Recherche arctique : la Garde côtière promet des capacités inédites

Le NGCC Amundsen est prêté au milieu universitaire et de la recherche durant la moitié de l’année. (Luc Paradis/archives/Radio-Canada)
La Garde côtière persiste et signe : les chercheurs canadiens n’auront jamais eu autant de flexibilité, de capacités et de polyvalence qu’à bord des futurs brise-glaces, dont on espère les premières livraisons dès 2030. Aussi rassurante soit-elle, la haute direction n’arrive pas à convaincre le milieu universitaire, qui craint un recul de la recherche sur les changements climatiques.

La Garde côtière canadienne ne s’en cache pas : elle n’a pas l’intention de désigner un remplaçant au NGCC Amundsen, seul navire consacré à la recherche scientifique de son actuelle flotte de brise-glaces.

Depuis 20 ans, les chercheurs universitaires ont accès au bateau grâce à une entente de cogestion. Sous l’égide du consortium Amundsen Science, basé à Québec, les universités y développent des expéditions de longue haleine et des programmes indépendants des mandats fédéraux. Le NGCC Amundsen passe ainsi l’été en mer chaque année au profit de la recherche, parfois plus de 100 jours consécutifs.

Le NGCC Amundsen sera retiré des eaux quelque part à la fin des années 2030. (Jacques Boissinot/archives/La Presse canadienne)

Voyant plusieurs pays, même non arctiques, s’équiper de brise-glaces de recherche, Amundsen Science réclame depuis plusieurs années un successeur au NGCC Amundsen, construit en 1979.

Ce navire serait conçu et équipé spécifiquement pour la recherche, avec des instruments et des laboratoires à la fine pointe. Les chercheurs souhaiteraient également renouveler leur protocole de cogestion du brise-glace avec la Garde côtière afin de maintenir un accès prévisible et continu aux régions polaires.

Depuis 2003, année de la conversion du brise-glace en navire scientifique, ce protocole consiste essentiellement en une location du NGCC Amundsen en dehors de la saison hivernale. Amundsen Science paie les salaires et tous les frais d’exploitation du navire, ce qui représente plusieurs millions de dollars par année.

Capacité accrue

Plutôt que de désigner un remplaçant spécifique, la Garde côtière envisage de soutenir la mission d’Amundsen Science à travers ses six futurs brise-glaces de taille moyenne et ses deux de classe polaire. Elle promet des capacités accrues pour les scientifiques et entend maintenir un soutien à la recherche universitaire.

La crainte des chercheurs d’université est de se retrouver avec des miettes de temps de navire, de passer après les programmes de recherche fédéraux et l’ensemble des missions non scientifiques de la Garde côtière.

Alors que les contrats pour la construction des nouveaux brise-glaces sont en train d’être négociés à Ottawa, Amundsen Science a de nouveau manifesté son inquiétude et tente de sensibiliser la classe politique à sa cause.

Le chantier maritime Davie, à Lévis, a été ajouté à la Stratégie nationale de construction navale en mars dernier. L’entreprise négocie actuellement avec le fédéral pour la construction des nouveaux brise-glaces de la Garde côtière canadienne. (Marc-André Turgeon/Radio-Canada)

De sa propre initiative, la Garde côtière canadienne a souhaité répondre à ces craintes à Radio-Canada. Par la voix de Marc Mes, directeur de la flotte et des services maritimes, elle défend sa vision et sa stratégie de renouvellement.

« C’est important de mentionner que les nouveaux brise-glaces polaires et les six brise-glaces de programme soutiendront [la recherche] avec une capacité supérieure que [ce que peut faire] l’Amundsen aujourd’hui », assure d’emblée M. Mes au cours d’une entrevue.

Ce dernier plaide que la flotte modernisée, grâce aux deux brise-glaces polaires, permettra un accès « aux zones arctiques extrêmes », ce que le NGCC Amundsen ne peut faire actuellement dans le Haut-Arctique. « C’est aussi important de noter que l’Amundsen est un navire de recherche qui a été converti. Il est limité sur le plan géographique et temporel. »

Marc Mes est directeur général de la flotte et des services maritimes à la Garde côtière canadienne. (La Garde côtière canadienne)
Mandats à respecter

M. Mes fait miroiter polyvalence et flexibilité aux chercheurs, notamment par le nombre de navires qui seront équipés d’instruments de recherche.

Les six brise-glaces de programme auront des équipements modulaires, c’est-à-dire interchangeables selon les différents mandats et les expéditions. Selon les disponibilités, des projets scientifiques pourront être imbriqués aux sorties. Les équipements nécessaires pourront alors être installés sur le navire grâce à ces infrastructures modulaires. La Garde côtière parle de mandats de recherche basés « sur l’opportunité ».

Les deux navires de classe polaire seront quant à eux davantage outillés, dit-on, pour la recherche scientifique, mais ni l’un ni l’autre ne sera le remplaçant officiel du NGCC Amundsen.

Les brise-glaces polaires, dont on voit ici une maquette, seront les plus aptes à soutenir la recherche de pointe, selon la Garde côtière canadienne. (Archives/VARD)

Deux premiers navires, un moyen et un polaire, doivent être livrés en 2030. Les autres suivront progressivement jusqu’à la fin des opérations des brise-glaces vieillissants de la Garde côtière. D’ici la mise hors service du NGCC Amundsen, dans une quinzaine d’années, l’entente de cogestion avec Amundsen Science devrait être maintenue, selon Marc Mes.

