Le Nunavut révise pour la première fois sa législation sur les langues officielles

Les députés du Comité permanent de la législation se sont réunis à l’Assemblée législative du Nunavut pour examiner la mise en œuvre et l’efficacité de la Loi sur les langues officielles et de la Loi sur la protection de la langue inuit pour la première fois depuis qu’elles ont obtenu la sanction royale, en 2008. (Matisse Harvey/Radio-Canada)

Les députés du Comité permanent de la législation sont réunis à l’Assemblée législative du Nunavut, depuis lundi, pour entamer une première révision des lois encadrant les langues officielles au territoire. Ce processus était très attendu par les différentes communautés linguistiques, puisqu’aucun examen n’a été mené en 15 ans.

La révision porte sur la Loi sur les langues officielles et sur Loi sur la protection de la langue inuit, qui énoncent les droits et les obligations du gouvernement territorial à l’égard des trois langues officielles du Nunavut, à savoir l’anglais, le français et l’inuktut, la langue inuit. Cette dernière regroupe plusieurs dialectes, parmi lesquels figurent principalement l’inuktitut et l’inuinnaqtun.

En vertu de l’article 37 de la Loi sur les langues officielles et de l’article 43 de la Loi sur la protection de la langue inuit, l’Assemblée législative du Nunavut est tenue de mener un examen des dispositions et de l’application de la législation tous les cinq ans. Or, aucun examen n’avait été mené depuis que les deux lois ont obtenu la sanction royale, en 2008.

De lundi à jeudi, les députés du Comité permanent sur la législation ont invité des acteurs des communautés linguistiques du Nunavut à se prononcer en vue d’orienter la révision de la législation sur les langues officielles. (Matisse Harvey/Radio-Canada)

Revitalisation et protection de la langue inuit

Depuis lundi, divers acteurs concernés par les enjeux linguistiques au territoire comparaissent devant le comité permanent pour exprimer leurs commentaires et leurs recommandations : le nouveau ministre responsable des Langues, Joelie Kaernerk, la commissaire aux langues officielles, Karliin Aariak, l’Association des francophones du Nunavut (AFN), l’autorité linguistique Inuit Uqausinginnik Taiguusiliuqtit (IUT) et l’organisme territorial inuit Nunavut Tunngavik (NTI).

Le ministre Joelie Kaernek voit la révision de la législation comme une occasion de l’affiner en fonction des besoins des Nunavummiut et, ainsi, tendre vers la vision élaborée lors de la création du territoire.

La législation linguistique du Nunavut est sans précédent, mais nous ne pouvons pas tenir cela pour acquis.

Joelie Kaernerk, ministre responsable des Langues

Dans son allocution d’ouverture, le ministre Joelie Kaernerk a affirmé qu’il souhaitait ajouter une nouvelle disposition à la Loi sur la protection de la langue inuit qui pousse le gouvernement du Canada à fournir un accès égal aux programmes et services fédéraux en inuktut aux Nunavummiut.

« C’est une question d’égalité pour nous en tant que Canadiens », a-t-il dit. Contrairement à la Loi sur les langues officielles, cette loi s’applique aussi aux ministères, aux agences et aux institutions du gouvernement fédéral.

Joelie Kaernerk se trouve depuis peu au conseil exécutif. Lundi, il a été nommé ministre du Patrimoine et de la Culture, en plus de devenir ministre responsable des Langues. (Assemblée législative du Nunavut)

Une législation avec plus de mordant

L’organisme NTI, qui représente les Inuit du Nunavut, a aussi fait allusion, à maintes reprises, à la vision élaborée lors de la création du territoire et à la place que la langue inuit devait initialement y jouer.

Le vice-président de l’association, Paul Irngaut, n’a pas pesé ses mots devant le comité permanent. « Il faut renforcer les lois et leur donner plus de mordant », a-t-il insisté.

Selon l’organisme, la législation et les mesures prises par le gouvernement n’ont pas suffisamment protégé et revitalisé l’inuktut au fil du temps.

La Loi sur les langues officielles et la Loi sur la protection de la langue inuit étaient remarquables, pour l’époque. Or, les temps ont changé et nous savons par expérience qu’il reste encore beaucoup à faire.

– Paul Irngaut, vice-président, Nunavut Tunngavik (NTI)

La question de l’enseignement en inuktut fait partie des dossiers qui préoccupent grandement l’organisme. Il fait d’ailleurs l’objet d’un face-à-face juridique entre NTI et le gouvernement du Nunavut depuis 2021.

NTI veut s’inspirer du Québec et des dispositions de la Charte de la langue française en accordant le droit à l’enseignement de l’inuktut de la maternelle à la 12e année, ainsi que dans les établissements postsecondaires et les collèges établis au Nunavut.

NTI veut que l’enseignement de la langue inuit soit un droit au sens de la loi. (Matisse Harvey Radio-Canada)

Nos droits autochtones inhérents n’ont jamais été véritablement inscrits dans la législation pour recevoir un statut et des privilèges égaux à ceux de l’anglais ou du français, a affirmé Paul Irngaut.

En garantissant ce droit dans la Loi sur la protection de la langue inuit, l’organisme estime que des effets ricochets se feront ressentir au sein de la main-d’œuvre inuit, un autre enjeu sur lequel NTI veut une plus grande action du gouvernement

Sur le marché du travail, NTI souhaite aussi que la législation accorde à chaque employé inuk du secteur privé le droit de travailler en inuktut.

Tenir le gouvernement responsable

Mardi, la commissaire aux langues officielles a affirmé que l’efficacité des deux lois à assurer une utilisation plus répandue de l’inuktut dans les secteurs public et privé était discutable.

L’inuktut est la langue maternelle de moins en moins d’Inuit au Nunavut. En 2021, le dernier recensement de Statistique Canada relevait qu’elle l’était pour environ 53 % de la population, comparativement à 65 % en 2016 et 72 % en 2001.

De plus, Karliin Aariak déplore que le gouvernement du Nunavut fasse la sourde oreille devant les recommandations qu’elle lui formule à la suite de plaintes du public. Pour ce faire, elle suggère la création d’un secrétariat linguistique indépendant du gouvernement territorial qui veille au respect de ses obligations linguistiques.

Une telle structure serait semblable à celle du Conseil du Trésor du gouvernement du Canada, qui rédige des politiques et émet des directives, en plus de veiller à ce qu’elles soient mises en œuvre et suivies, a-t-elle précisé.

La commissaire aux langues officielles, Karliin Aariak, affirme qu’un secrétariat linguistique s’assurerait «que les ministères connaissent et comprennent leurs rôles, responsabilités et obligations à l’égard des lois linguistiques du Nunavut et du Bureau du commissaire aux langues». (Nick Murray/CBC)

Services en français

Invitée à se prononcer, mercredi, l’Association des francophones du Nunavut (AFN) a présenté une dizaine de recommandations au comité permanent, allant du changement de gentilé Franco-Nunavois pour Franco-Nunavummiut à la création d’un guichet unique de services en français.

Selon l’organisme, ce guichet pourrait soutenir le gouvernement dans ses services de traductions, d’interprétation, de publicité et de diffusion d’information, tout en demeurant imputable de ses obligations linguistiques en français. Par exemple, la ville d’Iqaluit pourrait signer une entente avec le guichet unique afin d’offrir des services municipaux en français, a indiqué le président de l’AFN, Goump Djalogue.

Les avantages d’un guichet unique seraient d’assurer un point central pour obtenir tous les services et communications en français.

Goump Djalogue, président de l’AFN
L’Association des francophones du Nunavut était invitée à se prononcer, mercredi matin, devant le Comité permanent de la législation. De gauche à droite : l’administrateur François Ouellette, le président Goump Djalogue et le directeur général Christian Ouaka. (Matisse Harvey Radio-Canada)

Selon Goump Djalogue, l’un des aspects lacunaires dans la version actuelle de la Loi sur les langues officielles est l’absence de règlements sur la mise en œuvre des obligations linguistiques du gouvernement territorial.

Nous constatons que le gouvernement utilise plutôt des politiques, des lignes directrices, des plans et des directives, dit-il.

Selon lui, l’absence de règlements rend le cadre législatif moins transparent et l’imputabilité des élus devient alors plus difficile à établir.

Parmi ses autres recommandations, l’AFN souhaite des règlements entourant la création d’une politique en immigration francophone et d’ouverture de plus de places en garderie francophone. L’association veut aussi que des clauses linguistiques soient systématiquement intégrées dans les ententes Canada-Nunavut et dans les services du gouvernement territorial.

Le comité permanent colligera ses recommandations dans un rapport qui sera présenté à la session législative d’automne ou d’hiver. Le gouvernement territorial aura ensuite 120 jours pour y répondre. Cela pourrait entraîner des modifications aux deux lois.

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