Pensionnats pour Autochtones au Canada : documenter et clarifier le passé colonial

Le Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR), qui réunit les documents d’archives relatifs aux pensionnats pour Autochtones, veut aussi acquérir d’autres documents relatifs à l’histoire coloniale du Canada.
« Des discussions sont en cours avec le gouvernement fédéral pour obtenir des registres de 12 ministères et agences, y compris Bibliothèque et Archives Canada », indique Jesse Boiteau, responsable intérimaire des archives au CNVR.
Ces documents concernent le système des pensionnats pour Autochtones, mais aussi les femmes autochtones disparues et assassinées, les écoles de jour et d’autres aspects du colonialisme.
Le centre a été créé à la suite des travaux de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) qui, entre 2008 et 2015, a documenté les répercussions du système des pensionnats pour Autochtones. Installé à l’Université du Manitoba, à Winnipeg, il a d’abord réuni les documents qui avaient été produits lors des audiences de la commission.

Depuis, sa collection a continué à s’enrichir et il détient maintenant 3,5 millions d’éléments, soit des photos, des plans d’institutions, des registres, etc., provenant de quelque 150 sources au Canada et à l’international.
Les documents proviennent essentiellement :
- des gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et municipaux;
- des organisations religieuses, notamment les Oblats de Marie-Immaculée et l’Église unie;
- des anciens pensionnaires et de leurs familles.
« Nous détenons des documents qui nous ont été remis par 7000 survivants. Parfois, les gens nous envoient des albums photo. On en a reçu un qui avait été récupéré dans une décharge. Ou encore, des documents peuvent avoir été trouvés par hasard dans un tiroir ou dans le classeur d’un bureau », ajoute Jesse Boiteau.
La majorité des éléments d’archives sont conservés sous forme numérique, et les originaux restent avec les organismes ou les individus qui les ont transmis.
Environ 65 000 éléments sont disponibles pour consultation sur le site Internet du CNVR.
« Au moment de l’ouverture du centre, nous avons voulu rendre publics des éléments d’archives pour chacun des pensionnats mentionnés dans la convention de règlement [conclue à la suite d’un recours collectif sur les séquelles des pensionnats pour Autochtones], dit Jesse Boiteau. Au fur et à mesure que nous traitons les documents de notre collection, nous rendons publics les éléments pertinents à des fins éducatives ou pour la réconciliation. »
Le CNVR conserve aussi des témoignages de guérison et de réconciliation offerts à la CVR pendant son mandat.
En effet, tout au long des audiences, une grande boîte en bois cintré, objet traditionnel des peuples autochtones de la côte ouest, a voyagé avec les commissaires pour recueillir des symboles de la démarche de guérison et de réconciliation : photos, rapports, livres, tambours, couvertures de bébé tricotées, mocassins perlés, etc.

Le dossier des sépultures non marquées
Depuis la découverte en mai 2021 d’environ 200 sépultures potentielles autour du pensionnat de Kamloops, une trentaine de nations ont aussi fait appel au CNVR afin d’effectuer des recherches préalables à l’identification de lieux de sépultures.
« Nous examinons la possibilité de créer un registre national des lieux de sépulture, comme l’a recommandé la CVR. Ce sont les communautés qui décideront comment rendre tout ça public », ajoute Jesse Boiteau.
Décoloniser l’archivage
Pendant sa maîtrise, Jesse Boiteau a tenté de concilier les méthodes de l’archivistique avec la vision autochtone du monde.
Il donne l’exemple d’un corpus d’archives provenant de la GRC. Normalement, il serait classé selon sa provenance, la GRC, et étudié dans la perspective du rôle du corps policier dans le système des pensionnats. Or, on y trouve 17 documents relatifs aux efforts d’un père pour que son enfant malade ne retourne pas au pensionnat, mais qu’il reste plutôt à la maison. L’école a fait appel à la GRC pour y ramener l’enfant.
« Lorsqu’on regarde la base de données avec une perspective occidentale, c’est une base de données de la GRC. Mais dans les faits, il s’agit aussi d’un dossier qui concerne le père, l’enfant et toute leur communauté. Il n’y a donc pas une seule provenance des documents », dit Jesse Boiteau.
L’idéal serait de pouvoir refléter tout ce réseau de relations à l’intérieur de la base de données.
« On pourrait cliquer sur le nom de l’enfant, Dominique, et on aurait un meilleur aperçu de l’ensemble des documents relatifs à son histoire, explique Jesse Boiteau. On pourrait aussi cliquer sur le nom du père, Standing Buffalo, ou sur le nom de la communauté, Standing Buffalo Dakota Nation. On pourrait alors créer tout un réseau de relations autour des survivants des pensionnats dans la communauté. »
Créer ce réseau de liens est un processus très lent et très manuel, fait-il remarquer.

Le CNVR travaille aussi à améliorer la façon de présenter les photos qui lui sont confiées. « Souvent, les photos prises dans les pensionnats ont été mises en scène pour justifier du financement. Lorsque nous parlons avec des survivants qui y figurent, nous découvrons leur point de vue sur la façon dont elles étaient prises. Nous pouvons alors mieux décrire le contexte dans lequel la photo a été prise », mentionne-t-il.
Le CNVR est très actif sur Facebook et un grand nombre de survivants suivent sa page. Jesse Boiteau raconte que des gens ont pu se reconnaître sur des photos et reprendre contact avec des amis ou des camarades qu’ils avaient perdus de vue.
Un reportage d’Isabelle Montpetit