Cartographier nos connaissances du pergélisol dans l’Arctique
Une étude internationale sur le pergélisol côtier et marin met en lumière le manque de données pour bien s’adapter à un Arctique qui dégèle.
Nous ignorons en partie l’efficacité des mesures prises pour réduire l’érosion dans des environnements littoraux de pergélisol. C’est un des constats d’une importante étude internationale portant sur l’Arctique de l’Ouest canadien, de l’Alaska et de la Sibérie.
Publiée en octobre dernier, l’étude Pergélisol côtier et extracôtier : évaluation des besoins urgents (Coastal and Offshore Permafrost Rapid Response Assessment) a été commandée par l’Organisation des Nations-Unies à un centre de communications environnementales norvégien sans but lucratif, GRID-Arendal. Près de 80 chercheurs de différents pays y ont participé et les collectivités locales ont été très impliquées.
Présentée sur un site internet interactif avec des cartes et des vidéos, l’étude utilise un modèle atypique. « Il y a de la production participative (crowdsourcing) ; c’est plus ouvert qu’un format scientifique strict », avance Michelle Côté, une des 13 chercheurs de la Commission géologique du Canada qui a participé à l’étude. « On voulait que ce soit inspirant. »
En ce qui concerne le contenu, le rapport se démarque des autres ouvrages du genre en mettant en relief les interconnexions entre le pergélisol du continent, du littoral et du fond marin, avance le responsable technique du projet, Scott Dallimore, lui aussi de la Commission géologique.
Des impacts moins tangibles
La fonte du pergélisol extracôtier est moins rapide et préoccupante que celle du pergélisol côtier, qui met à risque une vingtaine de collectivités. Elle n’est pas exempte d’impacts pour autant.
« Ça menace les gens, mais pas de manière aussi évidente que sur terre », explique Michelle Côté. « […] Les mêmes processus […] qui arrivent sur terre arrivent sous l’eau. Il y a du gaz qui se décharge du plancher de l’océan, il y a aussi des glissements de terrain. […] C’est un élément important à savoir pour faire de l’exploration [gazière et pétrolière] de manière sécuritaire. »
La chercheuse souligne que la fonte du pergélisol sous-marin, dont on ignore encore précisément l’étendue, a également un impact sur les habitats marins.
Lacunes et recommandations
La fonte du pergélisol constitue une menace pour le littoral et les terres ainsi que pour les infrastructures comme les mines et les pipelines, mais également pour une vingtaine de collectivités d’Alaska et de l’Arctique de l’Ouest canadien.
Or, le rapport souligne un grand nombre de lacunes dans la connaissance du pergélisol et un manque d’outils pour colliger les données.
Avec cette prémisse, on ne s’étonnera pas que l’efficacité des stratégies mises en place pour atténuer les effets de l’érosion reste à démontrer. « Plusieurs de ces stratégies sont basées sur des principes d’ingénierie et de modélisation, mais il n’y a pas beaucoup d’essais physiques, avance Michelle Côté. Tu peux faire tes meilleures suppositions, mais tu as besoin des données de terrain quand tu mets en place ces mesures d’atténuation. »
Le rapport contient 25 recommandations pour des avancées géoscientifiques. On propose de faire de la surveillance climatologique et météorologique pour mieux comprendre l’étendue des changements climatiques affectant les écosystèmes et les collectivités côtières.
On recommande de faire de nouvelles modélisations pour quantifier les processus d’érosion et de développer de nouvelles approches pour concevoir des fondations d’habitations adaptées à la fonte du pergélisol.
Mise en pratique
Interrogés quant à la volonté politique de mettre en pratique les recommandations du rapport, ni Michelle Côté ni Scott Dallimore n’ont répondu directement.
« Nous avons eu beaucoup de collaboration des différents paliers de gouvernement, mais c’était plutôt scientifique », affirme la géologue. « Maintenant, nous espérons que les gestionnaires et les analystes politiques vont regarder ce document avec une vue d’ensemble […] et l’utiliser. Il faut transformer ce rapport en actions qui feront la différence pour les gens qui vivent là et dépendent de cet environnement. »
La chercheuse plaide en faveur d’une coordination des gouvernements circumpolaires pour développer les politiques et la direction globale de la recherche.
En faire plus
Pour M. Dallimore, les besoins de recherche en Arctique, particulièrement en ce qui a trait au méthane, aux catastrophes naturelles, aux implications hydrologiques, à la protection des communautés, sont très substantiels et ne peuvent pas être résolus par un seul pays.
« Mobilisons-nous et dirigeons-nous efficacement l’agenda de la recherche internationale ou même domestique ? Impliquons-nous suffisamment les groupes autochtones dans tous les aspects de la science ? Je pense que nous pourrions et que nous devrions faire mieux. »