Réforme de la Charte de la langue française au Québec : des Inuit se joignent à la contestation
Pendant que l’Assemblée nationale du Québec donnait son approbation au projet de loi 96 mardi après-midi, plusieurs communautés dans la province encaissaient durement le coup. C’est le cas des Inuit, qui songent déjà à leur réplique au gouvernement caquiste.
« Je me sens vraiment triste aujourd’hui que le gouvernement de François Legault soit allé de l’avant avec le projet de loi 96, qui va causer beaucoup de tort aux Inuit du Québec », a dit Sarah Aloupa, présidente de Kativik Ilisarniliriniq, la commission scolaire du Nunavik.
Parmi les nombreuses dispositions que prévoit cette réforme de la Charte de la langue française, c’est celle touchant l’éducation au niveau collégial qui ne passe pas chez les Inuit.
La pièce législative, adoptée à 78 voix contre 29 grâce à l’appui de Québec solidaire et de deux députés indépendants, imposera trois cours de français – ou en français – supplémentaires aux étudiants des cégeps anglophones. L’obtention du diplôme d’études collégiales dépendra aussi de la réussite d’une épreuve uniforme de français.
Outre les communautés anglophones du Québec, certaines Premières Nations de la province qui s’expriment principalement en anglais sont directement touchées par le projet de loi. Le Conseil en Éducation des Premières Nations, l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador ainsi que plusieurs communautés autochtones du Québec, dont les Mohawks de Kahnawake et de Kanesatake, l’ont déjà vertement critiqué.
Une exemption réclamée
Kativik Ilisarniliriniq a joint sa voix à celles des nombreux contestataires et demande à ce que tous les élèves inuit soient exemptés de la loi 96. La présidente de la commission scolaire du Nunavik a voulu profiter de l’occasion pour clarifier la position des Autochtones face à la réforme du ministre Simon Jolin-Barrette.
« Tel qu’il est actuellement médiatisé, le débat entourant le projet de loi 96 offre une image trompeuse des demandes des communautés autochtones. L’anglais n’est pas une langue coloniale que nous souhaitons adopter. Les langues autochtones sont les langues que nous souhaitons parler, transmettre, revitaliser, nourrir et renforcer », a indiqué Mme Aloupa.
Depuis l’adoption de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, en 1975, la langue d’enseignement au primaire et au secondaire au Nunavik est l’inuktitut. Le français et l’anglais y sont enseignés comme langues secondes.
Selon les données recueillies par Statistique Canada en 2016, l’inuktitut est parlé par 98 % de la population des 14 villages du Nunavik. Elle est la langue principalement utilisée dans 85,7 % des foyers. Pour des raisons démographiques évidentes, la survie de cette langue demeure fragile.
Elle croit que la loi 96 ajoutera un obstacle de plus à la réussite des étudiants inuit, qui doivent déjà s’exiler pour poursuivre leurs études au cégep ou à l’université.
Selon le ministère de l’Éducation du Québec, le taux de diplomation à la sortie du secondaire est de 23 % en moyenne au Nunavik. Seulement 3,5 % de la population inuit possède un diplôme d’études collégiales. Au niveau universitaire, 1,2 % des Inuit détiennent un certificat et 0,8 %, un baccalauréat.
« Pour les étudiants inuit du Nunavik, le cheminement collégial est déjà un cheminement en langue seconde, peu importe qu’il se fasse dans un cégep en français ou en anglais, a indiqué Mme Aloupa. L’ajout de conditions supplémentaires à l’obtention d’un diplôme collégial pour les étudiants inuit du Nunavik qui font le choix de poursuivre leurs études collégiales en anglais n’est pas acceptable. »
Un fardeau inutile
Dans un contexte de réconciliation, où le Canada et les provinces veulent renouveler leur relation avec les Premières Nations et les Inuit sur des bases plus égalitaires, il ne semble pas souhaitable pour Kativik Ilisarniliriniq d’imposer un nouveau fardeau aux Autochtones.
« Le projet de loi 96 devrait être l’occasion de renforcer les langues autochtones, pas de les reléguer au second rang ni de les traiter comme une menace à la survie de la langue française au Québec », ajoute Sarah Aloupa.
Avec les membres de sa communauté, elle est déterminée à résister et à protéger les acquis chèrement obtenus par les Inuit au fil des ans. Elle garde néanmoins la main tendue.
« Il est temps que le gouvernement sache qui nous sommes, insiste-t-elle. Nous voulons être entendus, reconnus. Nous devons avoir une vraie discussion. »
Un article de Julie Roy