La transition verte sera-t-elle le nouveau moteur économique de l’Arctique?

L’accélération de la transition verte en Europe et la réduction de sa dépendance au pétrole et au gaz russes sera une étape importante pour l’Arctique et son économie, a déclaré mercredi le ministre norvégien du Climat et de l’Environnement, Espen Barth Eide. M. Eide (à gauche) est photographié ici à la conférence Arctic Frontiers en compagnie de Sue Biniaz, envoyée présidentielle spéciale adjointe pour le climat du département d’État américain (au milieu), et de la modératrice Susannah Streeter (à droite). (Eilis Quinn/Regard sur l’Arctique)
TROMSO, Norvège – L’invasion de l’Ukraine par la Russie a rompu la coopération dans l’Arctique et soulève de nombreuses questions, que ce soit sur l’avenir de communautés nordiques ou encore sur la science du climat. Mais alors que l’Europe s’efforce de s’affranchir du gaz et du pétrole russes, la transition verte pourrait avoir des impacts positifs pour le Nord, a déclaré mercredi le ministre norvégien du Climat et de l’Environnement.

« Nous sommes profondément inquiets quant à l’avenir de la coopération dans l’Arctique à cause de la guerre, mais je ne suis pas sûr que la lutte aux changements climatiques en pâtira pour autant », a dit Espen Barth Eide lors de la conférence Arctic Frontiers qui se tenait en Norvège cette semaine.

« Ici, [l’orientation de] l’Union européenne et du Royaume-Uni est d’accélérer la décarbonation. Car maintenant, en plus de l’argument du réchauffement, nous devons nous débarrasser de notre dépendance au pétrole et au gaz russes. Cela va conduire à une transition énergétique plus rapide, ainsi qu’à l’établissement d’une économie circulaire. Vous voyez également cette dynamique à l’œuvre dans les chaînes d’approvisionnement en matières premières. Vous devez utiliser ces matières de façon plus intelligente, ce qui passe par le recyclage et la réutilisation. »

Les bases de la politique norvégienne dans l’Arctique « ont radicalement changé »

La Norvège croyait que des liens économiques et politiques plus étroits avec la Russie dans le Nord transformeraient la région en une importante zone pétrolière et gazière, affirme Espen Barth Eide.

La région bordant la mer de Barents est une zone de 1,75 million de kilomètres carrés. Elle comprend les parties nord de la Suède, de la Finlande, de la Norvège et de l’ouest de l’Arctique russe. La coopération formelle dans la région de Barents a été établie en 1993.

Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov (à droite) s’exprime lors de l’ouverture de la réunion du Conseil euro-arctique de Barents à Tromsø, en Norvège, le 26 octobre 2021. Le conseil a suspendu ses activités avec la Russie le 9 mars après l’invasion de l’Ukraine. « Les développements en Russie ont pris une direction complètement différente de ce que nous espérions », a déclaré mercredi le ministre norvégien du Climat et de l’Environnement, Espen Barth Eide. (Rune Stoltz Bertinussen/NTB/AFP via Getty)

L’invasion russe de l’Ukraine a fondamentalement changé la politique arctique de son pays, a déclaré M. Eide dans un communiqué avant de prendre la parole à Arctic Frontiers.

« Les développements en Russie ont pris une direction complètement différente de ce que nous espérions, et le monde se dirige vers une transition énergétique globale où la demande en énergies fossiles diminuera à long terme », a-t-il dit.

« La transition verte et la coopération renforcée avec les pays de l’Union européenne dans l’Arctique seront le moteur le plus important de la politique arctique norvégienne. »

Le virage vert ne doit pas être utilisé comme excuse pour l’accaparement des terres, disent les Samis

Toutefois, les représentants samis à la conférence de cette semaine ont déclaré que la transition verte ne doit pas être utilisée comme excuse pour un développement accru dans le Sapmi, la patrie traditionnelle samie qui couvre les régions arctiques de la Finlande, de la Suède, de la Norvège et la partie la plus occidentale de l’Arctique russe.

« [Nous] devons tracer nos limites lorsque [les gouvernements] veulent accélérer la transition verte, a affirmé Christina Henriksen, présidente du Conseil sami, lors de la conférence cette semaine. Je comprends qu’il est nécessaire de faire quelque chose, d’aller de l’avant et peut-être même de le faire rapidement, mais nous ne pouvons pas risquer notre avenir et notre existence à ce sujet. »

Aucune éolienne ne peut remplacer ce que la terre signifie pour les peuples autochtones de tout l’Arctique », a déclaré Christina Henriksen, présidente du Conseil sami, lors de la conférence cette semaine. (Pascal Guyot/AFP/Getty)

« Des développements comme l’énergie éolienne, qui ont été largement promus dans le Sud en tant que politique climatique progressiste, ont en fait eu des conséquences dévastatrices chez les éleveurs de rennes samis, où les parcs éoliens ont remplacé des pâturages et coupé les routes de migration des rennes. »

« La transition verte ne doit pas chasser ceux qui habitent déjà [l’Arctique]. Nous dépendons de la terre. Aucune éolienne ne peut remplacer ce que la terre signifie pour les peuples autochtones de tout l’Arctique », dit Christian Henriksen.

