Cartographier nos connaissances du pergélisol dans l’Arctique

L’érosion des terres menace les habitations. (Gabriel Bouys/AFP/Getty Images)
Une étude internationale sur le pergélisol côtier et marin met en lumière le manque de données pour bien s’adapter à un Arctique qui dégèle.

Nous ignorons en partie l’efficacité des mesures prises pour réduire l’érosion dans des environnements littoraux de pergélisol. C’est un des constats d’une importante étude internationale portant sur l’Arctique de l’Ouest canadien, de l’Alaska et de la Sibérie.

Publiée en octobre dernier, l’étude Pergélisol côtier et extracôtier : évaluation des besoins urgents (Coastal and Offshore Permafrost Rapid Response Assessment) a été commandée par l’Organisation des Nations-Unies à un centre de communications environnementales norvégien sans but lucratif, GRID-Arendal. Près de 80 chercheurs de différents pays y ont participé et les collectivités locales ont été très impliquées.

Présentée sur un site internet interactif avec des cartes et des vidéos, l’étude utilise un modèle atypique. « Il y a de la production participative (crowdsourcing) ; c’est plus ouvert qu’un format scientifique strict », avance Michelle Côté, une des 13 chercheurs de la Commission géologique du Canada qui a participé à l’étude. « On voulait que ce soit inspirant. »

Glissement de terrain dans un pergélisol riche en glace en Yakoutie Centrale, Sibérie. (Photo : A. Séjourné, GEOPS, CNRS/Université Paris-Saclay)

En ce qui concerne le contenu, le rapport se démarque des autres ouvrages du genre en mettant en relief les interconnexions entre le pergélisol du continent, du littoral et du fond marin, avance le responsable technique du projet, Scott Dallimore, lui aussi de la Commission géologique.

« Nous voulions aussi, dit-il, attirer l’attention sur le fait que l’Arctique de l’Ouest canadien, l’Alaska et la Sibérie sont vraiment uniques. Ils sont constitués de sédiments non consolidés riches en glace. Le niveau de l’océan monte, la côte recule depuis 10 000 ans et il y a un vaste pergélisol sous-marin. »Scott Dallimore, chercheur de la Commission géologique du Canada
Des impacts moins tangibles

La fonte du pergélisol extracôtier est moins rapide et préoccupante que celle du pergélisol côtier, qui met à risque une vingtaine de collectivités. Elle n’est pas exempte d’impacts pour autant.

« Ça menace les gens, mais pas de manière aussi évidente que sur terre », explique Michelle Côté. « […] Les mêmes processus […] qui arrivent sur terre arrivent sous l’eau. Il y a du gaz qui se décharge du plancher de l’océan, il y a aussi des glissements de terrain. […] C’est un élément important à savoir pour faire de l’exploration [gazière et pétrolière] de manière sécuritaire. »

La chercheuse souligne que la fonte du pergélisol sous-marin, dont on ignore encore précisément l’étendue, a également un impact sur les habitats marins.

Dans les sols gelés de l’Arctique des virus sommeillent en attendant d’être libérés par le réchauffement climatique. (Mark Ralston/AFP/Getty Images)
Lacunes et recommandations

La fonte du pergélisol constitue une menace pour le littoral et les terres ainsi que pour les infrastructures comme les mines et les pipelines, mais également pour une vingtaine de collectivités d’Alaska et de l’Arctique de l’Ouest canadien.

Or, le rapport souligne un grand nombre de lacunes dans la connaissance du pergélisol et un manque d’outils pour colliger les données.

« Notre connaissance de la façon de développer des solutions pour les collectivités expérimentant le réchauffement du pergélisol ou de l’érosion côtière accélérée est limitée. Une des raisons est que notre science est plutôt datée et ne prend généralement pas en considération les effets du réchauffement climatique. »Scott Dallimore, chercheur de la Commission géologique du Canada

Avec cette prémisse, on ne s’étonnera pas que l’efficacité des stratégies mises en place pour atténuer les effets de l’érosion reste à démontrer. « Plusieurs de ces stratégies sont basées sur des principes d’ingénierie et de modélisation, mais il n’y a pas beaucoup d’essais physiques, avance Michelle Côté. Tu peux faire tes meilleures suppositions, mais tu as besoin des données de terrain quand tu mets en place ces mesures d’atténuation. »

Les conditions d’une route d’accès qui sépare la communauté de Kugluktuk, dans le nord-ouest du Canada, à un parc territorial, se sont détériorées en raison du dégel du pergélisol ces dernières années. (Stéphanie Coulombe/Gouvernement du Nunavut)

Le rapport contient 25 recommandations pour des avancées géoscientifiques. On propose de faire de la surveillance climatologique et météorologique pour mieux comprendre l’étendue des changements climatiques affectant les écosystèmes et les collectivités côtières.

On recommande de faire de nouvelles modélisations pour quantifier les processus d’érosion et de développer de nouvelles approches pour concevoir des fondations d’habitations adaptées à la fonte du pergélisol.

« Comme le Canada finance beaucoup la recherche sur le pergélisol, beaucoup de groupes internationaux veulent étudier notre pergélisol. Mais est-ce que le Canada en fait assez pour identifier nos besoins primordiaux en recherche ? »Scott Dallimore, chercheur de la Commission géologique du Canada
Mise en pratique

Interrogés quant à la volonté politique de mettre en pratique les recommandations du rapport, ni Michelle Côté ni Scott Dallimore n’ont répondu directement.

« Nous avons eu beaucoup de collaboration des différents paliers de gouvernement, mais c’était plutôt scientifique », affirme la géologue. « Maintenant, nous espérons que les gestionnaires et les analystes politiques vont regarder ce document avec une vue d’ensemble […] et l’utiliser. Il faut transformer ce rapport en actions qui feront la différence pour les gens qui vivent là et dépendent de cet environnement. »

La chercheuse plaide en faveur d’une coordination des gouvernements circumpolaires pour développer les politiques et la direction globale de la recherche.

Le pergélisol couvre environ un cinquième de la surface terrestre. (iStock)
En faire plus

Pour M. Dallimore, les besoins de recherche en Arctique, particulièrement en ce qui a trait au méthane, aux catastrophes naturelles, aux implications hydrologiques, à la protection des communautés, sont très substantiels et ne peuvent pas être résolus par un seul pays.

« Mobilisons-nous et dirigeons-nous efficacement l’agenda de la recherche internationale ou même domestique ? Impliquons-nous suffisamment les groupes autochtones dans tous les aspects de la science ? Je pense que nous pourrions et que nous devrions faire mieux. »

Denis Lord, L'Aquilon

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