Infrastructures autochtones : combler le déficit d’ici 2030, une promesse à 350 G$
La ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, maintient la promesse du gouvernement Trudeau de combler le déficit d’infrastructures dans les communautés autochtones d’ici 2030, même si son propre cabinet – qui estime les coûts à près de 350 milliards – n’en paraît pas si sûr.
C’est ce qui ressort d’une réponse à une question écrite déposée à la Chambre des communes par la députée néo-démocrate Niki Ashton, qui représente la circonscription de Churchill-Keewatinook Aski, au Manitoba. Les questions écrites permettent aux parlementaires d’obtenir des réponses du gouvernement hors des moments réservés aux questions orales.
Dans sa requête du 18 septembre, Niki Ashton questionne le gouvernement fédéral sur le manque d’infrastructures chez les Premières Nations, et en particulier la façon dont il évalue les besoins et les coûts. Elle lui demande si le déficit sera comblé d’ici 2030, comme le prévoit le mandat qui a été confié à Patty Hajdu au moment de sa nomination comme ministre, en 2021.
Dans sa réponse, le cabinet des Services aux Autochtones ne répond pas directement à la question, se contentant de reconnaître «qu’il y a encore du travail à accomplir». Il dit travailler directement avec les Premières Nations, les organisations des Premières Nations et les autres institutions fédérales pour déterminer les mesures à prendre et les investissements nécessaires pour parvenir à cet objectif d’ici 2030.
Niki Ashton voit dans cette réponse un aveu tacite. «Je suis heureuse que leur réponse ne soit pas « oui ». Je suis heureuse qu’ils fassent preuve d’honnêteté en n’affirmant pas qu’ils sont sur la bonne voie, car pour moi, c’est ce que cette réponse signifie : qu’ils ne sont pas sur la bonne voie.»
Dans sa réponse, le cabinet des Services aux Autochtones explique qu’il peut mesurer les progrès en évaluant les conditions en matière de logement, de distribution d’eau potable, d’infrastructures sanitaires et éducatives, ainsi que d’autres actifs financés par le gouvernement et non spécifiés. Cependant, il dit ne pas pouvoir se prononcer «sans équivoque» sur l’importance du déficit d’infrastructures dans les communautés, car il a besoin des données fournies directement par les Premières Nations.
Le gouvernement attend ainsi une estimation complète des besoins en infrastructures des Premières Nations cet automne, indique-t-il.
Pour Niki Ashton, dont la circonscription électorale inclut des Premières Nations du nord du Manitoba où les besoins sont particulièrement urgents, cette réponse est inacceptable. «Le gouvernement fédéral devrait connaître mieux que quiconque les besoins criants des communautés», s’indigne-t-elle.
Près de 350 milliards nécessaires
Services aux Autochtones et l’Assemblée des Premières Nations ont commandé un rapport complet sur les investissements nécessaires pour remédier aux insuffisances actuelles et répondre aux besoins futurs.
Selon ce document, le Canada devrait investir 349,2 milliards de dollars (Nouvelle fenêtre) pour combler le déficit d’infrastructures des Premières Nations dans l’ensemble du pays d’ici 2030.
L’Assemblée des Premières Nations, qui représente plus de 600 Premières Nations au pays, exhorte ainsi le gouvernement fédéral à inclure une enveloppe de 175,83 milliards dans le budget de 2024, soit environ la moitié du montant total estimé.
L’organisation inuit Tapiriit Kanatami, qui représente les communautés inuit du Canada, estime qu’en ce qui la concerne, le montant des investissements nécessaires s’élève à 75,1 milliards sur 35 ans. Le Ralliement national des Métis réclame quant à lui 2,7 milliards dans le prochain budget pour combler ses besoins en logement et en infrastructures.
La députée néo-démocrate du Nunavut, Lori Idlout, critique en matière de services aux Autochtones, ne s’attend pas à voir un montant de plus de 400 milliards dans le budget des dépenses fédérales.
J’ai appris à ne pas avoir trop d’attentes. Chaque année, c’est une déception.
– Lori Idlout, députée néo-démocrate du Nunavut
Elle se dit profondément frustrée de la réponse du gouvernement qui, selon elle, indique clairement que les communautés autochtones vont rester en marge sur le plan socio-économique.
«J’ai le sentiment que les politiques génocidaires se poursuivent, que nous continuons à être opprimés par cette absence d’investissement dans ce qui peut nous aider. Les politiques génocidaires du Canada fonctionnent toujours, et nous devons commencer à apporter du changement», déclare-t-elle.
Le déficit sera comblé, assure la ministre
À la Chambre des communes, le comité des affaires autochtones et du Nord a déjà averti qu’au rythme actuel des investissements la cible établie pour 2030 en matière de logement ne sera pas atteinte.
«Des changements sont nécessaires si le Canada veut répondre de manière significative aux besoins en logement d’ici 2030», indiquait le comité dans un rapport de juin 2022.
La ministre Hajdu n’étant pas disponible pour une entrevue, son directeur des communications, Simon Ross, a envoyé une déclaration écrite en réponse à ces inquiétudes. Il y défend le bilan du gouvernement Trudeau en précisant que, depuis le premier budget de 2016, les libéraux ont dépensé près de 10 milliards de dollars pour financer quelque 9500 projets qui bénéficient à 613 communautés.
«Des décennies de sous-financement et de discrimination ne seront pas corrigées en une nuit, mais cela doit être fait. Nous comblerons le déficit d’infrastructures d’ici 2030, parce que chaque enfant et chaque famille méritent des chances égales de réussite», ajoute M. Ross.
Mais pour Mmes Idlout et Ashton, ces investissements ne sont qu’une goutte d’eau dans un océan de besoins. Elles accusent les libéraux de préférer les discours, les symboles et les promesses aux résultats.
Mme Idlout estime que les libéraux ont fait cette promesse sans avoir une idée précise et factuelle de son coût, de sa faisabilité et des mesures nécessaires pour évaluer sa réalisation, ce qui envoie un mauvais message.
«Il s’agit juste de faire des promesses et puis c’est tout. Ensuite, elles s’évaporent», dit-t-elle avec regret.
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