L’approvisionnement des communautés du Grand Nord canadien menacé par la COVID-19
La Garde côtière canadienne a un sérieux problème sur les bras. Des équipages menacent de ne pas monter à bord de brise-glaces qui doivent se rendre dans l’Arctique si des tests de dépistage de la COVID-19 ne sont pas effectués avant le départ des navires.
L’enjeu est énorme. Des dizaines de communautés éloignées de l’Arctique dépendent du transport maritime en été pour l’approvisionnement en biens essentiels pour le reste de l’année. Sans les brise-glaces, les livraisons peuvent difficilement avoir lieu.
Sur le Pierre-Radisson, l’Amundsen et le Des Groseilliers, trois des navires de la Garde côtière canadienne (GCC) qui doivent se rendre dans l’Arctique, les équipages proviennent principalement du Québec.
« On joue à la roulette russe avec nous. C’est irresponsable et absurde », a confié un marin sous le couvert de l’anonymat. « Tout le monde sait que c’est au Québec qu’il y a le plus de cas [de COVID-19]. Si on n’est pas testé avant l’embarquement, on ne part pas. »
Une note de service adressée à la direction de la GCC, obtenue par Radio-Canada, décrit l’état d’esprit qui règne à quelques jours du départ du brise-glace Pierre-Radisson pour le Grand Nord.
Son commandant, Stéphane Julien, prévient les dirigeants du danger qui guette son équipe advenant la propagation du virus à bord. Il écrit qu’« une évacuation médicale en Arctique peut prendre plusieurs jours. Dans l’Arctique, les brise-glaces se trouvent à au moins trois jours de navigation du port de refuge canadien le plus proche. »
« Un transit d’une telle durée avec un équipage malade peut devenir un cauchemar et être très dangereux pour la sécurité du navire et de son équipage. »Extrait de la note de service du commandant Stéphane Julien
Or, l’équipage d’environ 50 personnes doit monter à bord du Pierre-Radisson dans une semaine pour une mission d’une quarantaine de jours. À l’échéance de cette mission, marins et officiers doivent être relevés par une autre équipe.
« Nous croyons essentiel de tester systématiquement tout le personnel avant l’embarquement pour le voyage arctique », conclut la note de service datée du 25 mai.
Des réponses floues
Les équipages du Pierre-Radisson, de l’Amundsen et du Des Groseilliers pourront-ils avoir accès à des tests de dépistage avant l’embarquement ? Que compte faire la Garde côtière canadienne si son personnel refuse de monter à bord des brise-glaces ?
En fin de soirée lundi, la GCC a fourni une réponse ambiguë à des questions soumises en début d’après-midi.
La GCC a ajouté que la santé des membres d’équipage sera étroitement surveillée tout au long de leur déploiement grâce à un contrôle régulier de leur température corporelle. « À bord du navire, toutes les zones communes sont désinfectées de manière quotidienne, et tous les membres d’équipage reçoivent un équipement de protection individuelle lorsque leur travail rend impossible toute distanciation physique. »
Les équipages des trois navires ignoraient toujours, lundi soir, si des tests de dépistage systématique seraient effectués avant l’embarquement et leur départ pour l’Arctique.
Des sources proches du dossier indiquent que les dirigeants de la Garde côtière canadienne « font des pieds et des mains » en ce moment pour convaincre Ottawa et Québec de fournir des tests. L’une d’elles soutient que « c’est un mélange de lourdeur bureaucratique et d’incompréhension dans les deux machines gouvernementales » qui est au cœur du problème.
« On s’explique mal pourquoi c’est si compliqué », indique de son côté la directrice générale des Armateurs du Saint-Laurent, Louise Bédard.
L’association qui représente notamment les deux transporteurs desservant l’Arctique n’est nullement surprise. « Nous aussi, on se bat depuis près de trois mois pour convaincre les deux paliers de gouvernements de fournir à nos équipages des tests de dépistage, mais on s’est buté à des portes fermées. »
L’objectif est de mettre en place toutes les mesures et tous les protocoles nécessaires pour rassurer le personnel de Desgagnés et NEAS, tout comme les communautés du Nunavut qui expriment certaines craintes, elles qui ne comptent toujours aucun cas de COVID-19. « On regrette cette fin de non-recevoir, souligne Louise Bédard. Malheureusement, les entreprises doivent s’organiser chacune de leur côté. »
Les conséquences potentielles
Le moindre retard dans le déploiement des brise-glaces peut avoir des répercussions pour les transporteurs maritimes.
La fenêtre pour les livraisons dans le Grand Nord est courte. C’est sans compter les violentes tempêtes et fortes coulées de glace qui peuvent entraîner des retards. Sans la présence des brise-glaces de la GCC, la baie d’Hudson peut être particulièrement problématique pour les cargos au début de juillet.
Or, des communautés et leurs entreprises attendent depuis des mois – parfois des années – leur approvisionnement en provenance du Sud. Vivres, matériaux de construction, véhicules d’urgence, diesel pour les centrales électriques et biens de consommation de tout genre sont transportés principalement par deux armateurs : Desgagnés et NEAS.
« Nous avons cinq pétroliers et au moins six cargos qui s’en vont en haut cet été. On ne peut pas perdre notre fenêtre, et le temps presse. Il faut que ça roule », indique Serge Le Guellec, PDG de Transport Desgagnés.
L’approvisionnement des communautés de l’Arctique est déjà, chaque année, une opération des plus complexes. Une présence réduite des brise-glaces dans le Grand Nord perturberait les activités des transporteurs et la vie des communautés.
La question se pose : la Garde côtière canadienne dispose-t-elle de l’écoute dont elle devrait bénéficier de la part du gouvernement compte tenu des responsabilités qu’elle doit assumer ?
Pour le gouvernement Trudeau, qui ne cesse de témoigner de sa préoccupation envers le sort des communautés autochtones, cette question pourrait devenir un embâcle dans ses relations avec des dizaines de villages inuit.