Au Québec, des femmes autochtones stérilisées de force
Stérilisations imposées, violences obstétricales et avortements non consentis jusqu’en 2019… Québec « se joint au cortège des autres provinces » où ces pratiques ont été imposées aux femmes des Premières Nations et Inuit, avec un « constat clair » : la présence de racisme systémique.
C’est ce que conclut un rapport de recherche intitulé Consentement libre et éclairé et les stérilisations imposées de femmes des Premières Nations et Inuit au Québec, rendu public jeudi. Le rapport émet 31 recommandations.
Atikamekw, Innues, Cries, Anishinabeg, Inuit… Elles étaient venues majoritairement pour donner naissance, sans savoir que ce serait la dernière fois. Quelques témoignages.
Elle vient pour accoucher. Le médecin lui dit : « on va te faire la ligature des trompes ». Elle refuse, précise qu’elle veut avoir d’autres enfants.
« Il répond : “Vous ne trouvez pas que vous en avez assez, là? C’est assez, faut que ça arrête, ça. Tous les enfants que vous avez mis au monde vont tous vivre dans la misère.” Câline… »
Un gynécologue consulté par une autre femme pour des menstruations douloureuses lui dit : « Je vais régler ton problème une bonne fois pour toutes. De toute façon, tu as déjà trois enfants, je vais te réopérer, je vais te nettoyer dans ton ventre. Je vais nettoyer dans ton ventre. »
Jamais elle ne se souvient qu’il lui a parlé d’hystérectomie. Elle n’a compris ce qui s’était déroulé que plus tard. « Il ne m’a jamais dit que je n’aurais plus jamais d’enfants, qu’il avait enlevé mon utérus et que je n’aurais plus d’enfants. »
Une autre affirme avoir subi une ligature des trompes sans son consentement, sans sa signature, pendant sa césarienne.
Et cette dernière, qui a développé une infection. Le chirurgien est venu la voir trois jours après l’opération pour lui dire : « eh bien, pendant que j’y étais, j’ai décidé d’enlever votre utérus. »
Au Québec, selon ce rapport, plus de 55 personnes issues des Premières Nations et Inuit ont vécu une expérience de stérilisation imposée et/ou de violence obstétricale entre 1980 et 2019.
Trente-cinq témoignages ont été recueillis, mais environ 20 témoignages supplémentaires auraient pu être ajoutés. Sauf que soit l’équipe de recherche n’a pas pu se déplacer dans les communautés autochtones pour rencontrer les femmes en question, soit ces dernières se sont désistées.
« Il y a des communautés qu’on devait visiter. On savait qu’un certain nombre de femmes voulaient nous parler, mais la foutue COVID nous a empêchés », explique Suzy Basile, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones et directrice du Laboratoire de recherche sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones – Mikwatisiw, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
Elle est l’autrice du rapport avec l’étudiante au doctorat à l’École d’études autochtones et rattachée au Laboratoire de l’UQAT, Patricia Bouchard.
Le nombre de cas documentés dans ce rapport offre donc « une sous-estimation de la réalité », préviennent les autrices.
Sous-estimation aussi parce que « dans certaines familles, on soupçonne qu’il y avait une tante, une grand-mère, une sœur qui ont été stérilisées. Des femmes nous ont dit : “j’ai une expérience, mais je suis incapable d’en parler” », précise Suzy Basile.
Sans compter l’éloignement avec, par exemple, le Nunavik, où la chercheuse estime qu’il y a certainement plus de cas que les deux témoignages recueillis. D’ailleurs, l’équipe de recherche demande que le travail puisse se poursuivre.
Nécessité d’une recherche au Québec
Le sujet était peu documenté et méconnu chez les femmes autochtones du Québec, d’où l’objectif de cette recherche dirigée par la professeure Suzy Basile, elle-même une femme atikamekw.
De plus, le gouvernement du Québec est la seule province à avoir refusé de prendre part aux travaux lancés par le gouvernement fédéral en 2018 après une série de dénonciations dans l’Ouest canadien afin d’examiner la situation de la stérilisation imposée au pays. Le Québec arguait notamment être déjà sensibilisé sur le sujet et que la santé est de compétence provinciale.
À ce moment, se souvient la directrice générale de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, Marjolaine Sioui, la ministre responsable des Affaires autochtones Sylvie d’Amours, avait dit que « si ça existait au Québec, on l’aurait entendu à la commission Viens ». Puis, selon Marjolaine Sioui, la ministre aurait rajouté : « on est prêts à discuter des priorités des Premières Nations et des Inuit et ça n’en fait pas partie ».
Selon Marjolaine Sioui, un médecin à la retraite l’avait d’ailleurs déjà contactée pour lui raconter que, du temps de René Lévesque, il aurait eu le mandat de faire la tournée dans des communautés autochtones du Nord. Il lui aurait indiqué que beaucoup de femmes ont témoigné que des stérilisations forcées avaient été faites. Il serait venu lui dire qu’il avait de l’information, de vieux rapports.
« Ce n’est pas d’aujourd’hui. Ce rapport est venu confirmer ce qu’on soupçonnait déjà, ce qu’on savait, mais qui n’avait pas été documenté », lance Marjolaine Sioui.
Le rapport, dont l’équipe de collaborateurs était composée aussi de membres de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, confirme « qu’il y a eu des cas de stérilisations imposées, de violences obstétricales et d’avortements imposés chez les femmes des Premières Nations et Inuit au Québec ».
Zéro consentement, traumatisme et méfiance
La recherche a permis de faire quatre constats.
D’abord, « la mise à mal du consentement libre et éclairé des patientes ». Aucun formulaire de consentement n’a été présenté ou signé par les patientes dans 46 % des cas.
