Le lancement d’un satellite européen inquiète les Inuits de l’Arctique canadien
La mise sur orbite d’un satellite européen, propulsé par une fusée russe contenant probablement un carburant fortement toxique, inquiète dans le Grand Nord canadien. Ce carburant pourrait endommager des eaux marines de l’Arctique canadien.
Des leaders et des chasseurs inuits sont furieux contre le projet de l’Agence spatiale européenne de lancer vendredi prochain le satellite Sentinel 5P, conçu pour surveiller les traces de gaz dans l’atmosphère. Un second lancement d’un satellite similaire est prévu pour 2018.
Les deux satellites doivent être lancés à partir de la Russie en utilisant des fusées de l’ère soviétique propulsées par de l’hydrazine. L’hydrazine est tellement toxique que pratiquement tous les programmes d’activités dans l’espace dans le monde, dont ceux de la Russie, l’ont abandonnée.
Le deuxième étage de la fusée contenant jusqu’à une tonne d’hydrazine non brûlée doit tomber entre le Groenland et l’île de Baffin, dans un secteur qui fait partie de la zone économique exclusive du Canada.
Un écosystème sensible
Pour Nancy Karetak-Lindell, présidente du Conseil inuit circumpolaire, le fait que des agences spatiales soient prêtes à utiliser le Pikialasorsuaq comme une décharge toxique souligne le besoin pressant d’une gestion locale de l’écosystème sensible. Car pour Mme Karetak-Lindell, les eaux marines menacées sont « la source de vivres » pour les populations.
« Ces eaux sont le jardin des espèces que nous chassons, renchérit Larry Andlaluk de la communauté Grise Fiord au Nunavut, l’un des groupements situés le plus près de polynie. Ce qui peut se produire est apeurant. »
La polynie des eaux du Nord est un secteur océanique d’une superficie de 85 km carrés libre de glace pendant toute l’année. Elle abrite la plupart des espèces marines, dont environ 14 000 bélugas et 1500 morses. La baleine boréale, l’ours polaire et quatre types de phoque nagent dans ses eaux. Des dizaines de millions d’oiseaux de mer la survolent.
Le carburant est carcinogène. Il peut s’attaquer au système nerveux, aux reins et au foie. Son impact sur les écosystèmes marins demeure inconnu, mais si on sait que l’hydrazine a tué un grand nombre de poissons nageant en eaux douces.
Selon l’universitaire canadien, Michael Byers qui a étudié l’impact environnemental de l’hydrazine, il faut agir. Les Européens, dit-il, devraient cesser immédiatement à utiliser de l’hydrazine comme carburant. Il note qu’un satellite similaire au Sentinel 5 a déjà été lancé par une fusée utilisant un carburant plus sûr.
Le Canada a insisté auprès de la Russie pour être averti longtemps à l’avance de chaque lancement spatial afin de pouvoir adopter les mesures de précaution appropriées, a dit Brendan Sutton d’Affaires mondiales Canada.
« Comme la plupart des débris spatiaux se désintègrent et brûlent complètement au moment de leur rentrée dans l’atmosphère terrestre, les risques de voir un débris ou du carburant non brûlé atteindre l’environnement marin sont très bas, a-t-il expliqué. Le Canada s’attend à ce que tous les efforts soient déployés pour éviter qu’un débris ne tombe sur le sol ou dans les eaux du pays. »
L’amerrissage doit se dérouler à l’extérieur des eaux territoriales dans un secteur que le Canada entend contrôler et régir.
« L’omission de la zone économique exclusive dans cette déclaration doit être intentionnelle, a souligné M. Byers, qui est un professeur de droit international. Cela représenterait une abdication des responsabilités du Canada. Nous avons une juridiction jusqu’à 200 milles nautiques de nos côtes pour empêcher la pollution. On a mené de chaudes luttes pour l’obtenir.»
Byers souligne que l’Agence spatiale européenne compte le Canada parmi ses membres affiliés. « Elle est un leader dans l’utilisation de satellite dans le domaine des sciences environnementales, mais elle utilise une vieille technologie et ce vieux carburant. Elle n’a aucune raison crédible pour aller de l’avant avec ce lancement, à l’exception de la volonté d’économiser de l’argent. »