Pas d’eau courante au Nunavik : des enseignants appellent à l’aide

Une élève de la Commission scolaire Kativik Ilisarnilirniq au Nunavik (Jade Duchesneau Bernier/Commission scolaire Kativik Illisarnilirniq)
Des dizaines d’employés d’écoles primaires et secondaires du Nunavik dénoncent les conditions de vie du Nord, au nom du bien-être des élèves, parce que les difficultés d’approvisionnement en eau se sont détériorées, selon eux, au cours des derniers mois. C’est ce que révèle un rapport syndical que Radio-Canada a pu consulter.

Au Nunavik, 13 des 14 villages n’ont pas de système d’aqueduc ni d’égout. Le transport de l’eau potable, tout comme le retrait des eaux usées, se fait par camion-citerne.

Depuis des mois, en plus de la pandémie et d’un hiver particulièrement rude, selon les autorités régionales, les problèmes s’accumulent : bris ou endommagement des infrastructures (tuyaux, camions, réservoirs), pénurie de main-d’œuvre pour conduire les camions-citernes et… insuffisance de camions-citernes. Bref, le transport de l’eau accuse du retard.

Un réservoir d’eau potable à Inukjuak (Sarah Leavitt/Radio-Canada)

La distribution d’eau potable est ralentie. Cela oblige les habitants et les travailleurs à utiliser de l’eau non filtrée qui doit être bouillie, et entraîne parfois l’ingestion d’eau contaminée par accident. De plus, l’accumulation d’eaux usées dans les réservoirs provoque l’interruption du service de l’eau courante. Ainsi, les toilettes ne sont plus fonctionnelles et se laver à l’eau courante n’est plus possible.

Des dizaines d’employés de la Commission scolaire Kativik Ilisarnilirniq dénoncent des conditions de vie qualifiées de « désastreuses » dans un rapport de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). Les constats de ce document interne, qui doit être rendu public sous peu, ont été corroborés par Radio-Canada.

La Commission scolaire Kativik Ilisarnilirniq est située au Nunavik. (Félix Lebel/Radio-Canada)

Au total, les témoignages de 75 personnes ont été recueillis. Ils proviennent d’enseignants et du personnel de soutien membres de l’Association des employés du Nord québécois (AENQCSQ) ainsi que des membres du Syndicat du personnel professionnel de l’éducation du Nunavik et de l’ouest de Montréal (SPPENOMCSQ).

À l’AENQ, les deux tiers des 950 syndiqués au Nunavik sont Inuit. Un peu moins de la moitié des 130 spécialistes du SPPENOM-CSQ sont également Inuit. Voici quelques-uns des commentaires récoltés par la CSQ.

« Les bactéries propagées à cause du manque d’eau sont innombrables […] Il est [primordial de pouvoir] se laver les mains après avoir utilisé les toilettes », écrit une personne.

« Les élèves contractent des infections de la peau », déplore un autre employé.

« Épidémie de gastro, de COVID et d’influenza, mais pas d’eau pour nettoyer le vomi des enfants, pas d’eau pour prendre un bain frais […] alors qu’on a de la fièvre », dénonce une autre personne syndiquée.

Les problèmes d’approvisionnement en eau s’accumulent au Nunavik. (Marc-André Turgeon/Radio-Canada)

« Je ne peux pas laver les biberons de mon enfant. Je ne peux pas faire de lavage la fin de semaine. J’ai deux jeunes enfants, ce qui génère quand même une bonne quantité de lavage. Je passe la fin de semaine avec des selles dans ma toilette […] L’eau a été contaminée à un moment donné et toute la famille a eu la diarrhée et/ou des vomissements pour 2-3 jours », écrit un quatrième employé de la Commission scolaire Kativik Ilisarniliriniq, parmi des dizaines de commentaires que Radio-Canada a pu consulter.

« Nos gens ne peuvent plus aller à la salle de bain tirer la chaîne, ils doivent se servir de chaudières pour faire leurs besoins, ils ne peuvent pas laver leur linge, laver la vaisselle… Vous savez, dans le Nord, ce n’est pas rare d’avoir six ou sept personnes dans une même maison », mentionne en entrevue Larry Imbeault, président de l’Association des employés du Nord québécois (AENQCSQ).

Fermetures d’école

Les problèmes liés au transport de l’eau ont entraîné une quinzaine de fermetures dans les écoles de six villages en 2021-2022 : Ivujivik, Kangirsuk, Inukjuak, Puvirnituq, Akulivik et Aupaluk.

