Au Nunavik, résidents et chercheurs collaborent pour s’adapter à la fonte du pergélisol

Le village de Salluit, au Nunavik. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)
Alors qu’il campait dans la communauté pluvieuse et brumeuse de Salluit, la fin de semaine dernière, Michael Cameron a vu un autre glissement de terrain.

Celui qui a habité toute sa vie dans la deuxième communauté inuit du Québec pour ce qui est de sa position septentrionale a l’habitude d’être témoin de ces phénomènes, notamment au cours des dernières décennies, puisque sa ville d’environ 1600 habitants se réchauffe lentement.

« Tout cela a à voir avec le réchauffement de la Terre, déclare M. Cameron, même si c’est seulement de 0,2 °C. Cela semble peu, mais ici, c’est beaucoup. »

Aujourd’hui, en ce moment, nous sommes à 17 °C. En temps normal, [c’est] généralement autour de 11 °C à 15 °CMichael Cameron, résident de Salluit

Le résident dit que ces changements de température, qui raccourcissent les hivers et prolongent les étés au Nunavik, font également fondre le pergélisol, soit l’épaisse couche de sol qui reste sous 0 °C toute l’année pendant au moins deux ans.

En raison de ce dégel, M. Cameron affirme que la communauté a connu deux glissements de terrain cette année.

« C’est un peu surprenant. C’est presque comme une avalanche. On voit où la couche supérieure du sol a glissé et on voit la couche inférieure qui est presque argileuse », indique-t-il.

Il y aurait eu deux glissements de terrain à Salluit cette année, selon Michael Cameron, un résident. (Michael Cameron)

Michael Cameron, qui est le coordonnateur du programme Uumajuit, sous l’Administration régionale Kativik, note que ces événements posent de sérieux défis à la communauté qui a été bâtie sur un sol gelé.

Pour cette raison, il fait partie des résidents qui travaillent avec l’Université Laval et la Chaire de recherche en partenariat sur le pergélisol au Nunavik afin d’étudier le sol et d’ainsi aider les communautés à s’adapter aux changements climatiques.

« Ils craignent que tout tombe en bas de la colline »

Des 14 communautés inuit du Nunavik, une seule, Kuujjuarapik, n’a pas de pergélisol dans sa municipalité, dit Pascale Roy-Léveillée, titulaire de la Chaire de recherche en partenariat sur le pergélisol au Nunavik.

Aussi directrice scientifique et professeure agrégée au Département de géographie de l’Université Laval, Mme Roy-Léveillée souligne que la province vient d’annoncer un financement supplémentaire de 600 000 $ afin de permettre à son équipe de poursuivre ses recherches au Nunavik pour les deux prochaines années.

Un chercheur tient une section centrale de pergélisol. On peut y voir des lentilles de glace. (Rose-Marie Cardinal/Université Laval)

L’équipe collaborera aussi avec les habitants. « Les communautés ont clairement exprimé qu’elles veulent non seulement nous aider à planifier le projet, mais aussi être dehors, voir ce que nous voyons et aller là où nous allons. Ces communautés veulent vraiment participer, pas seulement à la surveillance, mais aussi à la recherche », mentionne-t-elle.

Les communautés s’inquiètent particulièrement de la façon dont la fonte du pergélisol pourrait limiter l’accès à la terre, à la chasse et à la pêche et même rendre les habitations instables.

« Cela a un impact très fort sur les gens parce que c’est une partie importante de leur vie traditionnelle et de leur identité culturelle », affirme Mme Roy-Léveillée.

La chercheuse Pascale Roy-Léveillée à Salluit. (Sarah Gauthier/Centre d’études nordiques)

« Des personnes se sont présentées à des conférences scientifiques et nous ont dit : « Nous avons besoin que les gens viennent nous aider maintenant parce que nous ne savons pas ce qui va se passer. Les gens ne peuvent pas dormir et ils craignent que tout tombe en bas de la colline. » »

« On voit des fissures se former »

C’est d’ailleurs le cas de certaines personnes habitant le village de Salluit, situé dans l’extrême nord le long du détroit d’Hudson, soutient M. Cameron.

