Le réchauffement climatique menace « le garde-manger du nord » du Canada
Les scientifiques s’inquiètent des effets du réchauffement climatique sur la polynie des eaux du Nord, une zone dans l’Arctique qui est quasiment libre de glace à l’année. Cela aurait des conséquences sur toute la chaîne alimentaire de la zone.
Entre le Groenland et l’île d’Ellesmere, au Nunavut, se trouve une zone peu connue, pourtant très importante : la polynie des eaux du Nord ou pikialasorsuaq en groenlandais. Les polynies sont multiples, en Arctique et en Antarctique, mais celle des eaux du Nord est la plus grande.
Ces zones possèdent des concentrations très faibles de glace, même lors des mois les plus froids de l’hiver. Parfois, ce sont des zones complètement ouvertes.
« On peut les comparer à des anomalies dans le paysage arctique, mais elles sont naturelles et bénéfiques pour les écosystèmes », explique Audrey Limoges, professeure au Département des Sciences de la Terre à l’Université du Nouveau-Brunswick, et coautrice de l’étude Vulnerability of the North Water ecosystem to climate change (Vulnérabilité de l’écosystème des eaux de Nord à cause du changement climatique) publiée fin juillet dans la revue Nature Communications.
Ces zones sont formées grâce à des paramètres physiques, par exemple la présence d’un pont de glace, les vents, mais aussi les courants d’eau, dont des courants chauds.
Une grande productivité biologique
La polynie des eaux du Nord est très productive d’un point de vue biologique et d’une importance capitale pour les populations locales. Le fait que les eaux soient ouvertes ou couvertes d’une très fine couche de glace permet au soleil de pénétrer plus facilement la surface de l’eau. Les algues, denrées de choix pour les animaux de la zone, peuvent proliférer plus longtemps et rapidement.
Le réchauffement de la planète pourrait bouleverser cet écosystème puisque la scientifique rappelle que la glace fond beaucoup plus rapidement et donc que le pont de glace, qui contribue à l’ouverture de la polynie, devient de plus en plus instable.
« Cela signifie que de plus en plus de glaces arrivent, qui vont couvrir la région de la polynie des eaux du Nord, explique Audrey Limoges. Donc, elle ne restera plus ouverte, ce qui va avoir des conséquences sur l’ensemble de l’écosystème. »
Même s’il est difficile de faire des prédictions, Mme Limoges et ses collègues pensent que la productivité totale de l’écosystème pourrait diminuer. Par exemple, les algues n’auront plus accès aux mêmes nutriments, ou en même quantité, ce qui aura un impact sur toute la chaîne alimentaire.
Au Groenland, les Inuit peu informés sur la zone
La vulnérabilité croissante de la polynie des eaux du Nord, c’est aussi ce qui inquiète Kuupik Kleist, consultant pour le Conseil circumpolaire inuit (CCI) et ancien premier ministre du Groenland, puisque les animaux qui se trouvent dans la zone sont importants pour la subsistance de son peuple.
Il déplore aussi que les gens ne soient pas plus éduqués sur les enjeux de la zone. « Je pense qu’on peut affirmer que la majeure partie des habitants du Groenland ne connaissent rien de la pikialasorsuaq », dit-il.
Lui-même affirme n’avoir pas été très informé sur les recherches qui avaient lieu dans la zone, avant qu’il décide de se renseigner de son côté.
M. Kleist croit surtout qu’à l’avenir la zone devrait faire l’objet d’une protection officielle qui n’interfère pas avec les droits ancestraux des Inuit. Il regrette cependant qu’il soit difficile de négocier avec le gouvernement du Groenland à ce sujet.
D’autant plus que le temps presse, selon lui, puisque les populations locales voient déjà depuis longtemps les effets des changements climatiques, mais aussi des activités humaines comme l’exploration pétrolière et gazière [mi-juillet le Groenland a suspendu les activités d’exploration pétrolière le long de ses côtes, NDLR]), et le passage de plus en plus de navires de pêche et de croisière.
« Il est urgent d’agir pour fournir des informations sur ce qui se passe dans la région, sur ce que l’avenir nous réserve et sur la manière dont nous pouvons nous préparer à cet avenir », conclut Kuupik Kleist.
Avec des informations de Walter Strong