Certains ours polaires bénéficient, à court terme, de la fonte des glaces
Malgré le fait que la glace marine arctique a atteint son second niveau le plus bas en plus de 40 ans d’observations en 2020, une population d’ours polaires de l’Arctique canadien vit, quant à elle, mieux en moyenne ces dernières années que dans les années 1990.
Les 300 à 350 ours polaires du bassin Kane, un chenal gelé situé entre l’île canadienne d’Ellesmere et le Groenland dans le Haut-Arctique, représentent 1 à 2 % de la population mondiale d’ours blancs.
À l’inverse de leurs congénères, ils seraient en meilleure santé à mesure que le climat mondial se réchauffe, selon une étude internationale publiée le 23 septembre dans Global Change Biology.
En effet, l’amincissement et le rétrécissement de la glace marine pluriannuelle laissent davantage de lumière solaire atteindre la surface de l’océan, favorisant ainsi la prolifération biologique.
La glace pluriannuelle correspond à de la glace de mer qui a persisté pendant plus de deux étés sans fondre à l’inverse de la glace annuelle qui fond chaque été avant de se reformer en hiver.
« Nous constatons qu’une petite proportion de la population mondiale d’ours polaires vivant dans des régions de glace pluriannuelle bénéficie temporairement du changement climatique, » a indiqué par voie de communiqué l’auteure principale, Kristin Laidre, scientifique polaire au Polar Science Center du laboratoire de physique appliquée de l’université de Washington.
L’étude s’est basée sur des données recueillies durant deux périodes distinctes: 1993-1997 et 2012-2016. Parmi les résultats obtenus, les scientifiques ont observé une transformation considérable de la glace de mer dans le bassin Kane entre ces deux périodes d’étude.
Ainsi, dans les années 1990, environ la moitié de la région était couverte de glace pluriannuelle au plus fort de l’été, alors que dans les années 2010, seule de la glace annuelle subsistait, une glace qui fond en été.
Cependant, cette fonte des glaces a permis aux écosystèmes marins de se développer dans la région.
Plus fine et fragmentée, la couverture de glace annuelle laisse passer plus de soleil qui, à son tour, favorise la prolifération des algues. Ces dernières nourrissent de plus en plus de poissons qui vont par conséquent attirer des phoques, la source principale d’alimentation des ours polaires.
Les ours polaires restent toutefois en péril
Les ours polaires du bassin Kane font partie des quelque 25 000 ours blancs répartis en 19 sous-populations distinctes au Canada, en Alaska, en Sibérie, au Svalbard et au Groenland, dont certaines sont mal connues.
Selon une étude de 2016 dirigée par Kristin Laidre, tous ont vu leur saison de chasse sur glace diminuer ces dernières années. Avec une période de chasse raccourcie, ces animaux pouvant peser plus de 550 kilos à l’âge adulte ont de plus en plus de mal à satisfaire leurs besoins nutritifs.
Cette conclusion est partagée par une étude publiée en juillet 2020 qui met en avant le fait que faute de glace, ces plantigrades emblématiques de l’Arctique, en particulier les femelles, jeûnent sur les terres et n’ont pas assez de nourriture pour hiberner l’hiver et nourrir leurs petits.
Cela pourrait se traduire par l’extinction des ours polaires d’ici 2100, avance l’étude.
Ce phénomène a aussi été mis en avant par une autre recherche de Kristin Laidre qui s’est spécialisée sur la sous-population de la Baie de Baffin, située au sud du bassin Kane.
La spécificité de la sous-population du bassin Kane réside dans le type de glace qu’il renferme.
« Le bassin Kane perd également sa glace pluriannuelle, mais cela n’a pas le même effet sur la capacité de chasse des ours polaires, » explique Mme Laidre. « La glace pluriannuelle devient de la glace annuelle, alors que la glace annuelle se transforme en eau, ce qui est mauvais pour les ours polaires. »
Cela a été démontré par les résultats obtenus en suivant les ours à l’aide de satellites ou sur le terrain durant les deux périodes d’étude.
Ainsi, la condition physique, évaluée en fonction de la masse graisseuse, s’est accrue pour tous les âges chez les mâles et les femelles. Le nombre moyen d’oursons par portée, autre mesure de la santé globale des animaux, est resté inchangé.
La sous-population de l’autre côté de l’île d’Ellesmere, dans la baie norvégienne du Canada, pourrait se trouver dans une situation similaire, bien qu’il n’existe aucune donnée pour ces animaux.
Toutefois, les données satellites ont montré que les ours polaires du bassin Kane ont parcouru des zones plus étendues ces dernières années afin de se nourrir, couvrant deux fois plus de distance et s’éloignant davantage de leur territoire.
Une situation qui ne devrait pas durer
Si les températures continuent d’augmenter, cette idylle pourrait virer au drame, souligne l’étude. Les ours du bassin Kane pourraient finir comme leur voisin du sud, car plus au nord, ils ne trouveront que des eaux plus profondes où ils ne pourront se développer.
« Il est important de ne pas tirer de conclusions hâtives et de ne pas suggérer que le Haut-Arctique, qui était historiquement couvert par une glace de mer pluriannuelle, va se transformer en un refuge pour les ours polaires », souligne Mme Laidre. « L’océan Arctique autour du pôle Nord est essentiellement un abîme, avec des eaux très profondes qui ne seront jamais aussi fertiles que les eaux moins profondes du sud où vivent la plupart des ours polaires. »
Cette étude a réuni des chercheurs basés aux États-Unis, au Canada, au Groenland et en Norvège.