« Ces chiffres seraient très probablement plus élevés si près de la moitié de nos établissements n’avaient pas fermé l’an dernier en raison de la COVID-19 durant les mois d’octobre, novembre, décembre et janvier », précise la Commission scolaire Kativik Ilisarniliriniq qui dit appuyer le personnel scolaire et dénoncer cette situation qui « perdure ».

Jeannie Dupuis est directrice générale adjointe à la Commission scolaire Kativik Ilisarniliriniq. (Jeannie Dupuis)

« Il faut arrêter de prendre ça avec un grain de sel […] Ce sont les besoins de base des élèves qui ne sont pas comblés », dit Jeannie Dupuis, directrice générale adjointe à la Commission scolaire Kativik Ilisarniliriniq. « Pour le personnel scolaire, c’est de plus en plus difficile », ajoute-t-elle.

Pénurie d’enseignants : « pas de français ou de maths »

Alors que le taux de décrochage avoisine 80 % en moyenne depuis quatre ans, la région est aux prises avec la plus importante pénurie d’enseignants de toute la province : 65 postes sont toujours vacants pour une population de 3300 élèves.

Alors que le taux de décrochage avoisine 80 % en moyenne depuis quatre ans, la région est aux prises avec la plus importante pénurie d’enseignants de toute la province : 65 postes sont toujours vacants pour une population de 3300 élèves.

À titre de comparaison, la pénurie de personnel qui touche encore le Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) s’élève à 24 postes non pourvus pour 110 600 élèves.

« Le résultat, c’est qu’on ne peut pas donner tous les cours obligatoires. Parfois, c’est le français par exemple, ou les mathématiques. Si on n’a pas d’enseignant, on ne peut tout simplement pas donner le cours », explique Jeannie Dupuis.

Nous aussi, nous sommes Québécois.Thomassie Mangiok, directeur du centre Nuvviti à Ivujivik

« Les conséquences, je les vis, je les gère, je les vois. On ne sait jamais si on va pouvoir donner des services aux élèves. Pourtant, l’éducation, c’est important, non? » demande Thomassie Mangiok, directeur du centre Nuvviti, l’école primaire et secondaire d’Ivujivik.

Thomassie Mangiok, directeur du centre Nuvviti, l’école primaire et secondaire d’Ivujivik (Thomassie Mangiok)

Dans ce village de 350 habitants, les contaminations se multiplient depuis un bris survenu cet hiver à la station de traitement des eaux. Actuellement, les habitants puisent leur eau dans une rivière. Ils doivent la faire bouillir. Dans le processus, ils ingèrent encore parfois de l’eau contenant des bactéries.

Le directeur rappelle que les écoles, en plus d’assurer l’éducation des enfants, sont aussi dans plusieurs cas des lieux « protecteurs ».

« Nous avons un système avec un filtre à eau, donc quand les élèves ont du mal à avoir de la bonne eau à la maison, ils viennent s’approvisionner à l’école. Quand l’école ferme, ils n’ont plus ça », explique-t-il, faisant référence aux réservoirs d’eaux usées qui, lorsqu’ils sont pleins (quand aucun camion-citerne n’est disponible pour faire le retrait), entraînent la fermeture de l’école.

L’école Ikaarvik à Puvirnituq (Eilís Quinn/Radio-Canada)

« C’est frustrant… Nos jeunes devraient avoir les mêmes opportunités que partout au Québec. On se sent mis à part. Comme si on n’était pas nous aussi des Québécois et des Québécoises », dit-il.

À l’instar de la commission scolaire, Carolane Desmarais, présidente du SPPENOMCSQ, le syndicat représentant quelque 130 spécialistes (psychologues, orthophonistes et orthopédagogues), souligne que non seulement attirer du personnel est de plus en plus ardu dans ce contexte, mais assurer leur rétention, aussi.

« Ce qu’on entend de plus en plus, c’est que des gens qui travaillent au Nunavik depuis longtemps, ils nous contactent et nous disent : « Je ne sais pas si je vais continuer » », confie-t-elle.

Carolane Desmarais donne en exemple qu’il n’y a aucun psychologue au Nunavik.

L’école Iguarsivik à Puvirnituq (Eilís Quinn/Radio-Canada)

« Il est temps que nos élus prennent la problématique au sérieux. C’est le fun de les voir monter dans le Nord pour se faire prendre en photo, ça paraît bien dans les journaux, mais il serait temps que la problématique soit réglée », déclare Larry Imbeault, président de l’Association des employés du Nord québécois.