On va continuer de fournir un soutien complet à la mission scientifique d’Amundsen Science jusqu’à ce que le NGCC Amundsen sera complètement hors service.Marc Mes, directeur de la flotte et des services maritimes, Garde côtière canadienne

Pour la suite, M. Mes ne peut garantir le même type d’entente. Il rappelle que la Garde côtière canadienne a des mandats à respecter, à savoir le déglaçage des voies maritimes, la présence fédérale dans les eaux canadiennes, les opérations de recherche et de sauvetage ainsi que la protection du milieu marin en cas d’événements de pollution.

Sur une collaboration pour la science et la recherche universitaire, « on va avoir les discussions », dit-il. « Mais il y a des mandats pour la Garde côtière qu’on doit continuer de livrer. »

Pas rassurés

Les chercheurs d’Amundsen Science, de leur côté, estiment que la vision de la Garde côtière n’est ni plus ni moins qu’un recul. Ces derniers ont déjà entendu le discours de M. Mes dans le passé. Sans être en guerre contre la Garde côtière canadienne, ils constatent un fossé entre les visions du futur de la recherche arctique au Canada.

Maxime Geoffroy, professeur à l’Université Memorial de Terre-Neuve, monte à bord du NGCC Amundsen depuis 2009. Lui-même apprenti chercheur à l’époque, il dirige désormais les travaux de recherche de ses étudiants à bord du brise-glace.

De son point de vue, la collaboration avec la Garde côtière « sur le terrain » est excellente. « Il ne faut pas cracher dans la soupe non plus. On a une belle collaboration », dit-il. Le bât blesse surtout « dans les bureaux ». Selon lui, la façon de faire proposée par le fédéral ramènera la communauté scientifique aux années 1990.

Le NGCC Amundsen a à son bord plusieurs équipements spécialisés. (Olivier Bouchard/Radio-Canada)

À l’époque, aucun navire n’était consacré à la recherche scientifique et l’entente de cogestion pour le NGCC Amundsen n’existait pas. « On devient à la merci de la Garde côtière et leur plan de mission d’une année à l’autre », dit-il. À gros traits, il souligne l’importance de la planification, de la formation de l’équipage et de la relève scientifiques.

Sur les capacités des navires, M. Geoffroy doute des équipements modulaires, notamment. « Les laboratoires qui sont vraiment inclus dans le navire ne peuvent pas être modulés. Il y a une limite à ce qu’on peut faire avec des équipements modulaires. »

Il rappelle qu’une quarantaine de scientifiques peuvent monter à bord du NGCC Amundsen. Le navire compte une dizaine de laboratoires fixes, une salle des sonars et une foule d’équipements spécialisés difficilement interchangeables d’un navire à un autre. « Ce n’est pas vrai que chaque navire va avoir 10 laboratoires », affirme-t-il.

Comme d’autres avant lui, M. Geoffroy déplore l’absence de discussions avec les chercheurs universitaires dans la conception et l’identification des besoins des nouveaux brise-glaces. Selon lui, il n’est pas trop tard pour intégrer les scientifiques et revoir la vision mise en place par la Garde côtière.

Le NGCC Amundsen a été converti pour la recherche en 2003. Construit en 1979, il est utilisé à la fois pour le déglaçage en hiver et pour la recherche en été. (Élie Dumas-Lefebvre)
Changements climatiques

Les chercheurs craignent enfin un trou dans les données récoltées pour certains programmes de suivi dans l’Arctique canadien.

Entre la fin de vie utile du NGCC Amundsen et la construction de l’ensemble de la flotte de nouveaux brise-glaces, l’inquiétude est de subir une perte d’accessibilité pendant quelques années.

Audrey Limoges, professeure au Département des sciences de la terre de l’Université du Nouveau-Brunswick, affirme que l’Arctique canadien subit les conséquences des changements climatiques de plein fouet. « L’Arctique canadien fait partie des zones de la planète qui sont les plus touchées par les changements climatiques », souligne-t-elle.

L’Arctique canadien fait partie des zones les plus touchées par les changements climatiques. (Sean Kilpatrick/La Presse canadienne)

Le programme d’Amundsen Science permet, selon elle, « de générer les données nécessaires en collaboration avec les communautés locales, aux premières loges de ces changements-là, pour développer des modèles de prévision et élaborer des stratégies de gestion pour atténuer les conséquences ».

Si des retards ou des dépassements de coûts devaient ralentir la mise en service des nouveaux brise-glaces, Mme Limoges craint « de voir une période où on perd la capacité de collecter des données. Ce serait une aberration ».

Vous avez remarqué une erreur ou une faute ? Cliquez ici !

Laisser un commentaire

Note: En nous soumettant vos commentaires, vous reconnaissez que Radio Canada International a le droit de les reproduire et de les diffuser, en tout ou en partie et de quelque manière que ce soit. Veuillez noter que Radio-Canada ne cautionne pas les opinions exprimées. Vos commentaires seront modérés, et publiés s’ils respectent la nétiquette.
Nétiquette »

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *