Uvagut TV : une chaîne de télévision qui parle aux Inuit
Une première chaine de télévision canadienne entièrement en inuktitut change la façon dont les Inuit se voient et s’entendent à l’écran.
Depuis le 25 janvier 2021, Uvagut TV diffuse en direct les audiences publiques de la Commission du Nunavut (CNER) chargée d’examiner les répercussions de l’expansion de la mine de fer Mary River au nord-est du Nunavut. Le projet présenté comme controversé par Uvagut TV, la couverture de ces audiences en anglais et en inuktitut permet aux communautés inuit directement concernées d’avoir accès aux discussions.
Présentant également cette couverture journalistique comme un « exercice de démocratie numérique », Uvagut TV endosse la responsabilité d’informer de façon claire et transparente les communautés du Nunavut impactées par ce projet.
Lancée le 18 janvier 2021, la chaine Uvagut TV — « Notre télé » en inuktitut — est le premier réseau canadien à diffuser des émissions en inuktitut accessibles par le réseau câblé, mais aussi en ligne 24 heures sur 24 et sept jours sur sept.
Consécration de plusieurs dizaines d’années de travail, cette nouvelle chaine est présentée comme un outil de « sauvegarde, de promotion et de revitalisation de la langue et de la culture inuit » dans un communiqué de presse du 14 janvier 2021. Le réseau a été créé par le Nunavut Indépendant Television Network (NITV) et Isuma TV basés à Igloolik au Nunavut.
Pour le professeur titulaire au département d’information et de communication de l’Université Laval à Québec, Thierry Watine, les journalistes doivent avoir une utilité sociale et informer la population et les décideurs. Les équipes d’Uvagut TV suivent précisément ce chemin en relayant l’information en inuktitut et en développant par la même occasion, une expertise de télédiffusion locale dans les communautés arctiques isolées.
Revitaliser les langues autochtones
Uvagut TV est un premier pas pour une meilleure représentation des langues et cultures autochtones dans les médias. Ce réseau propose des émissions jeunesse, des séries documentaires ou encore des films produits au Nunavut.
Selon Lucy Tulugarjuk, directrice générale de NITV, le temps est compté : « Avec nos ainés qui disparaissent, c’est une course contre la montre pour préserver la langue et la culture inuit pour nos enfants et nos petits-enfants, dit-elle. La télévision en inuktitut toute la journée, chaque jour est un puissant moyen de conserver une langue vivante pour les générations futures. »
Monika Ille, directrice générale du Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN) et membre du Conseil des Abénakis d’Odanak, salue l’initiative. « Je trouve (ce réseau) intéressant et formidable, indique-t-elle. Ça montre l’importance de conserver la langue et la culture. »
Réconciliation
Pour Mervin Brass, directeur général de CBC pour la région nord, l’accroissement de la présence des langues autochtones dans les médias est une solution au processus de réconciliation.
La commission de vérité et réconciliation avait expressément demandé au gouvernement fédéral, d’augmenter le financement accordé à Radio-Canada/CBC afin de permettre au diffuseur public d’appuyer la réconciliation et de refléter adéquatement la diversité des cultures, des langues et des points de vue des peuples autochtones.
En 2016, 675 millions $ ont été engagés sur cinq ans afin de permettre la création de contenus par et pour les Autochtones. « Je veux m’assurer que CBC Nord endosse ce rôle difficile et soutient la croissance de nos langues autochtones par le biais de notre programmation, de nos contenus et de nos histoires », déclare M. Brass.
Pour Mme Ille, il est certain que « les médias d’une façon générale, et APTN en particulier, ont leur rôle à jouer dans la réconciliation ». Selon elle, les perspectives autochtones sont un peu mieux représentées qu’auparavant dans les médias canadiens, elle note cependant qu’il y a encore « beaucoup de travail à accomplir, car autrefois les Autochtones étaient complètement invisibles. »
Pour M. Watine, il est évident que les enjeux autochtones sont insuffisamment traités dans les médias traditionnels.
Expression de l’identité
Le 5 octobre 2020, CBC Norrth a lancé un balado en inuktitut intitulé Unikkaangit. Créé à partir de documents d’archives, le contenu de ce balado est conçu à partir des archives en inuktitut de CBC. M. Brass estime que l’accès à cette série permet aux auditeurs de rester connectés à leurs cultures et leur langue tout en apprenant ou en perfectionnant leur apprentissage de l’inuktitut. À ce jour, huit épisodes de 13 à 53 minutes ont été produits et demeurent accessibles en ligne.
L’augmentation de la présence des médias autochtones au Canada permet, selon Mme Ille, de changer la perspective de la couverture journalistique. « On contrôle notre discours, dit-elle. On s’approprie nos méthodes de communication pour partager les histoires que l’on veut partager avec nos points de vue et nos perspectives. Nous sommes un véhicule de l’expression de notre identité, ça vient de nous et de l’intérieur. »
Financement insuffisant
Le volet Radiodiffusion autochtone dans le Nord (RAN) est un programme d’aide à la production et la diffusion de contenus audio et vidéo autochtones du ministère du Patrimoine canadien. Cependant ce programme a des limites et les médias autochtones sont incités à rechercher d’autres sources de financement.
« Afin d’assurer le succès de votre projet, nous vous encourageons à avoir d’autres sources de financement », peut-on lire sur le site du gouvernement fédéral. Mme Ille remarque que le montant de l’enveloppe financière destinée à ce volet n’a pas beaucoup évolué depuis les années 1980 alors que le nombre d’organismes de médias a quasiment doublé. « On a de plus en plus de médias autochtones et une aide financière serait appréciée », note la directrice générale d’APTN.
Mme Tulugarjuk estime, pour sa part, que si la création du réseau de télévision Uvagut a nécessité plusieurs années, c’est, en partie, à cause des limites de l’accès au financement.
« Le système de financement rattrape lentement [son retard] et met maintenant tout le monde sur un pied d’égalité, y compris les peuples autochtones », conclut-elle.