L’odyssée arctique d’une famille bretonne au Nunavut
Du détroit de Béring à l’archipel du Svalbard, en Norvège, en passant par les côtes groenlandaises, l’Arctique n’a plus de secret pour le voilier de la famille Brossier, qui navigue depuis 20 ans au gré des marées du cercle polaire. Mais c’est aux latitudes du Nunavut que cette famille française a décidé de jeter l’ancre chaque année.
Éric Brossier avait 30 ans lorsqu’il a acheté le Vagabond, un voilier d’expédition conçu pour naviguer dans les glaces. Le scientifique venait de terminer ses études en génie océanique et avait soif d’expérimenter le travail de terrain.
Vingt ans plus tard, et après avoir parcouru plus de 125 000 kilomètres, le Vagabond n’a pas perdu de son lustre et porte de mieux en mieux son nom.
« Maintenant, c’est une histoire de famille », résume Éric Brossier au bout du fil, depuis Brest, en Bretagne, où il a posé ses bagages pour l’année avec sa femme et ses deux filles adolescentes.
D’ordinaire, la France n’est leur point de chute que trois mois par année, mais la crise sanitaire leur a coupé l’herbe sous le pied. Depuis 2011, la famille s’envole pour le Nunavut où elle habite, été comme hiver, à bord du bateau.
Avant de devenir parents, Éric Brossier et sa femme, France, avaient déjà passé plusieurs hivers dans l’archipel du Svalbard, mais l’absence d’Autochtones dans cette région de l’Arctique norvégien les a poussés à envisager le Nunavut, où environ 85 % de la population sont des Inuit.
« On avait vraiment envie de côtoyer une population arctique, explique Éric Brossier. On connaissait la nuit polaire, mais pas la cohabitation avec les Inuit. »
Coup de foudre pour Grise Fiord
C’est à Grise Fiord que les Brossier ont amarré le voilier pour leur premier hiver.
Jimmy Qaapik, un résident et ami de la famille, se souvient encore du jour où il a aperçu le voilier qui s’approchait des berges. « C’était vers la fin de l’été, explique-t-il. Ils sont arrivés le long du rivage, juste devant ma maison. Je suis allé à leur rencontre pour les accueillir. »
« La communauté est toujours très accueillante et amicale envers les visiteurs », dit Éric Brossier.
Comme de fait, le coup de foudre de la famille est immédiat. Au fil du temps, il se lie d’amitié avec des chasseurs qui lui transmettent leurs connaissances sur la chasse au phoque et la chasse à l’ours polaire. France apprend à confectionner des atigis, des manteaux traditionnels, tandis que sa fille aînée, Léonie, se lance dans l’apprentissage de l’inuktitut et des chants de gorge.
« C’est très enrichissant, affirme cette dernière, le sourire dans la voix. Je ne m’en lasse pas, je trouve ça génial. »
Éric Brossier croit que le mode de vie de sa famille présente plusieurs similitudes avec celui des Inuit, qui accordent une grande importance aux valeurs familiales et à la transmission intergénérationnelle du savoir. « [Notre relation] s’est développée très vite, parce que je pense que les Inuit ont vu en nous l’envie de vivre proche d’une nature à laquelle ils sont très attachés », dit-il.
Une histoire de famille
Ces dernières années, la famille Brossier a aussi mis le cap sur Qikitarjuat et Arctic Bay, deux communautés de la région de Qikiqtaaluk, où tous les membres de la famille – même les deux filles – ont effectué des recherches sur le terrain pour des universités du sud du pays, parfois en côtoyant d’autres chercheurs.
En 2015, la famille s’est notamment intéressée à l’efflorescence algale, un phénomène printanier de floraison phytoplanctonique sous la banquise, dans le cadre du projet GreenEdge, du laboratoire Takuvik, de l’Université Laval, à Québec.
Du haut de ses 14 ans, Léonie Brossier garde un souvenir marquant de cette expérience : « J’aime tellement aider les scientifiques. J’ai vraiment beaucoup aimé pouvoir les aider [et] qu’ils me confient quelques missions. »
Savoir inuit et recherche scientifique
Aujourd’hui, Éric Brossier ne voit plus comment il pourrait entreprendre des recherches scientifiques sans y intégrer le savoir inuit. « Ce besoin est de plus en plus évident à mes yeux », insiste Éric Brossier, se disant « vraiment satisfait » que les programmes scientifiques soient de plus en plus liés à ce savoir ancestral, et que les chercheurs soient même contraints de l’intégrer dans leurs travaux.
Il avoue d’ailleurs avoir été déçu de constater l’absence de collaboration avec des populations autochtones dans la récente mission scientifique MOSAiC, à laquelle il a participé pendant cinq mois.
La mission MOSAiC (Multidisciplinary drifting Observatory for the Study of Arctic Climate) est une vaste opération de recherche scientifique qui a eu lieu entre septembre 2019 et octobre 2020.
Pendant un peu plus d’un an, environ 600 chercheurs des quatre coins du globe se sont relayés à bord du brise-glace Polarstern pour comprendre comment le réchauffement climatique touche l’Extrême-Arctique et, de facto, l’ensemble du globe. Les analyses des scientifiques ont gravité autour de cinq axes de recherche : l’atmosphère, la glace marine, l’océan, la biogéochimie et l’écosystème.
« À quoi bon faire ce genre d’étude si on ne s’intéresse pas au savoir et aux questions qu’ont les gens qui habitent sur place? », lance-t-il.
Malgré les incertitudes de la dernière année, marquée par une pandémie qui a restreint les possibilités de déplacement, Éric Brossier compte déjà remettre le cap sur Grise Fiord au mois de mai, lorsqu’il aura obtenu les autorisations nécessaires pour entrer au Nunavut et ainsi reprendre son travail de recherche.