables pour se déplacer sur les sentiers semi-permanents avait globalement augmenté », mentionne le chercheur au Centre international Priestley pour le climat à l’Université de Leeds, James Ford, en entrevue téléphonique avec Regard sur l’Arctique.

L’étude, publiée le 18 mars dans la revue scientifique Nature Climate Change, soulève l’importance du savoir des Inuits pour mieux s’adapter à la hausse des températures dans l’Arctique, une région où elle est deux fois plus rapide qu’ailleurs sur la planète.

Le groupe de chercheurs, affiliés à des universités du Canada, de l’Australie et de l’Afrique du Sud, souhaitait initialement mesurer l’impact des changements climatiques sur les déplacements des Inuits dans la toundra, des voyages dont dépendent plusieurs pratiques traditionnelles, comme la chasse, la pêche et la cueillette.

Malgré les variations importantes des conditions climatiques, comme la hausse des températures entre 1985 et 2016, les chercheurs ont conclu que l’accès aux sentiers sur la terre, les rivières et la banquise avait été moins affecté qu’ils ne le croyaient. L’étude rapporte que les conditions des sentiers n’ont en réalité changé la durée de l’accès que d’environ un ou deux jours durant cette période.

Plusieurs pratiques traditionnelles inuites, comme la chasse, la pêche et la cueillette, dépendent des conditions des sentiers semi-permanents dans la toundra. (Dylan Clark/Courtoisie de James Ford)

Pour parvenir à ces conclusions, les chercheurs ont mené des entrevues auprès de 273 Inuits issus de 9 communautés du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest. Ils ont ensuite comparé les informations qu’ils avaient recueillies avec des relevés météorologiques datant des trente dernières années.

Les communautés où ont eu lieu les entretiens sont toutefois restées anonymes. « Notre modèle a été conçu pour que l’on s’interroge sur les conséquences [des changements climatiques] à l’échelle régionale plutôt qu’à l’échelle des communautés », précise James Ford.

Tolérance au risque

Dans leur analyse, les chercheurs ont découvert différentes variables qui influençaient l’accès aux sentiers saisonniers. Parmi elles, les conditions glaciaires, les températures, la qualité de l’équipement du conducteur, son niveau de tolérance au risque et sa connaissance de l’environnement.

Dans la culture inuite, le vent, la neige et les étoiles renseignent notamment sur les directions à emprunter pour se déplacer dans la toundra. « Les aînés, par exemple, ont une grande connaissance de leur environnement et de ces sentiers, donc ils ont une excellente tolérance au risque en général », affirme le premier auteur de l’étude.

L’étude souligne qu’un conducteur expérimenté peut même s’attendre à bénéficier d’une centaine de jours de plus où les conditions de déplacements dans la toundra sont satisfaisantes, comparativement à un jeune conducteur.

Du positif dans les changements climatiques?

S’il est vrai que la hausse des températures influe sur les conditions glaciaires et réduit ainsi l’accès des motoneiges aux sentiers de glace de mer en automne et en hiver, de meilleures conditions du vent et de la visibilité augmentent les déplacements sur les sentiers terrestres et les pistes de navigation au printemps et en été.

La hausse des températures dans l’Arctique canadien a altéré les conditions des sentiers sur la banquise, souligne l’étude. Même si les Inuits ont su s’adapter en se servant davantage de bateaux, entre autres, le chercheur britannique pense qu’ils ne peuvent pas tirer avantage de ces changements. (Dylan Clark/Courtoisie de James Ford)

Mais James Ford ne se réjouit pas pour autant de ces conclusions. « Les Inuits ne peuvent pas vraiment tirer avantage de tout cela », croit-il.

Même si les compétences des Inuits et leur adaptabilité parviennent, jusqu’à une certaine mesure, à limiter les contrecoups des bouleversements climatiques, l’étude rappelle que la hausse des températures a bel et bien des effets négatifs sur la région. James Ford évoque le cas des espèces marines et terrestres dont se nourrissent traditionnellement les Inuits.

« Même si [ces conclusions] semblent positives à première vue, tous les Inuits n’ont pas forcément accès à un bateau, nuance-t-il. De nombreux Inuits franchissent à peine le seuil de pauvreté. »

Savoir autochtone et recherche scientifique

La communauté scientifique a souvent cherché à mesurer l’impact des changements climatiques sur les populations inuites de l’Extrême-Arctique. Pourtant, peu d’études ont véritablement « documenté ces changements d’une perspective inuite » de manière à prendre en compte le savoir traditionnel autochtone dans l’analyse scientifique, explique James Ford.

« Les études sur l’Arctique ont aussi davantage tendance à se concentrer sur une communauté spécifique », ajoute-t-il. Cela rend donc difficile pour les communautés et les gouvernements territoriaux de concevoir des plans liés à l’adaptation aux changements climatiques.

Le chercheur voit un intérêt à élargir son champ d’analyse lors d’une prochaine étude. Les déplacements dans la toundra, qui sont ancrés depuis des siècles dans la culture des Inuits, sont liés à d’autres sphères de leur vie, ajoute-t-il.

« Notre hypothèse est que l’accès aux sentiers peut même être relié à la santé [des Inuits]. Quand l’accès aux sentiers est compromis, il y a des conséquences sur le bien-être, sur la santé mentale ou sur la sécurité alimentaire [des populations locales]. »

James Ford, chercheur au Centre international Priestley pour le climat à l’Université de Leeds et premier auteur de l’étude

James Ford souhaiterait aussi changer d’ordre de grandeur en concentrant ses prochaines recherches sur une ou deux communautés de l’Arctique canadien.

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