La réalité contemporaine des femmes inuit sous les projecteurs
Par Evelyne Côté
À la frontière entre la fiction et le documentaire, le film Tautuktavuk, Sous nos yeux en version française, des réalisatrices inuit Lucy Tulugarjuk et Carol Kunnuk, se veut une incursion dans le monde contemporain des femmes inuit du Nunavut.
Le long métrage a été présenté lundi soir en première québécoise à l’Université Concordia à Montréal, après un passage remarqué l’été dernier au Festival international du film de Toronto.
Il dépeint le quotidien de deux sœurs vivant à des milliers de kilomètres l’une de l’autre, l’une à Montréal et l’autre à Igloolik, dans la région de Qikiqtaaluk au Nunavut. Après des années de traumatismes et d’abus, Uyarak, incarnée par la coréalisatrice Lucy Tulugarjuk, quitte sa communauté et sa famille pour s’installer en ville.
«Ce n’est pas juste un film à propos de la violence envers les femmes, c’est surtout un film sur la manière dont deux sœurs trouvent le chemin de la guérison après avoir vécu des expériences traumatisantes», raconte Lucy Tulugarjuk en entrevue.
La pandémie s’immisce dans le film, sans en être la trame narrative. D’après Lucy Tulugarjuk, la crise sanitaire a montré et exacerbé la détresse et l’isolement des femmes victimes de violence conjugale, dont les appels à l’aide étaient ignorés. «Nous voulons que ce film soit une source d’inspiration pour les femmes et les enfants qui vivent les mêmes expériences», indique-t-elle.
Le chemin de la guérison
Dans le film, le personnage d’Uyarak, qui vit à Montréal, entame un difficile voyage de guérison qui l’amène à retrouver ses racines dans l’immensité du Nord. En toile de fond, le soutien, l’entraide et l’amour entre sœurs.
C’était important de combiner les souvenirs de mon enfance avec le présent et de mêler les faits à la fiction.
– Lucy Tulugarjuk, coréalisatrice
Pour Lucy Tulugarjuk, qui comme son personnage habite à Montréal, il était primordial de tourner le film en inuktitut pour montrer la richesse de sa culture et de sa langue natale à ses enfants.
«C’est aussi la question quand tu quittes ta maison, ta langue, ta culture, ta communauté et tout ton environnement. Tout semble être un autre monde», indique-t-elle.
Elle a aussi décidé d’ajouter dans le film une chanson de son arrière-grand-père qui n’était pas prévue dans le scénario initial.
C’est aussi pour ma propre guérison. C’est pour décrire des sentiments qui sont en moi depuis longtemps.
– Lucy Tulugarjuk, coréalisatrice
La cinéaste abénakise Alanis Obomsawin, qui était l’invitée d’honneur de cette soirée, a souligné la finesse du scénario et les scènes de la vie quotidienne des deux sœurs, tournées à la fois à Montréal et au Nunavut.
J’avais l’impression d’être dans votre communauté en regardant ce film.
– Une citation d’Alanis Obomsawin, cinéaste
Elle a tenu à féliciter la coréalisatrice Lucy Tulugarjuk, «qui [n’a pas eu] peur de faire [ce qu’elle veut] faire, dire et sentir.» «Je pense que c’est un film très riche», a conclu la cinéaste d’expérience.
Adapter le scénario
La pandémie a chamboulé l’écriture du scénario, qui s’était amorcée avant 2020. L’histoire a été réimaginée, en intégrant par exemple des vidéos Zoom quand les deux sœurs se parlent à distance, puisqu’il était au départ impossible pour l’équipe d’aller tourner au Nunavut. Ces scènes montrent le côté intime des deux personnages principaux, qui sont joués par les réalisatrices.
«Je pense que le monde se voit finalement là-dedans. C’est quand même un film alternatif, un peu expérimental. C’est vraiment le fun de voir que le film résonne auprès du public», souligne Samuel Cohn-Cousineau, l’un des coscénaristes.
Tautuktavuk figure au palmarès des 10 meilleurs longs métrages canadiens de 2023 du Festival international du film de Toronto.
Le film sortira en salle le 12 janvier à Montréal avec des projections sous-titrées en français et en anglais. Il sera aussi présenté au Nunavut en février et au Nunavik au printemps prochain.
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