Elles ont eu peu ou pas d’informations sur les opérations et leur caractère permanent, et la stérilisation a été réalisée généralement alors qu’elles venaient d’accoucher.
Nombreuses ont été celles qui ont subi des pressions à l’instar de cette femme qui, consultant son médecin en prévision de son accouchement, s’est fait constamment demander si elle voulait se faire ligaturer les trompes.
« C’est devenu une question hebdomadaire qui revenait à chaque visite. Elle a dit qu’elle ne voulait pas. À l’approche de la date de son accouchement, elle voyait le médecin deux ou trois fois par semaine, et on lui posait toujours la même question à chacune de ses visites », peut-on lire dans le rapport.
Les pressions persistent. Lorsqu’elle accouche par césarienne et qu’elle est en hémorragie, on lui propose à nouveau. « De plus, le médecin dit à son mari que leurs enfants pourraient ne plus avoir de mère si elle tombait à nouveau enceinte », relate le rapport. Cédant à la pression et à la peur, elle finit par consentir.
Pour certaines, des mois, voire des années se sont écoulées avant qu’elles consultent pour des problèmes de fertilité pour qu’on leur apprenne qu’elles avaient subi une ligature des trompes.
Ces expériences « traumatiques », selon le rapport, ont eu une incidence sur la santé mentale et physique des femmes, ainsi que sur la confiance qu’elles portent envers les institutions de soins.
Une femme sur cinq qui a participé à la recherche a mentionné avoir eu des complications ainsi que des symptômes incommodants à la suite des interventions subies. Et c’est sans compter celles pour qui le désir d’avoir un enfant est resté bien réel. Une situation qui a été « la source d’une vive douleur ».
Les couples en ont subi aussi les contrecoups. Le rapport fait état de jugements et de stigmatisation envers les femmes autochtones ayant été stérilisées sans leur consentement. Selon une participante, les hommes de sa communauté croient qu’une femme désormais stérile peut avoir de multiples partenaires sexuels et être qualifiée de « femme facile ».
Patientes de seconde zone
Les participantes ont été nombreuses à évoquer un « traitement différentiel », comme l’indique le rapport, à tel point qu’elles ont le sentiment d’avoir été traitées comme des patientes de seconde zone.
Ce traitement participe au « maintien, voire à l’accroissement de la méfiance qu’elles ressentent et des craintes qu’elles ont, ce qui contribue à l’évitement des services de santé auxquels elles ont pourtant droit ».
Parmi les mots violents entendus, une femme a raconté ne pas avoir été traitée comme une personne ni un être humain.
Une autre témoin relate avoir entendu des infirmières parler négativement de jeunes femmes autochtones venues accoucher, mentionnant qu’une femme devrait se faire ligaturer et qu’« ils devraient lui enlever les enfants qu’elle a eus ». Mais pour des femmes non-autochtones, elle n’a pas entendu de tels commentaires.
Enfin, les autrices du rapport remettent fortement en question l’âge et les circonstances de la stérilisation. Tout comme la barrière de la langue puisqu’aucune participante n’a reçu les services d’un interprète.
Selon elles, « il semble définitivement y avoir eu des manquements graves ainsi que des fautes déontologiques majeures de la part du personnel médical, en plus de nombreuses atteintes à l’intégrité des femmes des Premières Nations et Inuit ».
L’avortement non désiré est aussi mentionné dans le rapport. « L’avortement imposé, on ne l’avait pas vu venir. En plus du reste, on n’avait pas pensé à cette possibilité », avoue Suzy Basile, surprise d’avoir eu trois témoignages de femmes qui ont révélé des avortements non consentis par les patientes. Le rapport mentionne une quatrième patiente qui raconte y avoir échappé. Son bébé, aujourd’hui, est en pleine forme.
Pour les autrices, l’analyse des témoignages en plus des conclusions de récents travaux de recherche menés sur les enjeux auxquels font face les Autochtones dans les services publics au Québec, « converge vers un constat clair, soit la présence de racisme systémique ».
Selon Marjolaine Sioui, il faut « appeler les choses comme elles sont, car l’action puis le changement viennent avec l’acceptation ».
Le gouvernement du Québec, de son côté, nie le racisme systémique.
31 recommandations
Les participantes et l’équipe de recherche ont formulé 31 recommandations qui s’adressent essentiellement au gouvernement du Québec, mais aussi aux instances des Premières Nations et Inuit.
La Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador espère que ce rapport et les recommandations trouveront écho.
Il est notamment demandé à Québec d’interpeller le Collège des médecins pour que cessent ces pratiques, de mettre en place des sanctions et le retrait des permis de pratique si de tels actes sont perpétrés, d’imposer une formation obligatoire pour les professionnels de la santé.
À la suite d’une série de reportages parue notamment à Radio-Canada, le premier ministre François Legault a indiqué en septembre 2021 vouloir que tous les médecins du Québec reçoivent l’ordre de ne plus proposer de ligatures des trompes à des femmes qui sont en train d’accoucher, une pratique qu’il avait jugée « barbare ».
De plus, l’équipe de recherche réclame que Québec mette en place les recommandations de plusieurs commissions notamment la Commission Viens, et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Le rapport propose de financer adéquatement la formation de doulas (accompagnantes à la naissance) au sein des communautés autochtones. Il recommande du même souffle le déploiement de sages-femmes en insistant pour que leur formation universitaire soit financée par l’État.
Les autrices du rapport ajoutent que les services d’interprètes des langues autochtones dans les hôpitaux québécois sont un besoin qui doit être comblé.
Enfin, l’équipe de recherche recommande d’adopter le Principe de Joyce et de reconnaître le racisme systémique.