La justice canadienne, ce « rouleau compresseur » pour les Autochtones

Le système de justice canadien entretient une approche colonialiste envers les Inuit, écrit l’ancien procureur de la Couronne, Pierre Rousseau, dans son récent livre. Cette image montre le centre correctionnel de Baffin, à Iqaluit, au Nunavut. (Kieran Oudshoorn/CBC)
Le système de justice entretient toujours une approche colonialiste envers les Inuit et les Premières Nations du Canada, résume l’ancien procureur fédéral Pierre Rousseau dans son récent livre Une justice coloniale : Le système juridique canadien et les Autochtones.

Pierre Rousseau jette aujourd’hui un regard critique sur le système juridique, qu’il décrit comme une « force assimilatrice » dont les conséquences ont été dévastatrices pour les populations autochtones au Canada.

Dans son ouvrage, publié aux Presses de l’Université Laval, il revient sur son parcours dans l’Arctique canadien, où il a travaillé jusque dans les années 1990, notamment comme procureur de la Couronne pour la région de Baffin, dans le nord-est du pays, et comme directeur des bureaux régionaux du ministère de la Justice à Yellowknife (Territoires du Nord-Ouest) et à Whitehorse (Yukon).

« Quand j’ai commencé à travailler comme avocat, je pensais que le système judiciaire canadien était le meilleur au monde », se souvient-il. Mais depuis, les perceptions du procureur à la retraite ont changé du tout au tout. « Petit à petit, j’ai constaté que ça ne marchait pas », souligne-t-il.

Couverture du livre Une justice coloniale : Le système juridique canadien et les Autochtones, de Pierre Rousseau (Presses de l’Université Laval)
Des approches contradictoires

Dans la culture inuit, les méthodes de règlement des différends mettent l’accent sur le rétablissement de l’ordre et de l’harmonie en privilégiant la réconciliation entre la victime et le délinquant, écrit l’auteur dans son ouvrage. « Je ne suis pas Autochtone […] mais ce que j’ai appris des gens, c’est qu’on n’avait pas une approche collaborative [et] réparatrice », mentionne-t-il.

« Quand on arrivait, on exacerbait le problème en forçant les gens à témoigner les uns contre les autres, explique-t-il. On allait à contre-courant de ce que la communauté voulait faire. »

Les procès avaient souvent lieu plus d’un an après les événements, ce qui ravivait des souvenirs douloureux chez les victimes et leurs proches. « On rouvrait les plaies de ce qu’il s’était passé, admet-il. On forçait les témoins à témoigner devant tout le village. »

Dans son ouvrage, il revient aussi sur le manque de services de traduction en langue inuit durant les procès ainsi que sur l’absence de confidentialité pour les victimes qui, une fois leur témoignage terminé, regagnaient leur communauté, où elles risquaient de croiser leur agresseur. « J’ai vu des victimes se suicider avant d’aller en cour », se souvient-il.

« Je donne tellement d’exemples de mauvais fonctionnement du système [judiciaire], que ça en est au point où on se dit que ça ne peut pas être pire », soupire-t-il, l’air désillusionné.

Aujourd’hui, Pierre Rousseau ne pèse plus ses mots lorsqu’il décrit les rouages du système judiciaire dans lequel il a cheminé pendant une trentaine d’années. « On faisait partie d’un rouleau compresseur », affirme-t-il.

L’ancien procureur de la Couronne Pierre Rousseau, lors d’un témoignage à la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec. (Radio-Canada)
Des réalités toujours actuelles

Même s’il est retraité depuis une dizaine d’années, Pierre Rousseau croit que le système juridique canadien demeure colonialiste. « Ça n’a pas changé; ce n’est pas quelque chose qui change du jour au lendemain », soutient-il.

Au Canada, les commissions d’enquête sont à peu près unanimes pour constater l’échec du système juridique à l’égard des peuples autochtones.

La Commission royale sur les peuples autochtones, qui a rendu son rapport final en novembre 1996, recommandait notamment aux gouvernements de reconnaître le droit des nations autochtones de créer et d’administrer leurs propres systèmes de justice, conformément à leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale.

Au mois de septembre, la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec a conclu, dans son rapport final, que les Autochtones de la province, parmi lesquels figurent environ 14 000 Inuit, étaient victimes de racisme systémique, notamment en matière de justice.

Au bout du fil, Pierre Rousseau ne cache pas sa déception. « Je ne comprends pas que les choses ne changent pas », lance-t-il, en laissant échapper un long soupir.

Le rapport de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec a conclu que les Autochtones du Canada étaient victimes de racisme systémique. Le commissaire Jacques Viens considère que cela résulte d’un héritage colonialiste, d’une méconnaissance généralisée, d’une image publique tronquée et de l’absence d’une action gouvernementale représentative des besoins réels des Autochtones. (Jean-François Villeneuve/Radio-Canada)
Une lueur d’espoir

Même s’il croit, comme d’autres experts du milieu judiciaire, qu’il faudra attendre de voir davantage d’Autochtones se tourner vers des professions juridiques pour faire contrepoids au système de justice et imposer le changement, Pierre Rousseau met peu d’espoirs sur cette éventualité.

« Quand les avocats autochtones travaillent dans le système, à un moment donné, plusieurs d’entre eux deviennent eux aussi désillusionnés », mentionne-t-il, en citant l’exemple d’anciens collègues inuit qui ont choisi de se tourner vers un emploi dans la fonction publique.

Dans son livre, il décrit le pluralisme juridique comme étant la seule possibilité pour se distancer de toute forme de colonialisme. « Le Groenland est un exemple qui montre que c’est possible », affirme-t-il. Dans leur Code criminel, les Groenlandais prennent en compte des concepts traditionnels inuit qui privilégient l’harmonie et la réhabilitation.

Malgré les défis que cette transition impose, l’ancien procureur rappelle qu’il ne faut pas baisser les bras. « Les Autochtones ont le droit d’avoir leur propre système de justice », martèle-t-il.

Le livre Une justice coloniale : Le système juridique canadien et les Autochtones est disponible en librairie depuis le 16 octobre.

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