« Ça n’a pas de bon sens que de telles situations soient banalisées, comme si c’était normal parce que c’est au nord. Ailleurs au Québec, jamais de telles situations ne seraient tolérées. L’eau, c’est essentiel, point », fait valoir Anne Dionne, vice-présidente de la CSQ.

« Je ne peux pas croire qu’en 2022, on ne soit pas encore capable d’offrir des conditions de vie décentes à ces communautés et assurer leur dignité. Et que les élèves en fassent les frais en plus, parce que les écoles doivent fermer. C’est franchement choquant », ajoute la vice-présidente.

Négociations en cours avec Québec

Interpellé par Radio-Canada, le cabinet du ministre sortant responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, rappelle la volonté de Québec d’appuyer les autorités régionales notamment dans l’envoi d’urgence de camions-citernes supplémentaires.

« Le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH) verse des sommes à l’Administration régionale Kativik (ARK) en vertu du programme ISURRUUTIIT [un programme de construction d’infrastructures et d’achat d’équipements pour les villages du Nord, NDLR] […] C’est l’ARK qui gère ensuite les sommes et comment elles seront administrées en collaboration avec les 14 villages nordiques », indique Mathieu Durocher, attaché de presse au cabinet du ministre responsable des Affaires autochtones.

Le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière (archives). (Ivanoh Demers/Radio-Canada)

« Le ministre Lafrenière a visité les 14 villages du Nunavik [ce printemps] […] et a pu constater de lui-même les défis techniques auxquels sont confrontées certaines communautés », indique-t-il.

Le cabinet précise que des négociations sont également en cours pour renouveler l’enveloppe de 120 millions de dollars étalée sur six ans et destinée aux infrastructures en eau, qui vient à échéance.

On continue évidemment de suivre la situation de très près.Cabinet du ministre responsable des Affaires autochtones

Contactée par Radio-Canada, l’Administration régionale Kativik (ARK) a réservé ses commentaires sur les négociations en cours, mais confirme qu’elle aura plus de « flexibilité » dans l’attribution des subventions.

Sans jeter la pierre à certains villages nordiques où les problèmes d’approvisionnement en eau sont plus importants, l’ARK a tenu à préciser que si elle fournit de l’assistance technique aux 14 villages nordiques, chacun d’entre eux est autonome.

Un camion-citerne devant un hôtel à Kuujjuaq (Claudiane Samson/Radio-Canada)

« Nous essayons de les aider, mais toute la question de s’assurer que la maintenance est faite, que les réparations mineures sont faites, est aussi la responsabilité de chaque village », affirme Paul Parsons, qui était directeur des travaux publics municipaux avant de devenir directeur général adjoint de l’ARK.

M. Parsons affirme que de nombreuses démarches sont en cours. « De nouveaux camions-citernes devraient arriver par bateau dans les prochaines semaines », dit-il.

Au Nunavik, seul le village de Kuujjuarapik bénéficie de système d’égout et d’aqueduc, le fruit d’une collaboration entre Inuit et Cris.

Une vue d’une foreuse servant à faire des trous de 15 mètres à Inukjuak. Ceux-ci sont munis de sondes pour estimer l’état du pergélisol. (Dominic Ponton)

Or, sur le territoire de cette communauté, située beaucoup plus au sud, le pergélisol et la roche-mère ne sont pas des enjeux.

« Ailleurs, c’est très complexe. Vous ne pouvez pas simplement aller creuser 15 pieds sous terre et installer un système d’égouts et d’eau dans le pergélisol et le substrat rocheux », explique Paul Parsons.

Souhaite-t-il des subventions plus généreuses? « Je ne veux pas commenter les négociations actuelles, mais la pénurie de main-d’œuvre affecte le domaine de la construction et ici aussi tout coûte plus cher. Il est clair que nous faisons beaucoup moins avec les mêmes montants », dit-il.

Parmi les dizaines de commentaires consultés par Radio-Canada, une personne syndiquée implore les autorités d’agir : « Ça devient difficile pour nous de recommander à d’autres [enseignants] de venir travailler ici… et ça devient difficile pour nous de rester ici. On a besoin d’une solution digne du 21e siècle. »

Avec la collaboration de Claudiane Samson, Sarah Leavitt, Eilís Quinn et Félix Lebel

Julie Marceau, Radio-Canada

Reporter à Radio-Canada dans notre équipe de journalisme d’impact. Dossiers: éducation, petite enfance, et bien d’autres. Pour d’autres nouvelles sur les Autochtones au Canada, visitez le site d’Espaces autochtones.

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