Les peuples autochtones doivent être à la table

Sara Elvira Kuhmunen, une Sami originaire de Jokkmokk, en Suède, et première vice-présidente de l’association World Reindeer Herders, dit voir l’histoire se répéter quand elle constate les impacts des décisions économiques et politiques prises dans le Sud sur les terres et les moyens de subsistance des Autochtones.

« C’est très important de nous inclure dans les décisions. Nous avons des connaissances dans ces domaines et sur ce qui fonctionne », mentionne-t-elle.

« Nous allons vivre avec les conséquences de tout [ce développement], mais nous sommes ignorés », affirme Sara Elvira Kuhmunen, première vice-présidente de World Reindeer Herders. (Eilis Quinn/Regard sur l’Arctique)
Des pressions croissantes s’exercent sur la culture et sur le mode de vie des jeunes Samis, en raison des changements climatiques, du développement industriel et de l’héritage du colonialisme. Leurs voix en particulier doivent être entendues, ajoute Mme Kuhmunen.

« Nous allons vivre avec les conséquences de tout [ce développement], mais nous sommes ignorés. Nous tentons de faire entendre nos voix, mais les gens n’écoutent toujours pas. »

« Nous avons les connaissances. Nous étions ici avant la création des frontières nationales et c’est toujours notre maison », conclut-elle.

Le virage vers l’économie circulaire contribuera à atténuer les impacts des projets

Espen Barth Eide affirme quant à lui qu’il était nécessaire d’inclure les peuples autochtones dans le virage vert, ainsi que d’avoir des discussions honnêtes sur les répercussions des projets d’énergie verte sur l’environnement naturel et sur les moyens d’y remédier.

« Malheureusement, les énergies propres nécessitent l’utilisation de vastes zones, dit-il. Les éoliennes, les centrales solaires et les centrales hydroélectriques nécessitent de grandes surfaces. Vous devez avoir des plans de gestion. »

Le gouvernement norvégien travaille à ce que l’ensemble des impacts environnementaux des projets d’énergie renouvelable soient mieux incorporés dans la prise de décision, de la même manière que les coûts des émissions de GES sont désormais pris en compte dans de nouveaux projets de développement, explique-t-il.

Et une fois que l’économie circulaire est bien établie un terme utilisé pour décrire un mode de fonctionnement où le recyclage et la réutilisation des ressources ont remplacé la consommation à usage unique de nouvelles structures n’auront pas toujours besoin d’être mises en place, soutient-il.

« Il faut reconnaître que la transition verte nécessite beaucoup de minéraux et de minéraux de terres rares, et cela requiert de l’exploitation minière. Vous ne pouvez pas tout laisser à [d’autres pays]. Nous sommes très clairs à ce sujet : si vous voulez avoir une transition verte, vous devez trouver les ressources aussi chez vous et vous devez le faire de manière écologique, bien sûr, en essayant de réduire tous les impacts négatifs. »

La conférence Arctic Frontiers se déroulait du 8 au 11 mai, dans la ville norvégienne de Tromso.

Contactez Eilis Quinn à eilis.quinn@radio-canada.ca

Traduit de l’anglais par Mathieu Gobeil, Regard sur l’Arctique

Eilís Quinn, Regard sur l'Arctique

Eilís Quinn est une journaliste primée et responsable du site Regard sur l’Arctique/Eye on the Arctic, une coproduction circumpolaire de Radio Canada International. En plus de nouvelles quotidiennes, Eilís produit des documentaires et des séries multimédias qui lui ont permis de se rendre dans les régions arctiques des huit pays circumpolaires.

Son enquête journalistique «Arctique – Au-delà de la tragédie » sur le meurtre de Robert Adams, un Inuk de 19 ans du Nord du Québec, a remporté la médaille d’argent dans la catégorie “Best Investigative Article or Series” aux Canadian Online Publishing Awards en 2019. Le reportage a aussi reçu une mention honorable pour son excellence dans la couverture de la violence et des traumatismes aux prix Dart 2019 à New York.

Son reportage «Un train pour l’Arctique: Bâtir l'avenir au péril d'une culture?» sur l'impact que pourrait avoir un projet d'infrastructure de plusieurs milliards d'euros sur les communautés autochtones de l'Arctique européen a été finaliste dans la catégorie enquête (médias en ligne) aux prix de l'Association canadienne des journalistes pour l'année 2019.

Son documentaire multimedia «Bridging the Divide» sur le système de santé dans l’Arctique canadien a été finaliste aux prix Webby 2012.

En outre, son travail sur les changements climatiques dans l'Arctique canadien a été présenté à l'émission scientifique «Découverte» de la chaîne française de Radio-Canada, de même qu'au «Téléjournal», l'émission phare de nouvelles de Radio-Canada.

Au cours de sa carrière Eilís a travaillé pour des médias au Canada et aux États-Unis, et comme animatrice pour la série «Best in China» de Discovery/BBC Worldwide.

Twitter : @Arctic_EQ

Courriel : eilis.quinn@radio-canada.ca

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