« Chaque année, nous voyons le déplacement des maisons, y compris la mienne », dit-il.

Lorsque le dégel arrive, le sol se soulève un peu. Nous voyons donc des fissures se former à certains endroits de la maison, et à la fin de l’automne, lorsque le sol gèle à nouveau, le bâtiment bouge.Michael Cameron, résident de Salluit

Il ajoute que ces fissures ne font que quelques millimètres de large, mais qu’elles sont visibles sur les murs et le plafond.

« Parfois, ça nous préoccupe, en particulier dans certaines nouvelles zones de développement », souligne M. Cameron.

« [Par exemple], il y a un duplex où habitent deux familles… Le sol a bougé et elles ont aperçu des fissures importantes. »

Depuis les années 1980, la ville a construit des maisons surélevées sur des blocs pour permettre la circulation de l’air et empêcher que les maisons chauffent le sol.

Les maisons à Salluit sont construites sur des blocs pour éviter que le sol chauffe. (Michael Cameron)

En raison de ce terrain mouvant, certaines unités ont dû être déplacées, comme ça a été le cas en 1998 après un important glissement de terrain, précise M. Cameron.

« Il y avait 18 unités résidentielles dans ce quartier. Celles-ci ont dû être déplacées. L’électricité a été débranchée et les maisons ont été transportées sur une remorque à plateau », ajoute-t-il.

« Nous sommes une petite communauté, donc nous connaissions tout le monde. Nous avions même de la famille qui se trouvait à cet endroit et qui a dû être installée ailleurs… C’était un peu stressant à cette époque, car c’était quelque chose de nouveau. »

De 10 à 30 ans pour s’adapter, selon un chercheur

Certaines communautés sont plus touchées que d’autres en raison de la géologie, explique Michel Allard, professeur émérite au Département de géographie de l’Université Laval.

Il travaille au Nunavik depuis 1979 et a passé la majeure partie de sa carrière à étudier la géomorphologie, en particulier le pergélisol.

À mesure que le pergélisol fond dans les régions plus froides, les coins de glace fondent sous terre et créent des « petits lacs » sous le sol, dit-il. Pour stabiliser les maisons, de nouvelles solutions doivent être mises en œuvre, et bientôt.

Pascale Roy-Léveillée, Mickael Lemay et Michel Allard utilisent un système de forage portatif pour extraire une section centrale de pergélisol. (Emmanuel L’Hérault/Université Laval)

« Ce que nous proposons d’employer, c’est une approche bilatérale », déclare M. Allard.

Ainsi, les communautés utiliseraient les terres différemment en construisant les bâtiments sur le substrat rocheux, par exemple.

« [Normalement], on évite de construire sur le substrat rocheux parce qu’il est en pente. Mais maintenant, nous proposons d’enfoncer des pieux dans la roche et de mettre les bâtiments sur ces pieux », dit-il.

Selon M. Allard, les poteaux pourraient être enfoncés de 5 à 10 mètres.

Le professeur émérite est d’ailleurs en train de rédiger un rapport proposant que chaque communauté soit équipée de perceuses.

Les chercheurs Michel Allard et Pascale Roy-Léveillée. (Sarah Gauthier/Centre d’études nordiques)

« Personne n’a vraiment commencé à réduire les émissions de gaz à effet de serre, poursuit-il. Nous voyons déjà certains changements, mais le problème augmentera dans les années 2030 et 2040. Et puis, toutes les recherches prédisent qu’à partir des années 2040 et 2050 et jusqu’à la fin du siècle, le dégel du pergélisol s’accélérera. »

Cela signifie que les communautés ont de 10 à 30 ans « au plus » pour mettre en œuvre des mesures d’adaptation, selon lui.

La collaboration avec des chercheurs comme Michel Allard rend le résident Michael Cameron optimiste quant à l’avenir.

« Si nous travaillons ensemble, nous pourrons atténuer de nombreux risques pour la communauté », conclut-il.

Avec les informations de Rachel Watts, de CBC

Radio-Canada

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