Pensionnats autochtones : des souvenirs douloureux pour des survivantes ténoises
L’heure est au recueillement pour les résidents des Territoires du Nord-Ouest, consternés par la découverte de ces 215 enfants, inhumés dans un charnier durant des décennies. Des enfants qui auraient pu être les leurs.
Résidente de Behchokǫ̀, Nora Wedzin a séjourné au pensionnat de Fort Smith à la fin des années 60. « Je me rappelle mon arrivée. L’édifice était froid, tout était très froid et austère, rien n’était chaleureux, décrit-elle. C’était effrayant, nous étions accueillis par des étrangers. Nous avons été retirés de notre zone de confort. »
Mme Wedzin a attrapé la tuberculose au pensionnat. Elle peine aujourd’hui à s’imaginer ce qu’ont vécu les 215 enfants retrouvés à Kamloops. « Quand je pense à tous ces enfants qui ont été retrouvés… Eux ne sont jamais retournés à la maison. Au pensionnat, malade, j’étais très déprimée. À peine rentrée à la maison, j’ai été transférée à l’hôpital. On m’a enlevée de chez moi pour une longue période, et ça a eu un énorme impact sur moi. »
Douleur, mémoire et guérison
« C’est comme si ça s’était passé ici, souligne celle qui travaille pour la commission scolaire tlicho. On essaie de passer à autre chose, puis de nouvelles informations sur le sort réservé aux Autochtones font sans cesse surface. Il y a un processus de réconciliations au Canada, mais quand ce genre de nouvelle surgit, je suis en colère et je suis blessée. Quelles seront les prochaines nouvelles? »
Des sentiments partagés par Angela Canning, dont les deux parents, comme d’autres membres de sa famille, ont séjourné dans des pensionnats autochtones. En apprenant la nouvelle, elle a d’abord pris le téléphone. « Ma mère est celle qui a été la plus affectée par le pensionnat. Je l’ai appelée, mais elle n’aime vraiment pas parler de son expérience. »
Profondément touchée, la résidente de Yellowknife a décidé d’organiser, le 1er juin, une vigile sur le site de l’ancien pensionnat Akaitcho Hall, l’un des derniers à avoir fermé ses portes en 1994. « C’est une chose que je devais faire, explique-t-elle. Je voulais rendre hommage aux enfants disparus et amasser des dons. Cela fait partie du processus de guérison. »
L’initiative s’ajoute à plusieurs du genre dans les collectivités des T.N.-O. La Première Nation de K’atl’odeeche, par exemple, a présenté une cérémonie de tambours pour favoriser la guérison de ceux qui en ont besoin. Le gouvernement ténois, les collectivités et les municipalités ont mis leurs drapeaux en berne.
Mme Canning dit elle-même vivre un moment de détresse, et peine à décrire ses émotions. « Pouvez-vous vous imaginer? On vous enlève vos enfants, on ne vous les ramène jamais, vous n’entendez plus parler d’eux et personne ne vous explique ce qui leur est arrivé, demande-t-elle, la voix tremblante. Je suis horrifiée, triste et en colère. »
De la parole aux actes
Replongée dans sa propre expérience du pensionnat, Nora Wedzin veut maintenant des réponses. « J’ai envie de pleurer. On parle de bébés, qui dépendaient de leur entourage pour prendre soin d’eux et les protéger. On les a cachés dans ce cimetière, et ce, pendant des années. Comment ont-ils été traités? Comment sont-ils morts? Ils ne seront jamais oubliés. Nous les gardons dans nos prières, ainsi que leurs familles et tous les survivants des pensionnats indiens », a-t-elle dit.
Dans un communiqué de presse du 2 juin, la Nation Déné et le grand chef Norman Yakeleya appellent les églises du Canada à « reconnaître activement leurs mauvaises actions et à contribuer à la poursuite de la vérité et de la justice, pour faire honneur à tous les enfants victimes des pensionnats indiens, comme recommandé par la Commission de vérité et réconciliation. »
« Les familles attendent toujours que leurs enfants reviennent à la maison, affirme le grand chef Yakeleya dans le communiqué. Assez, c’est assez. Le gouvernement fédéral et les églises doivent admettre leurs torts, sur la route de la réconciliation. Il est temps que nous dévoilions les noms de ces enfants et que nous les ramenions chez eux. »
On exige également que tous les paliers de gouvernement collaborent à la recherche de potentiels sites d’enterrement cachés sur le territoire.
Le peuple déné organise une marche et une cérémonie en mémoire des survivants des pensionnats à Yellowknife, le vendredi 4 juin. Le rassemblement est donné à midi sur le site de l’ancien pensionnat Akaitcho Hall, près de l’école secondaire Sir John Franklin.
Selon ce que rapporte la Commission de vérité et réconciliation, on estime que jusqu’à 6000 enfants seraient morts lorsqu’ils séjournaient dans un pensionnat au Canada. La ligne d’écoute téléphonique des pensionnats autochtones est en service 24 heures sur 24 et fournit de l’aide aux survivants et à ceux qui sont affectés par la situation au 1 866 925-4419.