Les Inuit du Canada « systématiquement privés » d’indemnités allouées aux victimes de violence

Seulement 0,21 % des victimes de crime contre la personne ont été indemnisées au Nunavik entre 2013 et 2019, alors qu’environ 8 % d’entre elles l’ont été ailleurs au Québec, selon des statistiques. (Eilís Quinn/archives/Radio-Canada)
En 2020, le Québec a octroyé 152 millions de dollars en indemnités à des victimes de violence, dans le but d’atténuer les séquelles des traumatismes vécus.

Parmi les 7401 bénéficiaires du programme, seulement 9 étaient des résidents du Nunavik, selon des documents déposés devant la Cour supérieure du Québec.

Cette iniquité qui toucherait la région la plus nordique du Québec, peuplée en grande majorité par des Inuit, est l’objet d’une nouvelle demande d’autorisation de recours collectif.

Se basant sur les statistiques officielles, les avocats derrière cette demande ont conclu que les victimes d’actes criminels du Nunavik « ont approximativement 40 fois moins de chances d’être indemnisées que celles qui résident ailleurs au Québec ».

Pourtant, ce n’est pas qu’il y a moins de violence contre la personne au Nunavik. Au contraire, il s’agit plutôt de l’une des régions du Québec où les résidents sont plus à risque d’être victimes de violence physique ou sexuelle.

Le poste du Service de police du Nunavik à Kuujjuaq (Michel Martin/archives)

Selon les données compilées par le Service de police du Nunavik, il y a environ 5000 crimes contre la personne commis chaque année dans la région, sur une population d’environ 12 000 habitants.

La demande d’autorisation allègue que les « victimes qui résident dans les communautés inuit du Nunavik […] sont injustement et systématiquement privées des bénéfices du régime d’indemnisation ».

Agressée, mais pas indemnisée

Une femme inuk qui a été victime de multiples agressions sexuelles et d’actes de violence à partir de l’âge de 5 ans a institué le processus légal.

Maintenant âgée de 24 ans, cette mère de deux enfants a dénoncé quatre agresseurs aux autorités, qui ont été reconnus coupables de multiples infractions lors de procès distincts.

Selon un de ses avocats, cette ancienne résidente de Kuujjuaq n’a jamais été informée qu’elle pourrait être admissible à des indemnités sous le régime québécois mis en place en 1972 par la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels.

« Elle a été victime de plusieurs crimes violents au Nunavik. Elle a eu le courage de dénoncer les agresseurs dans tous ces dossiers […] Elle a cheminé à travers toute la procédure, elle a collaboré avec le ministère public, et elle n’a jamais été avisée de l’existence de son droit à l’indemnisation. »Victor Chauvelot, avocat

Me Chauvelot et son collègue Louis-Nicholas Coupal affirment que le gouvernement du Québec a failli à sa tâche de promouvoir le régime auprès d’une des populations les plus vulnérables à la violence au Québec.

« C’est systématique sur ce territoire, au Nunavik, que les victimes d’actes criminels – même lorsqu’elles sont prises en charge ou accompagnées par des représentants des autorités publiques – ne soient pas avisées de l’existence du régime d’indemnisation, donc de leur droit d’obtenir une compensation monétaire », affirme M. Chauvelot en entrevue.

Pour être indemnisée, une victime doit prouver qu’elle a subi un acte criminel et doit démontrer l’existence d’une blessure « psychique ou physique ». Selon la loi québécoise, les victimes admissibles à ce programme ont le droit « de recevoir, de façon prompte et équitable, réparation ou indemnisation du préjudice subi ».

En moyenne, les victimes québécoises de violence qui ont participé au programme provincial ont reçu environ 20 000 $ en indemnités et services en 2020.

Les indemnités offertes sous ce régime dédommagent les victimes pour les sévices subis et les aident à réintégrer la société. Par exemple, en 2020, le programme a offert 9 millions en assistance médicale, 22 millions en services de réadaptation et près de 120 millions en indemnités pour incapacité temporaire ou permanente.

Le palais de justice de Kuujjuaq, au Nunavik, dans le Nord québécois (Eilís Quinn/archives/Radio-Canada)
« Discrimination systémique »

Selon les statistiques compilées par MM. Chauvelot et Coupal, environ 8 % des victimes de crimes contre la personne rapportées au Québec entre 2013 et 2019 ont été indemnisées.

Parmi les résidents du Nunavik, ce chiffre chute à 0,21 % en moyenne pour la même période.

Selon les chiffres compilés grâce au code postal des personnes indemnisées, il y a eu 86 victimes de violence qui ont profité du programme au Nunavik de 2013 à 2020, alors que pour la même période un total de 45 743 personnes au Québec ont été indemnisées par le programme.

« Malgré ces statistiques, le [gouvernement du Québec] néglige de prendre les mesures requises pour que les victimes du Nunavik puissent bénéficier du régime d’indemnisation au même titre que les autres victimes québécoises. Laissées pour compte, les victimes du Nunavik ne sont pratiquement jamais indemnisées », allègue l’action collective.

L’action collective a été déposée en Cour supérieure, mais elle n’a pas encore été autorisée.

Pour l’instant, les avocats réclament des dommages punitifs de 10 000 $ pour chaque victime qui n’a pas été indemnisée sous le régime québécois, alors qu’elles auraient pu être admissibles à une compensation. L’action collective réclame aussi 1000 $ par crime subi à titre de dommages et intérêts moraux.

Nouveau régime en octobre

Créé dans les années 1970, le régime québécois a été modernisé en 1988 avec la Loi sur l’aide aux victimes d’actes criminels. Pour appliquer la loi, le gouvernement a créé un réseau de Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) qui offre près de 200 points de services au Québec.

Un porte-parole du ministère de la Justice a assuré qu’une nouvelle réforme du régime d’indemnisation entrera en vigueur en octobre. Parmi les nouvelles mesures se trouve l’abolition rétroactive du délai pour présenter une demande d’indemnisation en lien avec des infractions de violence sexuelle, conjugale ou subies dans l’enfance.

« Nous encourageons ainsi toutes les victimes d’actes criminels à faire une demande auprès de [la Direction de l’Indemnisation des victimes d’actes criminels] ou à obtenir de l’aide du réseau des CAVAC », affirme Paul-Jean Charest, du ministère de la Justice.

Il a ajouté qu’à l’échelle du Québec, le réseau des CAVAC « compte sur l’expertise de 29 intervenants autochtones, dont 9 au Nunavik ».

M. Charest a ajouté que le ministère ne ferait pas de commentaire sur la procédure légale qui vient d’être enclenchée.

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